20.
Depuis que Julien avait incendié la voiture et le beau-père de Macaria, ils se faisaient discrets. Ils avaient tout planifié dans les moindres détails. Et pour son plaisir, elle avait demandé à Julien de filmer leur crime "parfait". Mais, après avoir consommé, consumé ce film, elle voulait passer à autre chose.
- Je m'ennuie, Julien. Qu'est-ce qu'on pourrait faire ?
Julien muet, assis sur le canapé les yeux dans le vague. Agacée par son silence, elle insista :
- C'est bon maintenant, ça fait assez longtemps, ils ne vont plus avoir de soupçons sur nous. J'ai envie de faire...
- Faire quoi ? dit-il en relevant la tête, les yeux cernés, vides.
Macaria étendue sur le dos, nue, une cigarette à la bouche, se redressa et s'assit à côté de Julien. Ses yeux noircis coulaient sous la chaleur du cabanon. Elle fixait l'étagère, le sourire et les pommettes rosies de satisfaction. Celle-ci croulait sous les cadavres en décomposition qui se mouvaient emplis de charognards. L'odeur macabre emplissait l'endroit restreint. Macaria écrasa sa cigarette et souffla exaspérée par l'attitude de Julien :
- Je n'en sais rien, répondit-elle sèchement, mais sûre que tu vas trouver une bonne idée. Allez ! Dis-moi à quoi tu penses, ajouta-t-elle en le poussant du coude pour le stimuler.
- Ok... On va dans la forêt près du viaduc, on trouvera bien deux ou trois bestioles...
Il ne termina pas sa phrase, qu'elle le saisit par le cou.
- Géniale comme idée. On part maintenant !
- Il faut que je fasse le plein de la mobylette et... on y va.
Julien se leva, attrapa son jeans tombé sur ses chevilles, s'habilla et partit.
Les yeux hagards marqués par ses nuits cauchemardesques ou les hurlements de cet homme prisonnier de sa voiture, le hantait. Hanté et envoûté par son désir de voir, d'entendre crépiter les flammes et d'assouvir les désirs de Macaria. Julien perdu ne savait pas où tout cela allait s'arrêter, mais c'était plus fort que lui.
Macaria l'attendait au pignon du garage, effilochant nerveusement le bas de son tee-shirt noir. Elle enfourcha le porte bagage rembourré d'un carré de mousse et foncèrent sur la route sous une bruine glaciale. Ils passèrent par les derrières du château et arrivèrent sans croiser le moindre véhicule. Julien emprunta un chemin boueux qui s'enfonçait dans la forêt, cacha sa mobylette sous des fougères et ils commencèrent leur quête. Macaria euphorique sautait, gesticulait comme une petite fille heureuse de sa promenade. Julien, machinalement la suivait.
Un bois très vaste, touffu de conifères et caducs, chênes, châtaigniers et bien d'autres dont les branches abondement chargées des futurs fruits de l'automne s'étendait devant eux. Macaria battit des mains devant un tapis de fraises sauvages chargé à souhait qu'elle se mit à déguster. Julien, assis sur un tronc, attendait absent qu'elle ait terminé. Dans son for intérieur, il savait que ce qu'il avait entrepris avec elle était mal. Partagé avec, d'un côté le Julien doué à l'école, réfléchit, défenseur dans l'équipe de foot et enfant de chœur tous les dimanches, il aimait être ce Julien là. Et puis, le Julien rebelle, amoureux, libre, désireux de mettre le feu et d'assouvir ce plaisir, ses plaisirs. Tous ses sens en redemandaient. Il se sentait fort, indestructible et il aimait être ce Julien là aussi. Mais, tuer un homme pour le plaisir de tuer, de venger Macaria et sans lui avoir laissé la possibilité d'être jugé était un dilemme. Cette mort atroce l'avait-il vraiment méritée ? Julien n'en pouvait plus de ressasser cet évènement. Il était fatigué. Il aurait voulu se libérer de ce poids énorme et pour cela avait rendu visite au prêtre. Agenouillé devant lui, il avait tant pleuré mais n'avait rien pu dire. Il ne pouvait pas la laisser. Alors, assis sur le tronc les yeux dans le vague, il l'attendait transi.
