Chapitre XIV
N'oublie pas... Le mouvement est le meilleur moyen de rester invisible.
Depuis plusieurs jours, Loki se levait tous les matins à l'aube. Il courait ensuite, avec ses camardes de caravanes, s'occuper de toutes les petites tâches ingrates qui maintenaient le cortège à flot : nettoyer les linges, transbahuter des bacs d'eau, faire transiter des vivres ou encore s'occuper du ménage des roulottes.
Les roulottes... C'étaient elles qui l'intéressaient le plus. Plier du linge, récurer les sols emporter les plats sales. Telles étaient les tâches qui lui incombaient officiellement. Mais un enfant élevé dans des bordels savait à quel point les chambres, les coiffeuses et les coffres à linge pouvaient être sources de trésors. Il avait cependant un problème, et un problème de taille : l'accès à la roulotte de la maîtresse de caravane lui était interdit. Il n'y avait que son garçon de caravane attitré qui pouvait s'en occuper. Or, si le jeune roux avait réussi à trouver des informations très intéressantes au sujet de bon nombre de passagers, il n'avait toujours pas avancé dans sa quête du message. Il lui fallait un ticket pour la roulotte de la maîtresse.
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« Fais le vide dans ta tête. Concentres-toi Loki ! Sur ce que je te dis et pas sur ce décolleté, qui je le concède est très... Hum. Concentres-toi... Voilà, comme ça. Ferme les yeux et imagine une pièce. Une pièce qui t'est familière. Oui... Cela peut être un endroit que tu n'es pas censé avoir vu. Attends, où es-tu ? Non, non... Oublie. C'est bon tu la visualises ? Prends ton temps. Je veux que tous les matins, tu prennes au moins une demi-heure pour te la représenter. Tous les soirs, tu devras nous la décrire, à moi et à Mayele. Comment ça ? Quel rapport avec notre mission ? Tu le vois toi le rapport Mayele ? ... Oui ! Voilà, si tu ne me fais pas confiance, à moi, fait au moins confiance à ton partenaire. Et maintenant, ferme les yeux et concentre-toi.
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Le monde est parfois rythmé par le son des bottes d'un garde. Apprends à en reconnaître le tempo et tu sauras mener la prochaine danse.
Le capitaine Voris se levait à huit heures tous les matins et aimait les saucisses au petit déjeuner. Les garçons de caravanes gardaient toujours les saucisses pour les Mar ou les chefs de caravanes. Chaque matin, à l'aube, les deux gardes en reconnaissance s'éclipsaient dans les fourrés en compagnie de deux des chanteuses d'un groupe de troubadours itinérants. Leur relève était souvent en retard parce que l'un des soldats avait un problème avec l'alcool et l'autre avec la propreté. Se laver cinq fois les mains et le visage prend du temps.
Les hommes n'étaient pas efficaces parce que leur capitaine était en bisbille avec le simple soldat Gladir. Celui-ci qui était fort et charismatique, poussait ses camarades à la paresse et à l'inefficacité.
Un tempo...
Imire ne voyait pas les choses ainsi. Il distinguait des couleurs, des fils et des motifs. Un entrelas de relations et de non-dit. La tapisserie était large et ses contours lui semblaient encore flous. Mais même les formes les plus abstraites, une fois assemblées, pouvaient prendre forme reconnaissables. Les plus beaux tableaux ne se regardaient pas de près, ils se contemplaient de loin.
