11. Le Méditant
Un homme est venu ici, en ces lieux mêmes. Il disait se nommer le roi-sorcier Zor. Aide-moi, m'a-t-il dit. Je t'élèverai des temples. Je te construirai des autels et j'y sacrifierai des peuples entiers. Je bâtirai pour toi des palais d'or. Je marcherai sur l'univers tout entier en criant ton nom.
Je lui ai dit que je n'en avais que faire.
Des jours passèrent. Des semaines, des mois, des années peut-être.
Entouré de ses loups, Zor ne sortait plus de la salle du trône. Il ne se levait de son siège que pour tracer sur le sol des symboles appris dans des ouvrages d'occultisme, avec un morceau de charbon.
Il partageait la nourriture de ses animaux. Il buvait avec eux l'eau de pluie tombée du plafond dans une vasque et mordait à pleines dents dans les proies qu'ils chassaient pour lui, principalement des varans. Les loups se contentaient des restes.
Je suis maintenant devenu moi-même un loup, se disait-il.
Le dernier archiviste de la bibliothèque occulte de Xiloth était mort dix ans auparavant. Dans cette petite salle poussiéreuse, qui désormais prenait l'eau, les grimoires remplis de secrets se décomposaient sur place. En sauvant quelques-uns de ces trésors, en parcourant leurs pages, Zor espérait trouver une solution à son calvaire.
Dans l'eau trouble de sa boisson, dernier reflet aux alentours, il se voyait maigrir et ses cernes se creuser. Mais il ne pouvait pas mourir ! Pas encore !
Alors il traçait des cercles et des symboles. Là où le texte préconisait une chèvre ou un bouc, il sacrifiait un rat et répandait son sang. Là où l'ouvrage demandait une pleine lune, il ignorait tout du jour et de la nuit. Il prononçait avec peine les formules occultes, espérant que malgré son manque d'expérience, les forces de l'au-delà, les esprits du monde souterrain, ceux qui arment le bras des désespérés, lui viennent en aide.
Il aurait dû garder auprès de lui cet alchimiste, ce von Zögarn, et lui soutirer ses secrets.
Zor se maudissait lui-même, mais surtout, il maudissait Jilèn qui l'avait trahi ; il maudissait Clemn qui, de l'au-delà, semblait encore diriger contre lui les ficelles du destin. Même absents, ses ennemis l'accablaient.
Ses ancêtres restaient sourds à ses appels.
Parfois, il s'endormait. L'espace s'effilochait alors. Les yeux verts de ses loups perçaient une nuit étoilée. Il avait le sentiment de se trouver infiniment proche d'autres mondes, d'autres sources de pouvoir dans lesquelles il pourrait puiser, d'une énergie dont il pourrait se repaître.
Enfin un homme parut. Il poussa la porte de la salle ; sa capeline noire se découpa dans une lumière aveuglante pour le troglodyte qu'était devenu le roi.
D'une voix rauque et sèche, crachant des glaires entre deux mots, Zor lui lança :
« Es-tu un dieu, ou l'envoyé d'un dieu ?
— Ni l'un, ni l'autre. »
L'homme se pencha sur lui. Car Zor ne se levait plus ; il allait à quatre pattes de ses livres à ses cercles d'occultisme.
« Et toi, es-tu un homme ?
— Je suis bien plus que cela, grogna le roi.
— Voilà ce que je souhaitais entendre. Tu as survécu ici pendant des semaines et tu aurais survécu encore longtemps. Ton corps voudrait-il se réduire en poussière que ton esprit l'en empêcherait. Tu es fort de ta volonté, Zor. Il ne te manque que le pouvoir que tu mérites.
— Qui es-tu ?
— Mon nom est Pirhus. Il est sans importance. Je constate que tu as ouvert d'anciens grimoires légués par tes ancêtres. Ce qu'ils racontent est faux.
— Les dieux ont abandonné ce monde. Seuls mes ancêtres vivent encore, dans le monde souterrain, ils sont les derniers à pouvoir m'aider...
— Tes ancêtres sont morts. Ils ne se relèveront pas, à moins que tu ne brises la mort elle-même.
— Est-ce possible ?
