Félicité, idolâtré même, rien ne pouvait extirper le jeune sorcier de la profonde dépression qui suivit la Grande Guerre. Les pertes étaient massives pour l'empire, et bien plus grandes encore pour lui. Les Invocateurs, au summum du chaos et de l'épouvante, avaient allumé d'immenses brasiers avec les dépouilles de leurs victimes, aussi, jamais Magnus ne put offrir de sépulture décente à ses parents. C'est pourquoi, entre autres, il se porta volontaire afin d'organiser les funérailles impériales et les hommages aux victimes.

Aucune de ses mémoires, aucun de ses contemporains n'a jamais conservé quelconque information quant à comment Magnus vivait la perte de sa famille. On le décrivit terrassé, cloîtré dans un silence religieux qui peinait tous ceux qu'ils croisaient tant ces derniers désiraient le remercier pour ce qu'il venait d'accomplir. Bien que sa "deuxième Vie" fut la plus courte, elle fut incontestablement l'une des plus tragiques.

Le long mois de deuil passé, Nergal, malgré son état, tenait à rapporter l'espoir dans son empire. Sa première mesure fut sans doute la plus symbolique et la plus importante. Privé de ses quatre archidémons, le possédé prit la décision de nommer Magnus à l'un des quatre postes, alors que les trois autres demeureraient vacants. Pour Nergal, il ne faisait aucun doute que son règne touchait à sa fin, et l'esprit de Manès, malgré son silence après la défaite des siens, ne devait plus causer de dégâts supplémentaires.

L'heure était à la reconstruction et au renouveau. Conscient de sa fragilité, Nergal passa les derniers mois de son existence à enseigner à Magnus le poids de sa charge, ses connaissances, ses conseils. Le sorcier serait son héritier, parce qu'il l'avait choisi, comme l'ensemble de l'empire où déjà le nom de Magnus était loué.

Quelques mois après la chute des Invocateurs, Nergal ne se réveilla pas.

Magnus était empereur.

Marqué par la guerre, et notamment la violente perte de ses parents, Magnus mit un point d'honneur à faire de son règne celui de la paix et de la prospérité. Mais contrairement à son prédécesseur, il ne put faire fie du protocole et l'Ombrescence, qui l'accepta volontiers comme nouveau maître, l'exhorta à sélectionner ses quatre archidémons au plus vite. Comme souvent avec Magnus, sa cérémonie d'Allégeance dénoterait avec la tradition.

Chacun des peuples de l'Ombre lui fit la cour avec toujours plus d'insistance. Tous désiraient être représentés auprès de ce sorcier aussi charismatique que jeune. C'est là une donnée relativement sous-estimée par les Humains, mais il faut bien comprendre que, ramené à une existence d'Homme, Magnus entrait à peine dans l'âge adulte, l'équivalent d'à peine une vingtaine d'années. Et s'il paraît étonnant pour les Humains de confier les rênes du pouvoir à un adolescent, rappelons simplement que la loi du plus fort régit l'élection au trône impérial de l'Ombrescence.

Il était le plus jeune empereur de l'Histoire, et de fait on lui prédisait un règne aussi pérenne que fructueux. Magnus allait pour autant décevoir les puristes. Car il serait, tout au long de son règne, un souverain dont la conduite ne serait dictée ni par l'étiquette ni par les codes. C'était lui seul qui allait choisir ses conseillers, et d'une manière tout à fait inédite.

Il est de coutume, aujourd'hui encore, que les différents peuples de l'Ombrescence envoient respectivement une délégation afin de proposer leur candidat au poste d'archidémon. Magnus ordonna à chaque peuple de ne pas se donner cette peine, et ce quelques jours après son intronisation. Son projet : sélectionner ses archidémons au gré des rencontres qu'il s'apprêtait à faire. Car en effet, bercé par les légendes des Douze pendant son enfance, le sorcier avait un rêve : reproduire ce grand voyage qu'avait entrepris Thormir bien des millénaires avant lui.

Les affres de la guerre étant encore visibles, les mémoires toujours traumatisées, Magnus ne pouvait décemment pas laisser l'empire, son empire, sans en avoir préalablement assuré la sécurité. Qui plus est, bien que la majorité des Invocateurs ait été enfermée dans le lac désormais gelé qui entourait la Citadelle, certains avaient pu s'enfuir juste avant de sombrer avec leurs frères et sœurs. C'était de ces survivants que s'inquiétait Magnus, alors lui vint une idée.

A l'aube de l'affrontement final contre les Invocateurs, Nergal avait demandé à réunir les plus puissantes créatures en une équipe qui serait dédiée à la protection du palais, et surtout la sienne, lors de l'assaut. Magnus en faisait partie, tout comme les cinq sorciers qui l'avaient pris sous leur aile. Plus prestigieux encore était le titre officiel donné à ces cinq individus, car on ne les appelait pas "Sorciers", mais "Arcanistes".

Ce terme, bien que très peu usité à la Surface, est largement connu au sein de l'Ombrescence. Sans entrer dans les détails, la magie sorcière est subdivisée en plusieurs arts, ou arcanes. Chaque sorcier naît avec une prédisposition pour l'un d'eux (maîtrise des éléments, télékinésie, télépathie, ...) et les plus grands praticiens accèdent au rang d'Arcaniste. Pour mieux rendre compte de leur importance, rappelons que Magnus, bien qu'excessivement doué dans l'ensemble des arcanes (chose rarissime pour un seul individu), n'a jamais atteint le titre d'arcaniste dans un domaine.

Magnus eut l'idée de se tourner vers ces cinq arcanistes qui l'avaient formé pendant la guerre afin de leur confier la tâche primordiale de son début de règne : mettre un point final à la menace des Invocateurs. Maîtres de l'empereur puis chasseurs d'humains, les cinq arcanistes devinrent très vite de très grandes célébrités dans le domaine. C'est donc le plus invraisemblablement que l'histoire a oublié le nom de ces sorciers d'exception. Ne demeurent que les surnoms que Magnus leur a donnés.

Deux de ces Arcanistes étaient des adeptes de la magie noire, magie destructrice et ô combien dangereuse pour ceux qui y ont recours. Le plus puissant de tous, qui avait, disait-on, repoussé les limites connues de cette forme de magie, se fit bientôt appeler le Blasphémateur. Et celui qui menait des recherches sur les anciens manuscrits déjà prohibés en ces temps fut surnommé l'Apocryphe.

Dans cette cour d'honneur depuis laquelle Magnus avait vu ses parents mourir, le nouvel empereur avait aussi fait la rencontre de l'arcaniste qui se vantait de connaître les Profondeurs mieux que quiconque. Celui-ci répondait au nom de Pénitent.

Il y avait ensuite le plus vieux de ces cinq sorciers, le plus sage, le plus pacifique, qui deviendrait rapidement l'un des conseillers favoris de Magnus. Sa clairvoyance lui accorda le sobriquet d'Héliaste.

Et enfin, l'empereur confia une mission toute particulière au dernier de ces sorciers : mener des recherches à propos du mythe des Descendants, et si possible, les identifier. Ainsi, on l'appela Généalogiste.

Ensemble, ils formèrent le "Conseil de Magnus".