Il fallait si attendre, mais cette situation on n'a beau y penser longtemps avant. On n'a beau essayer de si préparer psychologiquement. Et bien non. Tout le monde pleure, même ceux qui n'avaient pas donné signe de vie depuis des années. C'est à se demander si les enterrements ne sont pas une sorte d'échappatoire occasionnelle pour extérioriser les problèmes personnels. Une séance de psychologie gratuite, en quelque sorte. D'autres pleurent mais de joie, pensant au testament et imaginant leur futur maison secondaire ou leurs prochaines vacances sous le soleil des tropiques. Et bien sûr, les derniers qui ne sont pas vraiment nombreux mais qui sont vraiment attristés de perdre cet être cher. Et, il y a Mathilde qui les regarde ni triste, ni gaie mais affligée par l'espèce humaine et leurs états d'âme. Elle est une des quelques personnes présentes à ne pas verser de larmes. Est-elle insensible? Pourtant elle l'aimait bien cette arrière grand-mère qu'elle ne connaissait pas vraiment. Elle était gentille, attentionnée quand elle allait lui rendre visite avec Anne sa mère, petits gâteaux, lait chaud et toujours un petit cadeau, mais utile. Une écharpe, des gants ou un pull qu'elle avait tricoté et elle donnait à chaque visite un chèque à sa petite fille pour les soi-disant futures études de Mathilde. Anne n'avait jamais été très prévoyante dans ses projets, même pour sa fille donc elle profitait de cet argent pour ses sorties et effets personnels. Mathilde n'avait pourtant pas à se plaindre, elle avait toujours de quoi dans son assiette et cette situation ne l'avait pas empêché de réaliser des études dont elle était fière, car elle les avait financé elle-même, en travaillant. Par la suite, Mathilde ne vit plus beaucoup son arrière grand-mère Clothilde. D'ailleurs elle n'habitait pas la porte à côté. Excellente excuse surtout sur la fin de vie de Clothilde. Celle-ci délirait, les médecins lui avaient diagnostiqué la maladie d'Alzheimer, mais Mathilde n'y avait jamais vraiment cru, peut-être pour garder bonne conscience, du fait, qu'elle ne s'était rendue que très rarement dans cette maison de retraite. Aussi, parce qu'à chaque fois qu'elle allait lui rendre visite, Clothilde la reconnaissait et lui racontait toujours la même histoire. Du style "Qu'un jour son prince viendrait", mais la quarantaine arrivant elle n'y croyait plus. Parisienne à fond dans le boulot six jours sur sept, " Métro, Boulot, Dodo" c'était Mathilde. Alors les histoires de Clothilde, elle les écoutait toujours entre deux SMS. Pas très respectueux mais Mathilde pensait que Clothilde s'en fichait et qu'elle était simplement contente de la voir, de lui ressasser cette histoire d'amour. Mathilde allait bientôt rencontrer l'âme soeur, elle en était sûre, car elles descendaient d'une lignée de femmes exceptionnelles. Elle était heureuse dans ces moments là. Ses yeux pétillaient, bien que Mathilde ne soit attentive que d'une oreille mais elle la regardait du coin de l'oeil. Elle était belle même vieille, ses cheveux blancs remontés en chignon soigné, son visage très ridé paraissait calme et apaisé. Elle souriait tout le temps.

