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Ils roulaient depuis quinze minutes, ils avaient passé le bourg et l'hôtel, sans s'y arrêter. La vitesse excessive de son guide l'agaçait sur cette petite route de campagne déjà pas très large dont la végétation grasse, fougères et ronces rétrécissait d'autant plus, qu'elle les engloutissaient dans ses bras verdâtres et épineux. Ils s'enfonçaient de plus en plus dans les terres. Au détour d'un virage, il freina brusquement, tourna à gauche sur un chemin de terre, cent mètres de nids de poule, plein d'eau et débouchèrent sur l'entrée d'une grande cour déjà bien comblée par les voitures.
L'angoisse lui serra le ventre, Mathilde allait rencontrer les gens qui composaient cette famille. Elle mit en moment avant de descendre de sa voiture. Lorsqu'elle ouvrit sa portière, la fraîcheur la fit frissonner et l'odeur nauséabonde de lisier lui leva le coeur. Ajoutant tout cela à son angoisse, elle descendit en vacillant. Elle prit la direction de la porte d'entrée, hésitante. Sur le seuil de la longère en pierre du pays, elle fut assaillie par une odeur âpre, mélange de sueur, de renfermé, de fumée et de poussière. Ce mélange, l'a saisi à la gorge, elle hésita encore, entre pénétrer entièrement dans ce fumet ou rester dehors dans l'odeur du lisier mais elle n'eut pas le temps de choisir.
L'homme à l'entrée la tira par la manche et l'attrapa par la taille pour l'accompagner dans l'antre. La pièce était sombre. Le seul éclairage de celle-ci était une ampoule nue qui pendait du plafond par ses fils électriques. Elle ne se sentait pas à l'aise. Elle étouffait et le monde présent dans cette pièce n'arrangeait rien. Ils la regardaient tous. L'homme qui la soutenait, commença à faire les présentations. Il y avait au moins quinze personnes dans cette pièces. Tous rangés autour de la table où avait été disposé un buffet de petits fours salés et de biscuits. Les tasses et les verres étaient pêle-mêle ainsi qu'un assortiment de bouteilles. Cela ressemblait à une réunion de vente à domicile et elle avait l'impression que la marchandise, c'était elle.
Il lui présenta tour à tour : Monsieur le maire, les adjoints, la secrétaire, le personnel de la maison de retraite qui s'était occupé de Clothilde, la directrice accompagnée des voisins de chambre de Clothilde, le notaire maître Nicoles, les anciens voisins et amis. Il y avait un petit homme chétif avec de petites lunettes rondes. Il se tenait en retrait, un verre de cidre à la main et un biscuit dans la bouche, ce qui ne l'empêcha pas de la saluer. C'était Basile, un grand-oncle par alliance, instituteur en fin de carrière. Non loin de lui, une femme effacée, brunette aux cheveux courts portant des vêtements sombres et usés. Elle était derrière un homme imposant, dont le visage était violacé par l'alcool. Il les présenta comme sa grand-tante par alliance Rosetta, son mari Pierre et leurs trois enfants, Sophie l'ainée et les jumeaux Guillaume et Nicolas. Pour finir, ses grands-oncles, Edmond et son frère Robert qui ne l'avait pas lâché. Elle comprit, lors de cette présentation que tous se connaissaient. Donc, l'inconnue qui arrivait, c'était Mathilde, l'arrière petite fille de Clothilde. Elle se sentit ridicule, en pensant aux questions qu'elle s'était posée lorsque Edmond, Jacqueline et Robert l'avaient interpellé par son prénom. Dans ses songes, elle constata que la famille recomposée qui l'avait tant angoissé par ces membres, se limitait. D'ailleurs, elle remarqua que Jacqueline n'était pas présente.
Cette fin de journée fut longue, petit à petit la pièce se vida et elle put admirer à sa guise le décor de cette pièce, plus que rustique. Les murs étaient en pierre apparente où la poussière et les toiles d'araignées avaient établi un voile presque uniforme. A droite de l'entrée, il y avait une cheminée ouverte avec deux tabourets en bois disposés de chaque côté de l'âtre. A son opposé, un buffet en chêne massif sculté. Juste avant ce buffet, à l'entrée, un chiffonnier où l'on avait posé deux cadres, sur l'un la photographie en noir et blanc de Clothilde avec ses deux fils Edmond et Robert en bas âge, sur l'autre un portrait en sépia, sur lequel Mathilde s'attarda car Clothilde devait avoir son âge. Elle contemplait ces portraits, les deux seuls objets qui avaient été nettoyés pour la petite réception. Cette femme l'intriguait de plus en plus, elle repensa à son petit cadeau, la curiosité commençait à lui chatouiller l'esprit. Elle voulut prendre congés auprès de ses oncles mais ils refusèrent la priant de rester encore. Il faisait nuit noire quand la dernière personne, Monsieur le maire, quitta la maison accompagné des deux oncles. Lorsqu'ils rentrèrent, elle les observa dans la lumière du perron.