Rassasiée de fraises, elle revint vers lui les mains rougies par le froid et le jus. Il se leva sans mot dire et reprirent leur marche. L'après-midi était bien avancée. Ils n'avaient toujours pas trouvé de quoi assouvir la soif de Macaria et elle commençait à perdre patience surtout devant la morosité de son partenaire.
- Ça n'a pas l'air de t'amuser d'être là ! dit-elle méchamment.
- Si, c'est l'endroit idéal... en remontant par là, on va se retrouver à l'entrée du viaduc. Tu es déjà venue par là ?
- Non.
- Tu vas voir, c'est magnifique. On passe cette colline et c'est derrière là-bas.
- Je ne pensais pas que c'était si loin. On va rentrer dans le noir, dit-elle retrouvant son euphorie.
Elle partit en courant, escaladant le monticule de feuilles et de branchages et se mit à crier lorsqu'elle atteignit le haut :
- Y a une rivière !
Julien monta tranquillement et arrivant au sommet chercha Macaria. Déshabillée, nue, elle barbotait dans l'eau translucide de la rivière. Julien sourit et dévala la pente pour la rejoindre :
- Elle doit-être glaciale ?
- Pas vraiment. Tu sais que j'ai le corps chaud alors un peu de fraîcheur... Tu viens ?
Julien ôta ses chaussures, ses chaussettes et glissa un orteil dans cette limpidité :
- Whoua, elle est glaciale, dit-il en retirant brusquement son pied.
- Elle est juste bien.
Macaria étendue sur le dos, flottait. Son corps blanc ressortait sur ce miroir sombre reflétant la pénombre du sous bois et de la fin de journée. Ses cheveux dansaient sur la surface, sa barrette glissa libérant la chaînette de trombone tirant sur son lobe. Macaria se retourna et nagea. L'eau s'évaporait à son contact. Assis sur la rive tapissée de feuilles mortes et de jeunes végétations telles des jonquilles, des clochettes, des violettes, il l'observait perplexe.
- Alors, tu viens ? le relança-t-elle.
- Non, sans façon.
La bruine avait cessé depuis une bonne heure mais il était frigorifié et cette masse froide ne le tentait pas du tout. Il remit ses chaussettes et aperçut dans ce mélange de végétation, un crapaud. Julien lui sauta dessus avant qu'il ne fasse le grand plongeon.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? lui demanda-t-elle
- J'ai trouvé de quoi nous amuser, dit-il fièrement.
- Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ?
- Une bombe !
Macaria se redressa rapidement. Dégoulinante, les cheveux plaqués sur son crâne, le visage inondé de maquillage, elle avançait vers Julien qui la regardait souriant. Son sourire s'effaça.
- Qu'y a t-il ?
- T'es blessée ?
- Comment ça ?
- Regarde ton bras.
Elle baissa la tête et vit en effet du sang. Elle s'accroupit, se rinça. Julien la scrutait :
- Ton oreille !
Elle y porta aussitôt sa main :
- Ah ! j'ai perdu ma chaîne. Donne-moi mon tee-shirt, lui ordonna-t-elle en sortant de la rivière. Bon... on s'en occupe de cette bombe. Mais, c'est un crapaud ! s'exclama-t-elle joyeusement.
- Ouais !
L'humeur maussade de Julien avait disparu devant l'affreux crapaud. Toutes ses préoccupations de ces derniers jours s'évanouirent dans une montée d'adrénaline. Il s'écarta de la rive, dégagea d'une main une parcelle du tapis de feuilles mortes. Macaria l'observait tout sourire :
- Alors cette bombe ? s'impatienta-t-elle.
Julien lui tendit le gros crapaud et elle le saisit sans aucune hésitation. Il sortit de sa veste en Jeans son paquet de cigarette.
- T'en veux une ?
