Chapitre XI - Partie 2
Le spectacle que donnait le départ d'une caravane de Xehavir était toujours impressionnant. Ce n'était pas tant la longue procession des caravanes et véhicules de toutes sortes, ou encore les lignes droites de soldats qui les longeaient. Non, ce qui marquait au fer rouge les premiers départs dans les mémoires, c'était la porte de verre.
Il n'existait plus personne sur cette terre à connaître les secrets de sa réalisation. Cinq mètres de hauteur sur vingt de splendeur. Des lignes de feu et de glace s'entremêlant sur ses bordures en un méli-mélo de pur délice visuel. En son centre, des formes abstraites de couleurs changeantes selon la position du soleil. Celles-ci se battant, s'aimant et se séparant au gré de leurs envies pour se retrouver en deux anneaux d'onyx sur chaque battant. À leur crochet, deux lourdes chaînes de fer noir rutilant.
Nul ne savait quel genre de verre avait dû être soufflé, pour donner une telle impression de délicatesse. Nul ne savait comment une œuvre aussi subtile en apparence, pouvait être en mesure de résister aux coups de boutoir des béliers les plus sophistiqués ou encore à la caresse, si douce mais implacable, du temps.
Si les murs de la Plateforme raisonnaient inlassablement des cris de ses occupants dans son sommeil, ils disparaissaient tous à son réveil. Les centaines d'hommes et de femmes qui lui faisaient face, s'enfermaient dans un silence contemplatif. Alors, quand tout était en place et que seul le bruit diffus des respirations restait perceptible, la porte de verre s'ouvrait.
Dans toutes les contrées du monde, une porte d'une envergure et d'un tel âge aurait, en s'ouvrant, dégagée un son d'une stridence incomparable. Pas la Porte de Verre. Des trilles d'oiseaux des montagnes, des clochettes aux cheveux de jeunes filles ou encore des rires de bébés. Le bruit, la mélodie que dégageait l'ouverture de la Porte étaient incomparable, onirique. Et elle s'ouvrait... sur les ténèbres.
...............
Le cortège marchand s'enfonçait maintenant depuis plusieurs heures dans un long couloir, taillé dans la pierre. La ville de Xehavir était construite contre le flanc d'une montagne sans autre nom que celui du « Passage », en référence dudit couloir. Des torches accrochées aux parois sèches permettaient aux passants de pouvoir avancer sans heurt.
Les enfants, dont c'était le premier départ, étaient encore plongés dans le silence méditatif des premières fois. Aiden, lui-même, n'avait pu retenir une larme solitaire devant une telle beauté. Les dieux savaient, qu'il, en avait été longtemps privé. En entrant dans le Passage, cet instant de félicité disparut rapidement, le décor lui rappelant un peu trop celui du Boyau.
La petite main, qui se glissa furtivement dans la sienne, le sortit de ses sombres pensées. Il tourna la tête et plongea ses yeux dans ceux, si particuliers, d'Imire. Le petit, le regardait de ses grands yeux clairs, l'air impassible. Aiden surpris, sursauta avant de se reprendre et de sourire. Le garçon ne lui rendit pas son sourire, mais lui serra la main tout en hochant la tête. Aiden comprit le message, lui lâcha la main et se laissa distancer par le cortège. Puis, une fois seul avec les enfants, il frappa dans ses mains et lança d'une voix forte :
— Bon ! Il est temps que je vous explique votre première épreuve !
Les enfants, qui avaient tous depuis longtemps rabattu leurs capuches, se lancèrent des regards intrigués. Sauf Imire qui semblait fasciné parla lueur dansante des flammes.
— Personne n'avait parlé « d'épreuve » que je sache, dit Loki un sourcil relevé.
— Cela me fait du mal de l'admettre, mais je suis d'accord avec le lutin, continua Kuraja en ignorant la grimace de celui-ci.
