Chapitre VII
Sarcron Mar reprenait difficilement son souffle. Il s'écroulait toujours après avoir joui. La présence de la catin qu'il avait besogné quelques instants plus tôt se fit rappeler à lui par un petit mouvement suivit d'un gémissement. Il roula sur le dos pour lui permettre de faire ce que bon lui semblait avant de se lever et d'aller faire sa toilette. Puis, il récupéra ses affaires qu'il avait soigneusement pliées sur une chaise près du lit. Il s'assit dessus afin d'enfiler ses bottes flambant neuves. Enfin, il prit son lourd manteau qui servait plus d'outils d'apparat qu'autre chose.
—On se revoit la semaine prochaine ? lui demanda son dernier jouet d'une voix plus qu'incertaine.
Leurs ébats avaient laissé leur marque. De belles marques de morsures et quelques bleues commençaient déjà à s'épanouir sur son corps. Le Mar adorait ce moment où les yeux de ses « partenaires » exprimaient tout un panel de peurs différentes. Celles qu'il revienne, et qu'il aille toujours plus loin. Trop loin... Mais aussi qu'il ne revienne plus. Après tout, il payait très bien, mieux que beaucoup d'autres en tout cas. Il reviendrait tant qu'il verrait la marque de ce petit combat intérieur. Une fois brisées, elles ne l'intéressaient plus.
Il ne lui répondit pas se contentant de sortir une lourde bourse de sa poche et, d'une torsion du poignet, de la laisser tomber à terre. Il aurait bien voulu rester un petit peu plus longtemps, pour la voir se baisser à ses pieds et ramasser son dû, mais il était attendu ailleurs. En sortant de la chambre, il passa devant plusieurs salles de jeux, dans l'une d'entre elles se trouvait la tenancière qui lui adressa un gracieux mouvement de tête. Il y répondit à peine. Il n'en avait ni le temps, ni l'envie. Son seul devoir avait été de payer et il s'en était acquitté. En lui tournant le dos, il ne vit pas le petit sourire que celle-ci arborait après avoir échangé quelques mots avec une ombre encapuchonnée postée derrière elle.
A peine était-il sorti du bordel qu'il entra en collision avec un jeune garçon. Il le repoussa brutalement en vérifiant bien qu'il ne lui avait pas volé sa bourse. Après s'être rassuré, il vérifia l'état de ses bottes : souillées par la terre et la poussière évidemment. Il hésita à marcher sur la main du malotru, qui était tombé sous l'impact, mais décida finalement qu'il n'en valait pas la peine.
De plus, il était en retard et le chemin jusqu'aux Pavés D'or était bien assez long comme ça. Il continua son chemin vivement et s'enfonça dans les ruelles étroites du Dédale. Il ne vit pas le sourire d'un enfant allongé au sol, les yeux brillants de l'éclat d'une broche de Marchand.
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La litière que Sarcron Mar avait laissée à l'entrée du Dédale s'arrêta enfin devant son logis. Une demeure sur deux étages construite en pierres blanches importées de Luftarak. A peine eut-il passé la porte d'entrée qu'un de ses serviteurs lui ôta son manteau pour lui tendre une cape d'intérieur dont les bords étaient piqués d'or. Il attendit qu'on la lui enfilât avant de se diriger d'un pas conquérant vers la salle de banquet, d'où s'échappaient déjà les bruits des libations de ses invités. Il entra en scène sous les holàs de ses convives qu'il accueillit avec une fausse modestie.
La grande salle avait en son centre une longue table en forme d'u. Au fond de la pièce, au milieu de la table, trônait sa femme. Celle-ci, magnifique malgré ses trente-cinq ans, tenait son rôle d'hôtesse à la perfection. Il alla s'installer à ses côtés, l'embrassa sur la joue et se mit à discuter avec son voisin Kryelartë Mar dont les affaires avec le Duc Mashtrues l'intéressaient au plus haut point.
Il était en pleine discussion quand son homme de main favori lui tapota l'épaule avant de se baisser et de chuchoter à son oreille :
— Messire, on vous demande.
Il balaya la pièce du regard avant de lever son verre à l'intention d'un de ses augustes convives.
