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Après avoir quitté Mathilde, Jacqueline voulait profiter du rassemblement de la population Fremanvillaise au cimetière pour faire le tour du village. Elle était à peine sortie du parking qu'elle avait enlevé son chignon. Ses cheveux si bien coiffés étaient libres et avaient repris leurs plis originels, une masse volumineuse et indomptable lui entourait la figure. Elle avait également défait ses boucles d'oreilles et les avaient balancés sur le bas côté de la route. Son visage s'était fermés, ses yeux noirs méchants n'engageaient personne à lui adresser la parole. Elle affichait un sourire narquois. Elle n'avait qu'une hâte rentrer et se défaire de cet accoutrement. Mais avant cela, il fallait qu'elle profite de cette situation. Elle avait décidé d'aller faire quelques tours dans ce village qu'elle avait toujours détesté. Depuis que Clothilde avait décidé de poser ses valises ici. Elle était venue s'y installer aussi, et était bien décidée à lui usurper son rôle. Ça avait été long, après maintes tentatives mais maintenant c'était à elle de jouer. Elle décida de passer devant le restaurant "Bit' chez nous" et creva les roues de trois véhicules stationnés. Puis elle descendit à la boulangerie, entra par derrière sans être vue, dérégla le four électrique. Dix minutes après le fournil prenait feu. Ensuite, elle s'arrêta sur le port et arracha les fils des radios de trois bateaux amarrés. Elle se dirigea vers le poste de secours des SMSN força la serrure et vida les réserves de fuel, remplit les poches de sa veste avec les produits de la trousse de secours. . Elle remonta, enferma sur son passage le boucher dans sa chambre froide et finit par rentrée chez elle, rassasiée.
Après s'être debarrassée de son tailleur qu'elle rangea dans une malle sous son lit, elle remit sa longue robe noire et son tablier. Elle partit ensuite dans son jardin ramasser quelques herbes aromatiques, ainsi que des orties pour faire de la soupe. Pour Jacqueline pas besoin de gants, elle les ramassait à pleine poignée, entourée de ses deux molosses qui lorsqu'elle était dehors la suivaient bottes à bottes. Elle leur racontait ce qu'elle venait de réaliser et les chiens semblaient se délecter de ses dires. Ils étaient très grands et gros, leur pelage noir et feu était ébouriffé et sale. Leur tête était aussi grosse que celle d'une vache. Leurs crocs blancs ressortaient sur leurs babines dégoulinantes de bave. Ils étaient monstrueux et à chaque révélation malfaisante de Jacqueline, ils grognaient de satisfaction. Son sac de jute plein, elle allait rentrer lorsqu'un des chiens voulut lui attraper son mollet. Elle ricana en lui disant :
- Calme- toi Kerberos et toi aussi Garm en leur lançant son regard noir. Vous aurez votre repas tout à l'heure, je vous ai réservé une surprise.
Son sac sur l'épaule et dans l'autre main un bouquet de fleurs, elle entra dans sa maison. Les deux clébards la suivirent mais s'arrêtèrent à la porte d'entrée et s'assirent de chaque côté de celle-ci. A l'intérieur, elle déposa son sac sur la seule et unique table en bois de la seule et unique pièce de cette maison. En face de la porte en bois grinçante, une immense cheminée avec en son centre une vieille marmite suspendue. Quelques braises crépitaient encore, elle s'avança et déposa deux fagots. La fumée envahie la pièce mais cela ne sembla pas la gêner. Lorsque de petites flammes se montrèrent, elle mit trois bûches et le feu vint lécher le fond noir de la marmite. Elle attrapa un vieux seau rouillé et la surprise, deux gigots d'agneau qu'elle avait volé sur l'étale du boucher après l'avoir enfermé, elle sortit de nouveau. Elle savait bien qu'un jour, elle aurait sa revanche sur cet individu. Monsieur le boucher était un homme bon et gentil. Clothilde avait fait appel à lui à plusieurs reprises pour venir l'aider dans son association. Il était employé à servir de la soupe au plus démunis, et par charité il ajoutait des morceaux de boeuf pour agrémenter cette soupe claire. Il était veuf et espérait retrouver dans cette activité une compagne. Jacqueline tenta de le séduire mais il n'était pas du tout réceptif à ses avances. Elle essaya même quelques décoctions pour lui tourner la tête, sans succès. Puis un jour, elle décida qu'il devait lui tomber dans les bras. Elle entra dans sa boutique juste avant la fermeture, lui fit les yeux doux, l'aguicha. Elle passa derrière son comptoir pour lui montrer une morsure de vipère située au-dessus de son genou. En être civilisé et délicat, le boucher regarda et lui dit quelques mots compatissants. De là, elle l'attrapa par le cou et l'embrassa de force. Celui-ci voulut se dégager de cette étreinte, non consentie, mais elle insista pour qu'il la prenne comme une bête sur le billot à viande. Monsieur, le boucher au lieu d'être tenté, se fâcha, la bouscula et la mit hors de sa boutique en lui interdisant de revenir. Après cet affront, Jacqueline avait rabattu ses cotillons, était partie en l'injuriant et ricanant. Elle l'effrayait. Depuis il évitait de croiser le chemin de cette femme. Mais, elle en avait décidé autrement, elle voulait sa revanche et l'avait obtenue lorsqu'elle avait fermé la porte de la chambre froide dans son dos comme il lui avait fermé la porte de sa boutique quinze ans auparavant. Personne ne saurait, sauf elle, et elle jubilait.
