Part.III - 4.4 : L'évasion
A l'aube du 24 août 504, Nephyl se réveilla avec la certitude que cette journée ne serait pas comme les autres.
Après toutes ces années passées à Norr Giliath, il avait appris à reconnaître les tempêtes naturelles des ouragans déchaînés par le Pic des Quatre Vents. Les Aéromanciens étaient entrés en action tôt, très tôt dans la matinée, et le sorcier comprit bientôt que la prison s'apprêtait à accueillir de nouveaux détenus.
Varius n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Il se réveilla puis enfila sa tenue afin qu'à cinq heures du matin précise il puisse relever la garde de nuit. La tension était des plus palpables lorsque la vice-capitaine Shahati lui remit les clés de la tour, aussi elle se contenta d'un discret mouvement de tête, comme pour lui indiquer que tout se passait comme prévu. Le trousseau lui parut plus léger que d'habitude.
Il descendit puis quitta la tour, affronta la tempête et se rendit au port où plusieurs spahis patientaient, impassibles sous le déluge. En certaines occasions, comme celle-ci, Varius venait à regretter son ancienne vie, lorsqu'il errait dans les plaines en quête d'âmes innocentes à secourir aux côtés du jeune Boréa. Norr Giliath représentait à l'époque une opportunité non-négligeable à ses yeux, celle de pouvoir assurer au monde que les plus dangereuses créatures ne puissent plus faire de mal.
Son regard se perdit quelques instants dans les violentes vagues du Vastazul alors que son esprit s'en était allé à philosopher sur ses pensées. Lorsqu'il revint à lui, trois spahis accostèrent leur maigre embarcation sous les yeux du capitaine. Outre ces trois athlétiques humains, du navire sortit une femme d'un âge certain et deux hommes dont les âges oscillaient entre la trentaine et la quarantaine.
— Ailydis Naturale, adjutrice des Protecteurs de la Colline, s'exclama-t-elle en rejoignant Varius.
Le nom et le rang concordaient, mais le capitaine savait pertinemment qu'il n'avait pas là devant lui la protectrice annoncée. Cette femme était plus âgée, mais elle était, il faut le dire, très bien conservée. Les quelques rides sur son visage ne causaient aucun tort à son charme, de même que sa belle chevelure neige. Il accorda alors seulement son attention aux deux hommes qu'elle escortaient.
— Voilà donc nos deux nouveaux classe quatre, lâcha Varius.
— En effet, confirma-t-elle. Deux des pires meurtriers que nous ayons eu l'occasion de traquer ces dernières années. Voici Ryotaro de Febelh, lança-t-elle en présentant le mage, et Jie de Mithrida, conclut-t-elle avec le sigillant.
Dociles, les deux prisonniers obtempérèrent sans aucune forme d'opposition. La protectrice marcha à la droite de Varius sans ajouter aucun mot. À un moment toutefois, et le spahi ne manqua pas de le remarquer, elle haussa les yeux vers les hauteurs de la tour avant de dissimuler tant bien que mal un petit rire. Le capitaine, qui avait pris soin de congédier les crieurs pour l'occasion, comprit alors que le moment était venu.
Du haut de la tour, Nephyl sentit l'arrivée de nouvelles créatures sur l'île, et ce malgré les visions intempestives causées par ses geôliers. Ces derniers, justement, libérèrent le sorcier de leur attention avant de concentrer celle-ci sur la porte contre laquelle on venait de frapper. Deux spahis approchèrent puis ouvrirent la petite trappe leur permettant de voir derrière.
— Qu'y a-t-il, Tylis ? demanda l'un d'eux.
Une belle jeune femme au corps aussi musculeux qu'élancé les salua avant de répondre :
— Je vais ouvrir la porte, attention derrière.
— Qu'est ce que tu racontes ? s'étonna son interlocuteur.
Elle glissa une première clé dans une serrure.
— Où as-tu eu ça ? s'emporta l'autre.
A leur tour, les crieurs se concentrèrent sur les événements en contrebas.
— La vice-capitaine me les a données, expliqua-t-elle.
— Sottise ! gronda un spahi dans la pièce. Tu connais le protocole Tylis, dégages !
Une autre clé déverrouilla un autre mécanisme.
— Tylis !
Les crieurs approchèrent. Les spahis tournèrent tous leurs regards vers la porte. Il y eut un nouveau clic.
La poignée se mettant à frémir, l'une des sentinelles à l'intérieur s'empressa de la bloquer. La porte s'ouvrit alors avec fracas.
Aucun cri. Aucune harangue. Aucun combat. Il ne résultait de cet instant de panique qu'une paisible quiétude ponctuée d'une mélodie douce. Pour la première fois de son histoire, de la musique résonnait entre les moroses murs de Norr Giliath.