— Toutes les personnes d'importance se trouvent ici ce soir, souffla-t-il avant de boire une gorgée d'hamingja. Renvoie-le !
— Je ne peux pas messire, insista-t-il. Il s'est montré... pressant et a avancé des arguments qui pourraient vous intéresser.
Le Mar fronça les sourcils. Il rit distraitement à une plaisanterie lancée un peu plus loin qui avait fait sensation. Puis il serra la main de sa femme, qui lui sourit d'un air entendu, avant de se lever et de suivre son valet. Après tout, cette soirée avait été organisée dans le but de le présenter comme un homme important. Or, se retirer pour affaire urgente ne faisait que renforcer cette impression.
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Le bureau personnel du Mar était une pièce élégante. Loki laissa sa main traîner le long du grand bureau en bois de cerisier. Ses pieds s'enfonçaient dans les fourrures exotiques importées de Luftarak et son regard se posait sur les différentes tapisseries qui décoraient le mur. Son attention fut attirée par l'immense tableau qui trônait juste au-dessus du bureau.
Il représentait le supplice de Da. La déesse offerte aux loups. Ses mères lui avaient déjà raconté son histoire, mais c'était la première fois qu'il la voyait ainsi. Elle était représentée étendue sur le dos dans une prairie. Son corps exquis à la couleur blanche nacrée tranchait avec la couleur vive de l'herbe sur laquelle elle reposait. Son buste était cambré et une main lâche était relevée vers une bête immense : un gros loup noir aux yeux rouges et à la gueule béante. Le regard de celui-ci lui paraissait concupiscent. L'aspect charnel de la scène le gênait. Il se rapprocha, la main tendue vers le tableau, fasciné.
— Je ne le toucherai pas si j'étais toi, trancha la voix de Sarcron Mar.
Celui-ci était entré discrètement dans son bureau et avait congédié son valet. Il avait ensuite fermé doucement la porte. Le garçon ne sursauta pas, il ne parut même pas surpris alors qu'il se retournait tranquillement vers le Mar. Il se contenta de lui sourire la tête légèrement penchée.
— Messire, je vous attendais, dit-il d'une voix fluette.
Sarcron Mar, serra les poings mais ne répondit pas, attendant de voir ce qui allait se passer. Le garçon se contenta de lui lancer un sourire aux dents jaunâtres avant d'aller s'installer sur le fauteuil de son bureau et de croiser les mains.
— Eh bien, continua-t-il d'un ton plus formel. Je suis venu pour vous apporter mon aide dont vous avez le plus grand besoin.
— Je ne pense pas en avoir besoin, grinça-t-il. J'ai à faire ailleurs petit, tu vas donc me faire le plaisir de disparaître rapidement et...
— Messire, le coupa Loki, vous ne vous êtes pas changé depuis notre dernière rencontre n'est- ce-pas ?
Sarcron fronça les sourcils en avisant le visage crasseux du garçon.
Dernière rencontre... Je n'ai jamais... Le bordel !
C'était sur cette petite raclure sur qu'il avait tout à l'heure trébuché. Il aurait dû l'écraser sur le moment. Il vit rouge, et s'élança vers le garçon. Il l'attrapa par la gorge et le plaqua contre le mur, juste à côté du tableau. Il sentit une légère douleur au bras mais n'y fit pas attention, ce devait sûrement être les ongles de sa victime. Loki avait agrippé l'avant-bras de son tortionnaire en tentant de se libérer de sa poigne. Son visage, privé d'oxygène, était rouge et ses yeux commençaient à sortir de ses orbites.
— Tu viens chez moi, tu t'installes à mon bureau, sur mon fauteuil. Sais-tu seulement quelle est ta place ? lui grogna-t-il à l'oreille. Petite merde, je vais t'appendre moi!
Alors qu'il serrait de plus belle le cou déjà mal mené du garçon, celui-ci lâcha son avant-bras. Le Mar, croyant à tort que sa victime abandonnait la lutte, sourit de toutes ses dents et relâcha légèrement la pression. Ce fut l'erreur qui permit à Loki de pousser de toutes ses forces sur le cadre du tableau à ses côtés. Celui-ci tomba dans un fracas tel, que Sarcron relâcha tout à fait la prise qu'il avait sur sa victime.