— Eh bien ! Leur répondit-il. Vous avez tous été choisis pour une raison particulière et vous savez tous plus ou moins laquelle. Mais on rentre enfin dans le vif du sujet. À long terme, je veux que vous deveniez des ombres, que vous soyez capable d'engranger des informations et de savoir les exploiter. Que vous sachiez arrêter le temps, entrer dans la brèche que vous aurez vous-même créée. Et pour apprendre, je vous offre le meilleur terrain de jeux qui soit : une caravane ! Un monde en soi ! Vous y aurez tous un rôle, tous une vie différente en apparence.
Il les rassembla en cercle et pointa Loki du doigt.
— Loki tu seras nos yeux et nos oreilles. Je veux que tu t'intègres si bien dans les rangs des garçons de caravane, qu'ils oublieront que tu n'en faisais, originalement, pas parti ! Si tu dois faire le ménage dans les tentes, les chariots ou les caravanes, fouilles partout. Si tu dois servir des plats, laisses traîner tes oreilles. Et surtout, continua-t-il les yeux brillants, chaque soir tu devras faire un rapport complet de tout ce que tu as vu, entendu, senti à Mayele.
Il se retourna ensuite vers Imire.
— Toi mon garçon je veux que tu colles les gardes, que tu deviennes leur ombre. Trouves celui qui les dirige, pas leur capitaine, l'homme qui les inspire ou qu'ils craignent. Suis-les jusqu'à les connaître intimement. Tu dois savoir quels sont leurs ordres, leurs positions, leurs tours de garde. Ce qu'ils aiment, ce qu'ils détestent. Fais en sorte de te rendre utile, de devenir leur mascotte.
Il regarda enfin Kuraja.
— Et toi ma belle. Oh toi ! Je veux que tu deviennes le cœur de tout ce petit monde. Que tu décides s'il doit s'arrêter, s'il doit accélérer. Je veux que tu surpasses en influence les deux petits chefs de cette caravane. Je veux qu'en plus de ne pas s'en rendre compte, ils te respectent. Que si tu décides le matin que la caravane doit se stopper, tu n'es même pas à le demander ! Voilà, finit-il en frappant dans ses mains. Vous savez ce que j'attends de vous. Tant que nous sommes dans le tunnel, vous pouvez réfléchir à vos approches d'attaque. Par contre, dès que la lumière éblouira vos jolis minois, il ne sera plus question de vous mes petits, mais des personnages que vous aurez créés !
Les enfants l'avaient écouté attentivement, même Imire. Ils se remirent à marcher chacun perdu dans ses pensées. Il les laissa s'éloigner et sourit en sentant une petite main lui tirer la manche. Il se retourna sur un Mayele aux sourcils froncés. Il ne lui parla pas, lui laissant le temps de préparer ses questions.
— Et moi ? Demanda le jeune homme. Vous avez dit à tout le monde ce qu'il devait faire et comment, mais moi rien.
Aiden sourit et se pencha vers le garçon.
— Mayele, sais-tu pourquoi je t'ai choisi ? Non ? dit-il en le voyant secouer la tête. Pas seulement parce que tu es un véritable petit génie, mais parce que tu comprends étonnamment bien les codes des différentes strates de la société. Tu es subtil. Le plan que tu as mis en place avec Loki en est la preuve même. Tu savais qui attaquer, quand et où. Tu savais chez qui faire une reproduction parfaite d'une bagues de Mar, tout en étant sûr que l'affaire ne s'ébruiterait jamais avec ce genre d'individu ! Ce que je veux de toi mon grand, c'est que tu comprennes !
— Que je comprenne quoi ?
— Mais tout Mayele, tout! lui répondit Aiden en se relevant et en marchant vers la sortie du tunnel d'où perçaient déjà des rayons de lumière.
Il marcha un bon moment avant d'entendre la question qu'il attendait qu'on lui pose depuis maintenant un bon moment.
— Et le temps ? retentit la voix de Mayele. Vous avez dis « Je veux que vous sachiez arrêter le temps, entrer dans la brèche que vous aurez vous même créée », lui cita le garçon dans une imitation parfaite des intonations d'Aiden. Comment arrête-t-on le temps ?
— Ah ça mon garçon, vous le saurez ce soir. C'est l'objet de votre prochaine leçon. La plus importante de toutes !
Et la plus douloureuse aussi.
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