Au crépuscule de son existence, Magnus retiendra trois événements qui lui ont apporté un sentiment de béatitude et de bonheur indéfinissable. Le premier eut lieu lorsqu'il traversa le Large Belt dans le but de rallier, pour la première fois, la Colline. La découverte de l'herbe, de la couleur verte, et plus généralement de la végétation, fut pour lui bien plus qu'une révélation, ce fut un cap majeur de sa vie. La rencontre de la mère de son enfant représenta ensuite le deuxième grand acte, avant bien évidemment la naissance de Vincere.

Ayant rempli sa mission à la Colline, plus rien ne retenait Magnus à la Surface, si ce n'était sa curiosité. Sans doute ses conseillers avaient-ils minimisé cette dernière, car si la verdure ne cessait de l'émerveiller, quelque chose d'autre allait le fasciner plus que tout. Avec son acolyte, l'empereur s'en alla vers l'ouest, droit sur ce qui l'obséderait jusqu'à la fin de ses jours : le Primo Bosco.

S'il n'avait pas été pressé par ses obligations, sans doute Magnus aurait-il passé de nombreuses années à flâner dans la forêt et ses merveilles. Surtout, il y a dans la vie des instants qui demeurent à jamais gravés dans notre mémoire. Certains sont tragiques, comme le fut la perte des parents de Magnus. D'autres sont si beaux qu'ils en sont indescriptibles. Ce fut ce genre de moment que l'empereur vécut dans le Primo Bosco.

Son charisme, ses pouvoirs, son aura avaient de même envoûtés les créatures de la forêt, mais aussi attisé la méfiance des différents Forts animaliers. Jamais l'empereur n'eut vent ni conscience du débat que sa venue avait fait naître car, comme ceux de la Colline, les humains du bois sacré ne voyaient pas l'arrivée de cet ombrescent d'un très bon œil. Les Animaliers s'en remirent finalement à la forêt et ses habitants et laissèrent les bêtes de Nascore suivre leur intuition.

Après des semaines à se perdre dans les fourrés du bois, Magnus fut autorisé à pénétrer dans le sacro-saint sanctuaire du bois : Hesperias, le jardin légendaire créé par la déesse Nephee.

Ébloui par la beauté de ce havre de paix dédié à la faune et la flore, le sorcier se paralysa à l'instant où son regard croisa une chose qui bientôt bercerait ses nuits. Au bord du lac d'Hesperias se tenait une silhouette lumineuse, douce, belle, apaisante. A peine avait-il posé son regard sur elle que cette singulière forme était déjà partie.

Les récits romancés de la rencontre entre Magnus et cette créature ne doivent pourtant pas nous leurrer. Certes, l'empereur finirait par nourrir une obsession et un amour inconditionnel pour ce qu'il venait de voir, pourtant, et il est bon ici de le rappeler, son premier sentiment fut en réalité tout autre.

Il est, dans l'ancienne langue des Profondeurs, un terme qui correspond à une description parfaite de la chose entraperçue par Magnus : Aíę Ahlbå.

Cette expression, qui pourrait être traduite par "Lumière" dans notre culture, revêt une connotation particulièrement sombre. En effet, elle renvoie de même aux notions de mort affreuse, de destruction ou encore de feu suprême pour les êtres de Phrone. Magnus, en posant ses yeux sur cette singulière créature, pensa comme tout bon ombrescent à l'Aíę Ahlbå. La lumière, nous devons le garder à l'esprit, représente pour les êtres des Profondeurs une chose désagréable, dans le cas des Sorciers ou des Possèdes entre autres, voire mortelle, pour les Faucheurs ou les Crieurs.

En dépit de cela, Magnus sentit déjà naître en lui quelque chose relevant de la fascination pour cette lumière, et bien qu'il n'en avait évidemment aucune certitude, sa foi en un avenir radieux le laissait espérer qu'un tel moment de béatitude viendrait à se répéter. Et il avait raison d'ainsi y croire.