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« Regardes bien cet homme Imire. Regardes comme il bouge la tête. À ses yeux, c'est la meilleurs des techniques pour voir un maximum de choses... C'est la mauvaise méthode. Baisses toi avec moi. Rester debout comme un tronc, c'est bon pour les soldats. Ces crétins n'ont pas compris que la meilleure des surveillance se fait quand on est invisible. Et fais-moi plaisir, gamin, trouves toi des vêtements sombres mais pas noirs. Le noir c'est ce qui se voit le mieux la nuit. Je te le concède c'est ironique. Quoi ? Ne fais pas semblant, je sais très bien que tu l'as pensé. Enfin, maintenant restes dans cette position. Moins raide mon garçon, moins raide. Rappelles toi : le mouvement c'est la discrétion. Bien, maintenant laisse glisser ton regard sans tourner la tête. Oui comme ça. Ferme les yeux et reviens à ton point de départ. Plus vite, un clin d'œil. Voilà change ton angle et recommence. C'est mieux, discrétion et économie de mouvement. Bien. Le plus gros du travail est de trouver le bon point de surveillance. Demain soir c'est toi qui t'en occuperas. Bien, maintenant va expliquer toutes les informations que tu as pu collecter à Mayele. Quoi ? C'est toi qui as décidé de devenir muet débrouilles-toi ! Au fait... tu ne peux pas savoir comme c'est reposant, un muet, après Loki.
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Une caravane, une cour, un château, un royaume... Le monde est divisé en cases. Chaque case a un maître. Mais sache que les vrais rois sont souvent ceux qui ne portent pas de couronnes.
Devenir maîtresse de caravane, à la place de la maîtresse des caravanes. En étant constipée... Facile. Les gens aimaient les martyres. Ils aimaient les regarder souffrir. Au fond d'eux, ils étaient satisfaits de ne pas être à leur place.
Regarder une flagellation publique était toujours excitant, gratifiant. Mais quand le bénéficiaire de cette punition était une femme, les sentiments avaient tendance à être mitigés. Quoi que l'on puisse dire, il y avait toujours des gens pour aimer les bonnes corrections dispensées au sexe faible. Parce qu'elles le méritaient, parce que sinon elles pourraient en réclamer plus. Burzua se targuait d'être le pays le plus éduqué en ce qui concernait le statut des femmes. Pourtant, les punitions physiques y étaient toujours administrées en public pour celle-ci. Afin que jamais elles ne puissent oublier qu'une femme restait toujours une simple femme.
La donne changeait encore quand on frappait une noble. La noblesse et l'argent changeaient toujours la donne. Elles étaient censées apporter l'un des biens le plus prisé : la sécurité. Les femmes nobles étaient des joyaux. Les « joyaux du Joyau ». Personne ne devait lever la main sur une noble, personne ne pouvait souiller un joyau... La frapper, elle, une Primante relevait du tabou ultime.
Mais les gens adoraient aussi briser des tabous. Ils affectionnaient de voir que, ceux qui leur marchaient dessus, pouvaient eux aussi chuter. La chute d'un joyau... Rien n'était plus excitant aux yeux du bas peuple. Après tout, une fois au sol, c'est à leurs pieds que se trouvait la pierre.
Kuraja aimait les liens entre les choses. Elle adorait retourner les tapis pour voir ce qui s'y trouvait derrière. Sa courte vie l'avait amenée à souvent percevoir la face obscure qui se trouvait dans le regard des autres. Leur plaisir à la voir souffrir. Mais pour la première fois, elle avait le droit de ne plus juste observer. Le joyau pouvait quitter sa gangue brillante et se rouler dans la fange du peuple. Rien ne servait de porter la couronne intangible des hautes sphères, quand on pouvait obtenir les pleins pouvoirs sur la terre ferme.