Mathilde avait l'impression que cette journée de cérémonie endeuillée, allait perdurer, mais l'ambance de cette église était reposante. Elle avait été amménagée de dizaine de compositions florales dont deux magnifiques, de lys blancs et roses qui embaumaient ce lieu de recueillement. Mathilde laissait ses yeux errer dans ce lieu d'une autre époque, elle admirait le plafond en forme d'arc, en plein cintre avec des arêtes en berceau pour la croisée de deux voûtes, typique à l'art roman. Elle admirait les peintures murales en restauration et écoutait l'orgue à soufflerie qui se donnait à plein poumon, actionné par une petite bonne femme qui avait bien du mal à toucher les pédales. Elle préférait se réfugier dans cette expertise que de continuer à examiner tour à tour les personnes dont elle ne connaissait pas les visages et les liens. Mathilde était une des seules descendantes directes de Clothilde. Bien que celle-ci se soit mariée trois fois. Anne étant la seule fille de sa fille Antoinette qu'elle eut de son premier mariage avec un certain Jean-marie. Il fut tué au combat, lors de la deuxième guerre mondiale. Le reste de la composition familiale était floue pour Mathilde. Mais, elle savait qu'elle allait bientôt en savoir davantage avec les droits de succession. Car son aïeule était un pigeon voyageur, elle avait trimballé sa grand-mère Antoinette dans la France entière afin de suivre ses différents époux et elle avait eu d'autres enfants. Mathilde ne les avait pas vraiment connues car Anne et Antoinette n'étaient plus en bon terme avec Clothilde depuis des années. Elles avaient renoué contact lorque Anne était tombée malade, l'année précédente. Elle fut emportée par un cancer du foie, foudroyée en deux mois. Puis Antoinette qui ne s'en n'était pas remise, les avait quitté trois mois après. Bref, c'était peut-être pour ça que Mathilde ne pleurait pas aujourd'hui. Elle avait déjà donné. La cérémonie fut simple. Clothilde avait souhaité que soit diffusé à la fin de celle-ci, la chanson "mon amant de St jean", l'originale interprêtée par Lucienne Delyle, ce qui fut respecté. Mathilde en fut étonnamment touchéee, elle frissonnait, mais crut que la fraîcheur de l'église y était pour beaucoup. Et puis, elle n'était pas habitué au "climat" car si elle avait su, elle aurait porté un pantalon au lieu d'un jupe, un gilet à la place de sa veste et surtout des chaussures fermées.

C'était la fin d'un après-midi ensoleillé, lorsqu'ils sortirent de l'église humide située dans le creux d'une vallée adjacent à un cours d'eau. Tout le monde prit la direction du cimetière du souvenir où les cendres de Clothilde seraient dispersées. C'est à ce moment là qu'un homme petit et trapu vint accoster Mathilde.

- Nous allons tous à la maison de Clothilde, elle a prévu et organisé un petit "goûter" pour ceux qui le désirent. Tu es la bienvenue Mathilde.

Elle fut surprise, par sa voix aigrelette et mit quelques minutes avant de lui répondre.

- Merci, mais je dois repartir, je travaille demain.

- Et le rendez-vous chez le notaire, tu n'y va pas ?

- Je ne suis pas au courant. Personne ne m'a rien dit.

- Ça ! c'est encore un oubli de Robert, il n'a pas du donner tes coordonnées au notaire. Tu dois venir, ajouta-t-il d'un air autoritaire.

- Oui, mais quand est-ce ?

- Demain après-midi, seize heures à l'étude de maître Nicoles à côté de la grande place. Avant la maison de retraite sur ta gauche, tu vois ?

- Cela me paraît compliqué, je n'ai posé qu'une journée.

- Si tu n'es pas là, il va repousser la date de la lecture du testament et connaissant le système notarial, il va bien nous repousser de trois à six mois. Ça t'obligera à revenir.

- En effet.... je vais voir ce que je peux faire.

Elle le scrutait, la façon de faire de ce Robert et de ce personnage en disait long sur leur entente, et sur l'importance pour certain de l'ouverture de ce testament.

- La maison de Clothilde? reprit-elle, elle ne l'a pas vendu pour aller en maison de retraite?

- Bien sûr que non, elle n'a jamais voulu. C'est Robert qui la loue.

- Ha.... bien et où est-ce ?

- Tu ne t'en souviens pas ! lui dit-il d'un air narquois.

- J'étais jeune lorsqu' Antoinette s'est fâchée. Je devais avoir huit ou neuf ans. Ensuite, je n'ai revu Clothilde qu'à la maison de retraite.

- De fait... Tu n'auras qu'à me suivre.

- D'accord mais je m'arrêterai à l'hôtel pour prendre quelques vêtements plus chauds.

- Tu as pris une chambre dans ce boui-boui !

- Pourquoi? Vous avez un hôtel formule 1 dans la région, lui répondit-elle agacée.

Haussant les épaules, il tourna les talons en lui précisant qu'il l'attendrait pour partir.

Dans ce trou perdu de Normandie, s'il y avait eu un hôtel un peu plus moderne, elle y serait descendue. Mais là, à part la vieille pension de famille, nommée "Bi t'chez nous". Il n'y avait rien d'autre.