Loki, en tombant, se retrouva face à une protubérance qui le fit grimacer de dégoût. Il recula à quatre pattes en toussant avant de se relever avec difficulté et de se ruer vers la porte. Il l'ouvrit rapidement, sortit uniquement sa tête et lança un hurlement glaçant. Puis, tout aussi rapidement, il la referma et s'appuya contre son battant.
Le Mar que toute la scène avait laissé dans un état de choc profond était resté les bras ballants à la même place. Ils se firent face l'un pâle et droit comme un i, et l'autre rouge mais calme et étonnamment sûr de lui au vu de la situation. Loki se racla difficilement la gorge avant de reprendre comme si de rien n'était :
— Donc, partons du principe que d'ici cinq minutes une petite armée des meilleures gens des Pavés d'Or et d'ailleurs se précipitera vers ici. Dans la même veine, partons aussi du principe que, quand la porte s'ouvrira sous leurs regards avides de nouvelles sensations, c'est ce tableau qu'ils contempleront, continua-t-il en en faisant tournoyer son index. Soit un tableau renversé, un enfant sans le sous passablement bousculé et vous messire. Vous qui paraissez un tout petit peu trop excité par la situation.
Le garçon lança un regard entendu à son entrejambe. Le Marchand sursauta avant d'essayer de se réajuster tout en serrant les pans de sa cape pour camoufler son érection.
Merde ! Mes rendez-vous hebdomadaires sont censés prévenir ce genre d'imprévus...
—Et dire que j'étais venu dans le seul but de vous aider, soupira Loki en secouant la tête d'un air dépité. Après tout, on m'a toujours laissé entendre que les broches de Marchand étaient très précieuses...
Il n'eut même pas le temps de finir sa phrase qu'il fut, une fois de plus, soulevé du sol. C'est à la porte elle-même qu'il fut aplati, et tenu par le col de sa chemise, cette fois-ci.
— On ne joue plus mon garçon, murmura Sarcron le nez collé à celui de Loki. Ta vie vaut bien moins que ma broche. Rends-la-moi ! Où est-elle ! Réponds ! Hurla-t-il en secouant violemment le garçon.
Loki garda son sang-froid et resta muet, semblant attendre quelque chose. Aussi ne fut-il pas surpris par les coups brusque tapés à la porte quelques secondes plus tard.
— Messire Mar, tonna l'un de ses serviteurs. Tout va bien ?
Des bruits de chuchotis et de messes basses se faisaient entendre de l'autre côté du battant. Le Mar entendit la voix de sa femme tenter de calmer les choses en proposant de retourner festoyer. Loki tapota gentiment la main du Marchand, tout en faisant mine de se mettre à crier. Il fut déposé bien plus gentiment que la première fois à terre. Tout en gardant l'index collé sur la bouche, il fit signe à l'adulte de le suivre derrière le bureau.
— J'étais initialement venu dans le simple but de vous aider, chuchota-t-il. Mais au vu de l'accueil que vous m'avez réservé ? je vais être dans l'obligation de vous demander une petite ... compensation.
—Espèce de petite merde de fosse, souffla Sarcron le visage écarlate. Qu'est-ce-que tu veux hein ? De l'or ? Dit-il en se tournant vers son bureau dont il tira de l'un de ses tiroirs une bourse pleine. Quoi d'autre des bijoux ? Un apprentissage ? Quoi !
Voyant que le petit ne lui répondait pas, il continua en faisant les cent pas dans la pièce :
— De toute manière, comment ferait-on pour expliquer cette situation !
Il sursauta en entendant un énième coup frappé à la porte accompagné d'injonctions. Il respirait fort et semblait avoir du mal à contrôler les tremblements qui l'agitaient. Loki pour sa part, avait fait le tour du bureau et récupéré un petit jeu d'échecs offert par un Jarl luftarakoi. Celui-ci était une véritable œuvre d'art, les pièces ayant été faite entièrement avec des perles des mers du Nord. Il s'était aussi rapproché du magnifique manteau accroché à une patère. Il fouilla ses poches et en sortie une lourde chevalière en or massif.