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« Mon enfant, êtes-vous bien traitée ici ? Oui... Vous a-t-on proposé un garçon de caravane attitré. Non ? Parfait. N'amenez jamais chez vous quelqu'un qui n'est pas sûr. Le personnel est la clef de voûte d'une maison. Nul n'en sait plus sur vous que les femmes qui lavent votre linge sale. Ah ? Vous pensez qu'il est de toute manière plus opportun de vous laisser une image de femme démunie. Pourquoi ?... Parce que cela vous donne une image de femme immatérielle... Et que les gens ont tendance à idolâtrer ce qu'ils ne peuvent comprendre... Intéressant. Faites arrêter la caravane. Oui, maintenant. Rappelez-vous, Madame. Vous devez devenir le pouls de cette caravane. Faites là donc vibrer, faites là donc s'arrêter. Comment ça comment ? Mais commencez par vous servir de votre corps... Mais non ce n'est pas de la prostitution. Savoir d'un coup d'œil faire taire un homme. Hausser les sourcils et voir une salle ployer le genou devant vous. D'une moue créer la discorde entre des frères... Ce sont là des qualités que seules les meilleures prostitués possèdent. Que Da, elle-même, possédait. Comment devenir reine d'un royaume qui possède déjà deux têtes couronnées ? ... Oui exactement ! C'est bien. Maintenant, fait arrêter cette maudite caravane j'ai faim ! Oui je suis passé au tutoiement, bien vu... Madame.
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Les hommes intelligents aiment gagner. Les gagnants aiment le bon jeu.
Pour Mayele les choses étaient très claires : noires ou blanches. Ce qui ne voulait pas dire qu'elles étaient bonnes ou mauvaises. Simplement que pour toute chose, il y avait son exact opposé. Son antithèse.
Tout l'univers tenait sur un plateau d'échec. Du noir, du blanc... et une infinité de combinaisons, mais toujours dans le cadre de cette dualité. Mayele savait qu'il était différent, et ce depuis longtemps. Depuis sa première partie d'échecs.
Il se souvenait du moment précis où il avait compris comment gagner chacune de ses parties. Comment la vie pouvait être supportable, à travers le voile bicolore de sa vérité.
Comme tous les midis, pendant la halte du déjeuner, il sortait son échiquier et l'installait. Depuis plusieurs jours déjà, il y avait toujours une personne qui venait se frotter à lui. Un inconnu ou un habitué. Les variables étaient fixes. Mayele les connaissaient déjà depuis un moment.
Son opposant s'installait et, comme tous les jours, lui proposait un enjeu. Ses adversaires favoris étaient les ménestrels. Ils monnayaient des secrets et ne comprenaient jamais pourquoi ses défaites successives le faisaient toujours sourire. C'est drôle, personne ne lui demandait jamais de révéler un secret. Comme-ci un enfant était incapable d'en posséder un. Et, alors que les gagnants repartaient bouffis de leurs victoires, Mayele savourait son succès. Il obtenait toujours des informations. Si les secrets n'étaient jamais divulgués, le garçon savait voir les vérités dans les blagues, les histoires et les anecdotes racontées tout au long d'une partie.
Une chose était sûr l'homme, qui gagnait sa vie en la remplissant de chants et de poèmes, n'aimait pas la gâcher avec du silence. Or, le silence, Mayele le savourait et l'utilisait à sa guise. Quand ses adversaires s'évertuaient à le combler, le garçon s'amusait à récolter les fruits de sa patience.
Cette expédition lui permettait de comprendre de nombreuses choses. Comme par exemple que, faire semblant de perdre pour gagner, était l'une des choses les plus difficiles qu'il soit.
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Dis-moi Loki... Bien, Imire maintenant... Et Kuraja ?... Qu'en penses-tu ? Bien fais passer le mot aux garçons... Kuraja sait déjà tout ça... Oui, tu peux quand même aller lui répéter. La diffusion des informations est l'une des bases de votre groupe. Non... Bien... Et qu'as-tu appris aujourd'hui ? La prochaine soirée chant ? Très intéressant... Expliques-moi ça... Les ménestrels et troubadours ont été sommés de bien vouloir organiser une petite soirée de réjouissance. Tiens donc, ça te rappelle quelque chose? Oui c'est là qu'il faudra taper. Un deuxième rencontre ? Sans doute. Votre mission devient double, récupérer un message et assister à l'échange. Loki s'en sort un peu mieux mais il est encore loin de posséder une bonne mémoire. Oui... Il faudra que tu t'éclipses toi aussi. Bien il est temps que nous discutions tous ensemble de comment se déroulera cette petite aventure.
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