Elle acquiesça d'un mouvement de tête, le crapaud gesticulant dans ses mains. Il en alluma une, lui déposa entre ses lèvres, puis s'en alluma une. Julien prit sa cigarette et l'enfonça dans la bouche du crapaud. Celui-ci se calma aussitôt.
- Tu peux le poser maintenant, doucement.
Le crapaud immobile se mit à aspirer. Ces flans commencèrent à se gonfler.
- Il ne va pas exploser ! dit-elle déçue.
- Attends.
Il sortit de sa poche un énorme pétard.
- Trop bien ! C'est moi qui l'allume.
- Si tu veux mais attends qu'il ait terminé sa dernière cigarette.
Ils éclatèrent de rire. Macaria pieds-nus, sans sous-vêtement ne semblait pas affectée par le froid tombant. Julien enfila le pétard à la place de la cigarette et partit se mettre à l'abri derrière un arbre. Macaria resta sans bouger, fixée sur la mèche du pétard. L'explosion ne tarda pas, raisonnant dans tous les environs. Il ne resta rien du crapaud, seules les éclaboussures de sang et de chair étaient les témoins du massacre sur le corps et le visage de Macaria. Les pupilles dilatées, elle chercha Julien du regard.
- Viens là, lui ordonna-t-elle.
Son plaisir assouvit, elle retourna dans la rivière pour se débarrasser des restes du crapaud puis se rhabilla.
Ils reprirent leur marche et s'arrêtèrent brusquement lorsqu'ils entendirent des chiens hurler.
- Il y a une battue ? questionna-t-elle
- Non, pas à cette époque. Viens, on va voir.
Ils coururent en direction des hurlements et aperçurent une silhouette s'enfuir à l'opposé. Une odeur attirait Julien. En s'approchant, il sentit un frisson le parcourir. Macaria sentit l'odeur du sang qui la mit dans le même état d'excitation que Julien. De la fumée sortait de la cheminée du moulin. Se faufilant et se cachant derrière les arbres et la végétation dense de la saison, ils arrivèrent derrière le moulin. Julien observa furtivement par un trou dans le mur en pierre. Il vit Jacqueline qui s'affairait en ricanant.
- c'est la vieille sorcière qui habite là ! dit-il en se retournant vers Macaria.
- Qui ?
- Chut ! fit-il en mettant un doigt sur sa bouche.
Ils restèrent un moment à l'observer puis Julien dit :
- J'y fous le feu.
- Bonne idée.
Ils gagnèrent le pignon. Julien, le premier vit les deux chiens qui finissaient leur repas.
- Comment vas-tu t'y prendre ? chuchota-t-elle.
- Ça va être du gâteau. C'est tellement vieux, tout est pourri et regarde sous les tuiles, il y a des nids. Je vais en prendre derrière, tout tasser dans cette vieille caissette en bois, dit-il en la ramassant. Et, je vais la balancer dans la fenêtre. Qu'en dis-tu ?
- Ouais, de toute façon on va bien se marrer.
Macaria au pignon se délectait de la vue des chiens. Leurs babines rougies et le craquement des derniers os sous leurs crocs la faisaient frissonner. Julien revint avec la caissette pleine de nids, de paille sèche :
- Rien à signaler ?
- Non, elle n'a pas bougé de sa bicoque. Et, t'as vu ses chiens !
- Oui, justement dès que j'ai tout balancé, on se tire car je n'ai pas envie dans laisser un morceau dans leurs gueules.
- On regarde quand même ?
- On va se planquer là-bas derrière la haie.
Julien saisit son briquet dans le fond de sa poche, le caressa, l'embrassa et l'alluma. Il souffla délicatement sur la flamme jaune et bleue, l'approcha de son amorce qui prit aussitôt. Il jeta un œil furtif aux chiens et balança violemment la caissette dans la fenêtre. Elle atterrit sur le lit qui s'enflamma. Julien et Macaria se faufilèrent jusqu'à la haie, laissant les cris de jacqueline qui après l'effet de surprise empoigna son balai et entreprit d'éteindre le feu.
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