Nephyl ne comprenait pas vraiment ce qu'il venait de se passer. Les crieurs de sa cellule dansaient dans les airs. Les spahis se maintenaient une main à la gorge sans ni agir ni parler. Alors le corps flottant du sorcier descendit lentement avant de toucher le sol. Ses entraves n'étaient plus, la prison dans laquelle on avait enfermé son esprit venait d'être brisée. Pourtant, Nephyl n'y prêta pas attention à cet instant.
Ces mains posées au sol caressaient une étrange matière, épaisse, pourpre. Un à un les corps des spahis s'effondrèrent au sol, dans la mare du sang dont ils s'étaient vidés. Le sorcier se vit alors tendre une main amicale afin de le relever.
Il s'en empara.
C'était une poigne robuste, un gant de velours blanc suivi d'un long manteau aussi rougeâtre que le sol. Et il y avait un masque. Ce masque.
— Toi... s'étonna-t-il.
— Nous venons de la part de Yuki, prince.
— Tu es...
— Dante, chambellan de la Colline. Votre humble serviteur. Sauf votre respect, nous n'avons que très peu de temps.
Nephyl jeta alors un œil au reste de l'équipe venue le secourir. Il y avait Tylis, la spahi dont il avait déjà pu converser avec l'esprit quand ses geôliers ne prêtaient pas attention. Elle l'observait avec peur, mais aussi fascination. À ses côtés se dressait un homme jouant d'une petite lyre. Celui-là ne lui était pas connu, mais il semblait être à l'origine de l'état végétatif des crieurs de la cellule. Il s'inclina avec respect face au sorcier.
Nephyl prit seulement conscience de sa liberté. Accompagné de Dante, il n'attendit pas plus longtemps pour quitter sa geôle. Sur le seuil de celle-ci, pourtant, il s'immobilisa.
Quelques instants durant, il observa ses mains, ressentit la puissance le recouvrer après ces années de détention. Il se retourna alors et, d'un bref mouvement de la main, éteignit l'ensemble des lanternes des crieurs hypnotisés dans la pièce.
Il n'hésitait plus. Conquérant, il abandonna la cellule et se dirigea vers les escaliers menant en bas de la tour. Il s'interrompit une nouvelle fois, au centre de la vaste salle, avant de virer vers l'une des trois autres geôles de l'étage.
Nouveau geste délicat de la main, la porte vola en morceau. Les spahis en poste, alertés par le vacarme de l'évasion du sorcier, étaient déjà prêts à frapper. Nephyl brisa l'ensemble de leurs os en un instant, avant de balayer les crieurs la seconde suivante.
Dans cette pièce, les étranges esprits maintenaient une sphère aquatique de bien dix mètres de circonférence en lévitation. Dès qu'ils disparurent, la boule éclata et les litres d'eau la composant tombèrent au sol, emportant les membres désossés des spahis. Un autre corps chuta en même temps que ce singulier bassin, un corps qui y avait été plongé et gardé dans un état de sommeil profond depuis bien trop longtemps.
— Votre majesté, nous n'avons pas de temps pour...
Nephyl ordonna à Tylis de se taire d'un simple lever de doigt. Là, au milieu de la salle, affalé dans l'eau et le sang, un homme peinait à retrouver ses esprits. Il toussa, ouvrit péniblement les yeux, puis leva la tête en direction du sorcier. Des flammes embrasèrent alors sa chevelure, ses avant-bras et ses pieds. Exténué, il se redressa face à son sauveur avec méfiance.
— Je me casse.
— T'es qui toi ? demanda l'humain.
— Ton voisin de cellule. Je suis Nephyl, prince des Profondeurs, et je vais reprendre la place qui est mienne dans ce monde. Ça te dit de me rejoindre ?
Son interlocuteur pouffa de rire. Le brasier qui entourait son corps semblait gagner en vigueur à chaque instant. Mais Nephyl, lui aussi, sentait ses forces lui revenir totalement. Il sonda alors l'esprit de l'humain, découvrit son identité et tenta d'entrevoir son passé.
— Je ne te le conseille pas, l'interrompit aussitôt l'homme.
Une épaisse flamme grossissait dans sa paume.
— Étant donné l'aide que tu m'as apportée, je ne vous tuerai pas. Mais je n'ai pas pour projet de venir assister un ado sorcier dans sa crise existentielle. J'ai moi aussi d'autres idées en tête.
Les flammes de son corps se rassemblèrent avant de fondre sur le plafond de la tour et d'y creuser un énorme trou. Le déluge s'abattait alors dans l'étage, et sans attendre, l'humain s'envola dans les airs, loin, très loin de Norr Giliath.
— Tant pis pour toi, Ignis.
— Allons-y, lança Dante.
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