Edmond, le petit trapu n'avait pas de cou, ses quelques cheveux noirs étaient rabattus en une mèche plaquée sur son cuir chevelu. Son costume noir était élimé et de par sa prestance et ses manières, elle s'imaginait qu'il était comptable. Quant à Robert, il était plus grand, plus élancé mais voûté. Son visage était plus doux, ses cheveux grisonnants lui donnaient du charme, mais son accoutrement était miteux. Il donnait l'image du vieux garçon, agriculteur et il collait parfaitement à l'environnement de cette maison.
- Assieds-toi donc ! lui dit-il en entrant et sortant le banc en bois qu'il avait glissé sous la table pour faire plus de place.
Il prit sa vieille chaise qui était à côté du buffet et dont la paille partait en lambeaux. il s'assied et de ses deux mains, entreprit de pousser tout ce qu'il y avait devant lui.
- Tu veux peut-être un coup de main pour débarrasser tout ça ? Lui proposa-t-elle.
- Non, non ! on verra ça demain, lui répondit-il en lui faisant signe de s'assoir à côté de lui. Veux-tu boire ou manger quelque chose ?
- Un verre d'eau, s'il te plaît.
Elle avait bu du cidre que Edmond fabriquait et la dureté de celui-ci lui avait desséché la bouche. Robert s'assit en face d'elle, repoussa de sa main les quelques verres et miettes, prit sa tasse et se servit une louchette de liqueur de prune qui macérait dans un pot "parfais". Il la dévisagea de ses yeux lugubres et d'un seul coup se releva, alla chercher le portrait de Clothilde et revint s'asseoir.
- Tu lui ressembles, n'est-ce pas Edmond ? en lui montrant la photo.
- Elle en a un brin ! Le même regard et la même bouche. Le reste c'est de sa mère.
Ils continuaient leur expertise en sirotant leur breuvage. Mathilde avala son verre d'eau d'un traite et s'en servit un autre. Elle voulait sortir de cet endroit, aller respirer de l'air frais car elle ne savait pas quoi dire à ses deux personnages. Il lui vint à l'esprit, Jacqueline.
- Tu ne vas pas dormir, chuchota Robert, l'eau ça coupe le sommeil, ajouta-t-il.
- Ah bon ! lui répondit-elle d'un air dubitatif. Elle en profita pour enchaîner, vous connaissez Jacqueline ?
- Jacqueline? Ils se regardèrent interloqués.
- Jacqueline....Morgin, la meilleure amie de Clothilde !
- Jacqueline Morgin ? insista Robert
- On ne la connaît pas, dit Edmond en faisant la moue.
Mathilde les regardait tour à tour.
- Elle doit habiter dans le coin, elle m'a dit de passer la voir quand je le voulais.
- Ah.... la vieille qui te parlait sur le banc, s'exclama Edmond.
- Oui.
- C'est la folle, dit-il en regardant son frère. Qu'est ce qu'elle te voulait ?
- Et bien, elle m'a dit qu'elle était la meilleure amie de Clothilde...Elle pensa à la boite au fond de sa poche. Devait-elle leur en parler ? Elle reprit, elle m'avait l'air tout à fait sensée. Où habite-t-elle ?
- Dans la vallée, de l'autre côté de la rivière. Tu n'as pas vu le petit pont à côté du cimetière ? lui demanda Robert.
- Non.
- Et bien, quand tu as passé ce pont. Tu suis le chemin jusqu'au vieux moulin, il y a deux masures. Elle vit dans l'une d'elle.
- Et, était-elle vraiment une amie de Clothilde ?
- Hum...elle se connaissait pour sûr, c'est sa soeur, mais elles ne se côtoyaient plus, dit Robert.
- Elle n'est même pas venue aux cérémonies alors de là, à dire que c'était sa meilleure amie ! reprit Edmond en se servant à son tour de la liqueur de prune.
- Sa soeur ? Donc votre tante!....et, pourquoi dites-vous qu'elle est folle ?
- A une époque, elle posait des questions bizarres et racontait de drôles d'histoires à propos d'enchantements, de sortilèges. Alors certains la prenaient pour une folle et les autres disaient d'elle que c'était une sorcière. En tout cas les gosses du voisinage en avaient une peur bleue.
- Les gens du village l'ont nommé la folle et nous ne l'avons jamais fréquenté, ajouta Edmond en prenant une gorgée de son élixir.
- Elles étaient fâchées avant que l'on naisse, renchérit Robert.
Après quelques minutes de silence et ces quelques révélations, elle prit congé de ses chers oncles qui l'avaient invité à rester mais elle s'imaginait, la chambre d'amis, et préférait donc la vieille pension de famille.
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