— Dans cet univers, l'esprit n'a de limites que celles qu'il se donne.
— Aide-moi. Lorsque je me relèverai, je te couvrirai d'or.
— Nul besoin, seigneur. Contente-toi de révéler sa voie à ce monde. »
Avec une patience de précepteur, Pirhus effaça du pied les traces des précédents échecs. Il traça les figures d'une main experte, prononça les mots d'une voix soutenue.
« Ils diront que ce sont tes ancêtres, Zor, mais toi et moi, nous saurons que ce n'est pas le cas. Il existe des puissances prêtes à t'offrir leur soutien. Oh, elles ne t'attendent pas dans le monde souterrain, mais dans le monde supérieur. Celui que seul ton esprit peut arpenter. »
***
Pirhus disait vrai.
Dans ses semaines de solitude, Zor s'était détaché du monde matériel jusqu'à percevoir la présence, derrière le voile de la réalité, d'une infinité de strates supérieures. D'autres mondes reliés entre eux par les rêves.
Il montait un escalier taillé dans une arête de pierre. Ce chemin escarpé le guida jusqu'à une esplanade cerclée de pavés moussus.
La retraite du Méditant.
Qu'avait dit Pirhus ? Il s'agissait là d'un des derniers immortels ; un des plus fiers guerriers de l'univers. Sans doute, après une accumulation de victoires sans saveur, se laissait-il dépérir en attendant qu'un conflit à sa mesure le révèle de nouveau.
Le Méditant avait la forme d'un homme de cristal sans visage, assis en tailleur.
« Je dois te poser trois questions, murmura-t-il d'une voix atone. Ensuite, je te détruirai.
Première question. Qui es-tu.
— Je suis le roi Zor.
— Deuxième question. D'où viens-tu.
— Je viens de Xiloth, sur la terre de Ki.
— Troisième question. Où vas-tu.
— Vers ma victoire. »
Le Méditant se tut. Inquiet et déçu de son silence, Zor reprit la parole.
« J'ai besoin de ton aide, Méditant. Mon royaume s'effondre et mes ennemis sont nombreux. Aide-moi et je t'élèverai des temples. J'y sacrifierai des peuples entiers Je te construirai des palais d'or. Aide-moi et je marcherai sur l'univers tout entier en criant ton nom.
— Tu ignores mon nom.
— Aide-moi, le pressa-t-il.
— Roi Zor, je n'ai que faire de ton royaume, de tes ennemis, de tes temples, de tes peuples, de tes palais.
— Dans ce cas que veux-tu ? Demande, et je te le donnerai.
— Rien que je ne puisse me donner moi-même. »
Il avait marché jusqu'au séjour des immortels, et voilà que l'immortel se moquait de lui ! Il ne trouvait rien à lui répondre.
« Aide-moi ! »
Acculé, Zor se jeta à genoux. Les dieux ne se laissaient-ils pas implorer ?
« Aide-moi ! cria-t-il encore.
— Pars, dit le Méditant, ou je te détruirai.
— Tu n'auras pas ce loisir ! Sois maudit !
— Sais-tu à qui tu parles, roi Zor de Xiloth ? Sais-tu qui je suis ? »
L'ombre du Méditant s'étendit sur sa retraite. La silhouette de cristal s'agrandissait. Sa voix grondait comme un tremblement de terre.
« Je ne suis pas l'air, mais je suis la tempête.
Je ne suis pas le feu, mais je suis l'incendie.
Je ne suis pas la pierre, mais je suis le volcan.
Je ne suis pas le métal, mais je suis l'épée.
Je ne suis pas le bois, mais je suis l'arbre.
Je ne suis pas l'eau, mais je suis la vague.
Je ne suis pas la glace, mais je suis le glacier.
Je suis ordre. Chaos. Vie. Et mort.
J'ai tout vécu. J'ai tout vu. Et je vivrai encore.
— Lorsque j'aurai acquis le pouvoir, je reviendrai, ici même, pour te détruire !
— Tu ne peux pas me créer, car je suis la création. Tu ne peux pas me détruire, car je suis la destruction. Pars. »
Il partit.
Puisque les dieux même se refusaient à ses appels, il ne lui restait plus qu'à disparaître.
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