La période qui sépare l'extirpation de l'âme de Nephyl de son corps jusqu'à son réveil dans celui du nouvel empereur, Ezéchiel, est l'une des plus méconnue de l'histoire du sorcier. Il n'en garde pour ainsi dire que peu de souvenirs.

Projeté de son enveloppe corporelle par l'âme de son propre père, Nephyl fut longtemps maintenu dans un état oscillant entre inconscience et sommeil. Spectateur de ce que l'âme dominante, à savoir celle d'Ezéchiel, ordonnait au corps qu'ils partageaient désormais, il fut incapable d'agir de son propre chef pendant plusieurs semaines.

La Cérémonie d'Allégeance de l'Ombrescence, le jugement du "cas Nihel Scavar", la guerre des asuras dans le Nid, l'agression des Faucheurs, tout ça ne lui importait guère en comparaison de l'amer constat qui s'imposait à lui. Il avait perdu son corps, et demeurerait une âme possédée, comme celles qu'il raillait tant depuis l'enfance. Ainsi, il resta silencieux, tapi dans le corps d'Ezéchiel, spectateur d'une vie qui n'était plus la sienne, privé d'un destin qu'il s'était assuré d'être merveilleux.

Son malheur fut d'autant profond qu'il était partagé par son hôte. Ezéchiel, de par son geste, avait lié son existence à celle du meurtrier de son père. Le dégoût d'ainsi posséder l'âme de l'ancien prince Vincere fut un traumatisme certain et trop souvent sous-estimé par ses contemporains. Aussi, en tant qu'esprit possédé, Nephyl avait accès aux sentiments du nouvel empereur, tout comme à ses souvenirs. Voir et ressentir les scènes d'amour passées entre Abaddon et son fils ne lui évoqua aucune forme de regret ou de culpabilité, mais une répulsion nauséeuse pour ce jeune ombrescent qui l'avait remplacé.

Pour Nephyl, le destin s'était joué de lui dans les grandes lignes. Craint et puissant, il était devenu un détail que l'on ne tarderait pas à oublier. Un premier événement pourtant le poussa à sortir de son état végétatif.

Alors que quatre faucheurs étaient parvenus à se frayer un chemin jusqu'aux portes de la Colline, un conseil extraordinaire fut convoqué au palais royal de Luminaria, concrétisant la première rencontre officielle entre l'empereur Ezéchiel et le roi Alexender Luminarii. L'échange et le contexte n'intéressaient en rien Nephyl, mais un sentiment des plus étranges l'envahit à l'instant où il emprunta le fameux escalier reliant les Profondeurs et le palais royal. Pour la première fois de son existence, il mettait les pieds à la Colline.

Ce lieu qu'il maudissait tant et qu'il rêvait tant de détruire représentait enfin une réalité. Longtemps il avait tenté de dépeindre les traits de cet endroit, en noircissant évidemment le portrait que pouvait lui en faire son père, des années auparavant. Une part de lui frissonnait à cette idée, mais une autre, inavouable, était apeurée à l'idée de se confronter à cette colline. Qui plus est, là-bas, il ressentit les innombrables morts des asuras d'Ekras, sans parler de celles des soldats qui l'avaient suivi sans broncher dans son combat. Il se retint cependant de toute forme de commentaire.

Accablé par son état, sa colère n'éclata pas lorsqu'il retrouva ces hommes et femmes du Conseil qui avaient vaincu ceux qu'il appelait, il y avait encore peu, commandants, voire amis. Car s'il lui était difficile d'accepter la mort de Sohl, la disparition de Samaël l'oppressait elle aussi. La rencontre du jeune et frêle successeur d'Aegidius lui fit comprendre qu'une page de l'Histoire venait d'être tournée, et qu'il appartenait désormais au passé.

L'agression perpétrée par les faucheurs interrogea quant aux intentions de leur maître, le Fossoyeur. Aussi, une expédition des plus osées fut entreprise jusqu'à Obsidienne peu de temps après. Retrouver la Fosse n'enchantait guère Nephyl, tant celle-ci était entachée par la mémoire de son ancien précepteur et de ce qu'il avait vécu là. Pénétrer dans Obsidienne lui procura aussi l'une des peurs les plus violentes de sa vie. Fort heureusement, le Fossoyeur ne se trouvait pas en ces lieux. Ce fut lorsque l'un de ses Lieutenants réclama le jugement de Nephyl que ce dernier se décida enfin à apparaître en prenant, à son tour, le contrôle du corps de l'empereur.