Elle sortit et balança à ses gardiens leur pitance. Elle les regarda un instant arracher et déchiqueter la viande. Celle-ci semblait être de la mousse dans laquelle les crocs des chiens glissaient et ressortaient colorés de sang frais et visqueux. Jacqueline souriait devant ce spectacle, puis tout en souriant elle continua son chemin avec son vieux seau. Elle s'arrêta sur le côté de la maison où passait la rivière qui d'antan faisait tourner la roue à eau qui entraînait la meule à l'intérieur pour moudre le blé. Elle avait acheté ce moulin avec l'argent de son défunt mari. Ce lieu isolé de tout et de tous était tout ce qu'elle aimait mais elle n'entretenait rien. Le jardin malgré la floraison abondante à cette période de l'année n'était que fouillis entre les plantes d'agréments et les mauvaises herbes. La maison partait en ruine. Les deux fenêtres en bois étaient pourries ainsi que les volets dont un était tombés, arrachant le fermoir et la pierre. Jacqueline se tint au pignon, se baissa pour prendre de l'eau et revint à l'intérieur. Au passage, elle jeta un oeil au reste des gigots. Elle vida le tiers de son seau dans la marmite, prit les orties et les depeça de toutes leurs feuilles qu'elle plongea dans la marmite avec trois grosses pommes de terre non épluchés. Elle remit des bûches sur le feu et partit chercher sur une étagère en bois où les toiles d'araignées ne retenaient plus que la poussière, son pileur et deux pots. Puis elle s'assit et commença à équeuter les fleurs de ce magnifique bouquet coloré : des boutons d'or, des pâquerettes, du chèvrefeuille, du lierre, du rhododendron, de l'hysope et pour finir du laurier rose. Elle était concentrée sur ce qu'elle faisait et n'avait pas vu ni entendu deux chats qui étaient entrés se mettre au chaud auprès du feu sous les fagots. Ils s'étaient faufilés discrètement entre les deux gardiens qui s'étaient assoupis le ventre plein. Jacqueline continuait consciencieusement, elle semblait bougonner seule au-dessus de ce massacre floral. Elle pila quelques fleurs pour en faire une pâte qu'elle disposa sur un morceau de tissu. Elle le plia, le ferma d'un morceau de raphia et alla le déposer dans un pot en terre situé à l'extrémité de l'étagère près de la cheminée. Ensuite, elle effeuilla les dernières fleurs, disposa les pétales dans les pots qu'elle ne referma pas et alla les mettre sur la poutre au-dessus de la cheminée à côté d'autres pots. Ceux-ci ne comportaient aucune inscription mais elle savait ce qu'ils contenaient. Elle en prit un, huma son parfum, prit une pincée, mélange de thym et de basilic qu'elle jeta dans sa marmite bouillonnante. Elle ajouta un oignon et une gousse d'ail toujours non épluchés. Puis elle saisit sa cafetière, la remplit d'eau du seau et la mit sur un trépied. En peu de temps celle-ci se mit à chanter, Jacqueline reprit un pot qu'elle sentit et mit à infuser une poignée de ce mélange. Elle déposa sa moque sur la table et se versa une pleine bolée de sa préparation. Elle but goulûment ce breuvage brûlant puis s'affaira à ranger, à balayer son sol en terre battues pendant que sa soupe cuisait. Jacqueline fit pivoter la marmite et se servit une assiette. Elle coupa une pomme de terre en deux, attrapa l'oignon, le dépieça et en déposa dans son assiette puis elle garnit le tout d'une louche de feuilles d'orties et de bouillon. Elle mangea paisiblement près du feu, assise sur un tabouret. Après s'être repue, elle alla se coucher toute habillée. Ses journées se ressemblaient, elle faisait cueillette pour réaliser ses potions, en faire des provisions pour l'hiver et hantait les rues, les chemins, les maisons, faisait des vilenies de tous genres, empoisonnait de ses mixtures quelques tasses et revenait dans sa tanière comme une bête sauvage. Mais en s'endormant ce soir là, le sourire aux lèvres, elle savait que tout allait bientôt changer.
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