Tout en haut d'une colline par-delà les maisons bien rangées et le clocher se trouvait une grande demeure. Personne ne s'y approchait par superstition, on y racontait que le diable en personne l'avait pris en lieu de villégiature, et que nulle âme n'en revenait.

Surplombant les toits arrosés par le soleil, la créature contemplait leurs vies anodines et le beau cimetière bordant l'église blanche. Tandis que s'élevait du tourne disque une ritournelle, des larmes roulèrent sur ses pommettes.

Lucile rêvait en classe comme à son habitude, son regard se dirigeait vers l'inaccessible maison, elle imaginait de belles dames et de parfaits gentlemen avoir des charmantes conversations près d'une fontaine. Un salon en velours comme elle avait pu en voir dans le catalogue du magasin, des chandeliers, de l'argenterie, des dorures brûlaient de milles soleils dans son esprit.

« Si tu continues comme ça le vampire va te dévorer et ce sera bien fait pour toi ! » s'exclama une fille de son âge accompagné de son clan.

Elle se tourna lentement vers eux et déclara sèchement « ça n'existe pas les vampires ! », la grande blonde se vexa et rétorqua : «-Qu'est-ce que tu peux en savoir ? T'en as jamais vu !

-Je parie que toi tu n'as jamais lu de traités de science.

-Ah j'ai compris, madame se croit plus intelligente que tout le monde parce qu'elle lit des trucs compliqués !

-Perds-pas ton temps avec elle, déclara son amie en ignorant la présence de Lucile

-Oui de toute façon elle finira vieille fille, asséna une autre. »

Elles se mirent à ricaner ostensiblement puis satisfaites de leur effet, s'en allèrent laissant Lucile perplexe ne sachant comment interpréter ce qu'il venait de se dérouler préférant passer outre. La fillette avait d'autres préoccupations, enfin elle en avait surtout une: prouver qu'il n'y avait aucun vampire, monstre, démon et autres chimères  dans ce manoir, que triomphe la science sur ses tendances affabulatrices d'histoires de bonnes femmes. 

L'enfant ne se reposait pas entièrement sur ses sens pour chaque phénomène ou ce qu'elle avait pu lire, pleinement consciente d'aller vers l'inconnu, sa volonté était forte : elle irait coûte que coûte là-bas.

Amatrice d'histoires courtes du genre détective dans les magazines qu'elle avait pu lire avec la complicité du propriétaire de la petite librairie, elle rêvait de pouvoir tirer au clair une affaire. Combien de fois s'était-elle endormie en rêvant de l'endroit ?

Il ne lui manquait qu'un prétexte, une forte raison pouvant la convaincre que c'était légitime, que ce n'était pas uniquement que son avide curiosité la poussant dans l'attraction de cette bâtisse décrépite. 

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Sans s'en apercevoir au lieu d'emprunter le chemin pour se rendre chez elle ses pas la menèrent vers l'endroit de ses désirs, pas assez prête pour entrer dans la propriété elle songea à rebrousser chemin. 

Ce serait sûrement suspicieux pour ses parents qu'elle tarde autant, il fallait trouver un moment propice à son exploration. Cependant l'idée de retourner chez elle directement ne lui plaisait pas, son père travaillait, sa mère s'occupait du logis et des petits comme elle pouvait sans trop prêter attention à Lucile. Puis sa maisonnée si propre, si petite inspirait une grande banalité tandis que ce manoir, la tenait en haleine.

C'est donc d'un pas assuré qu'elle pénétra la propriété non entretenue, elle fut impressionnée par une grande fontaine à l'eau insalubre, où la nature avait établi domicile, or ce ne fut rien comparé à la façade gargantuesque du manoir. Elle resta un long moment ébahie n'osant bouger, comme prise de vertige devant cette ruine immense. L'adrénaline grimpa tandis que lentement elle monta le perron, la poignée de porte contrairement au reste était en très bonne état. Fortement elle inspira et tira lentement la lourde porte grinçante.

Ses yeux miroitèrent devant tant de luxe poussiéreux, elle ne cessa de tendre son cou le plus haut possible se sentant telle une naine dans un palace. Des craquements lugubres se firent entendre résonnant dans le vide, elle songea que c'était comme si le manoir s'animait à chacun de ses pas. La beauté d'objets qu'elle n'avait jamais vu auparavant la fit oublier son but premier, chaque pièce était une source d'émerveillements alors qu'elle se trouvait vraisemblablement dans ce qui fut un salon une musique lointaine débutait. Tous ses muscles se raidirent d'angoisse, quelqu'un se trouvait à l'étage supérieur.

Son esprit fonctionna à toute allure, les pièces étaient sombres, il fallait retourner à l'entrée et passer devant le grand escalier coupé en deux en priant pour que personne ou rien n'y descende au moment où elle passerait. Elle fit de son mieux pour ne pas émettre de bruit, quand elle arriva près de la porte d'entrée grande ouverte elle se mit à lever la tête, la mélodie était belle. Elle distinguait une voix féminine chantant dans une langue étrangère, elle se questionna alors : « Un monstre écouterait-il un gramophone ? Pourquoi partir alors que je suis allée si loin ? Si ça se trouve la personne vivant-là est charmante, peut-être est-ce un vieil homme ? Ou un ermite ? Je pourrais jeter juste un coup d'œil par le trou de serrure et partir. .» 

Elle continuait à se parler ainsi mentalement tout en montant, elle marcha dans le couloir guidée par la musique puis se dirigea vers la pièce où celle-ci se faisait plus forte, elle se mit à entendre couvert par le son de la chanson des grognements et gémissements. Son cœur battait à la chamade les bruits provenait d'une chambre à l'ouverture entrebâillée, il lui était impossible de regarder correctement sans s'exposer.

Ne sachant si elle devait fuir précipitamment ou tenter un mouvement audacieux elle resta bloquée dans l'oblique de la porte. Brutalement la musique coupa.

Était-elle repérée ? Elle l'ignorait, elle contrôla du mieux qu'elle pouvait sa respiration.

Jusqu'à ce qu'elle entende proche d'elle: « Tu es revenue ? »