— Pas ça ! grogna le Mar, qui s'insulta mentalement de ne pas l'avoir remise à son doigt dès sa sortie du bordel.
Le garçon fit la moue, puis remit la bague dans la poche. Il accrocha ensuite la bourse à sa ceinture élimée et cala le jeu d'échecs sous son bras.
— Bon où se trouve la sortie ? demanda-t-il sous le regard ébahi de l'adulte. Enfin vous n'allez pas me dire qu'il n'existe pas de sortie de secours, vous êtes le Sarcron Mar tout de même ! De toute façon, c'est la seule solution. Vous me faites sortir et vous expliquez à tout le monde que votre tableau s'est décroché et qu'il vous est tombé dessus.
— Personne n'y croira jamais crétin !
— Oui mais si je ne suis pas là, il n'y aura pas d'autre explication que celle que vous aurez donnée et de toute façon ce n'est pas comme si vous deviez quoi que ce soit à quiconque. N'est-ce-pas ?
Sarcron Mar réfléchit un instant, mais les tambourinements incessants à la porte finirent par le faire flancher. Il s'avança à grands pas vers l'une des tapisseries qu'il tira sur le côté. Celle-ci découvrit une petite porte en bois. Il l'ouvrit et et invita d'un geste brusque l'enfant à sortir de son bureau. Alors que celui-ci se précipitait vers l'ouverture il fut brusquent tiré en arrière.
— Tu n'oublierais pas quelque chose par hasard ? Lui cracha au visage Sarcron en lui broyant l'épaule. Ma broche !
Loki lui attrapa le bras qu'il serra fort. Le Mar ne put retenir un glapissement de douleur en ressentant une douleur déchirante lui traverser le bras. La douleur fut telle qu'il en lâcha sa proie.
— Mais c'est la première chose que j'ai faite, Messire. Vous devriez vraiment penser à faire plus attention à vos vêtements.
Sur ces mots, l'enfant se fondit dans les ombres du passage secret, laissant derrière lui un homme aux pensées meurtrières.
..................
Loki marchait d'un pas rapide dans les rues des Pavés d'Or, courir aurait eu l'air trop suspect. Les gardes de faction ne lui accorderaient pas un regard tant qu'il se tiendrait tranquille. Il avait environ une demi-heure avant que les hommes du Mar ne se lancent à sa poursuite. Le temps que celui-ci se débarrasse de la foule encombrante et qu'il fasse passer le message. Cela laissait tout son temps au garçon de disparaître.
Il tourna dans une ruelle moins éclairée et s'arrêta près d'une fontaine. Celle-ci était entourée de petits bancs en pierre dont il tira du dessous un petit baluchon. Il se déshabilla et entra dans la fontaine remerciant les dieux pour le temps clément. Il se frictionna ensuite le corps et passa un certain temps à se frotter les cheveux. Une couleur noirâtre s'en dégagea progressivement. Une fois la crasse, qu'il s'était lui-même appliquée, nettoyée. Il sortit de la fontaine nu comme un ver. Il savait par avance que les gardes ne passaient que toutes les deux heures par ici et que le champ était donc libre.
Après s'être rhabillé avec les vêtements de bonnes factures contenus dans le balluchon, il se recoiffa rapidement en plaquant ses cheveux vers l'arrière. Ils avaient encore la couleur cuivrée qu'ils prenaient mouillés mais ne tarderaient pas à tirer sur le roux. Une fois bien habillé et coiffé il apporta la touche finale à sa mise en se frottant les dents avec de l'écorce de noyer. Elles reprirent vite leur blancheur naturelle.
Après avoir fini, il se dirigea d'un pas plus rapide sur vers les maisons les plus cossues du quartier. Il repassa devant la maison de Sarcron Mar le pas sûr, certain de ne jamais être reconnu.
Les apparences font tout aux Pavés.
Il continua son chemin et, une fois arrivé devant l'un des plus grands palaces du coin, il le contourna. Il passa rapidement par l'arrière et sauta le mur d'enceinte. Il connaissait parfaitement le chemin et les rotations des gardes. Au deuxième étage, une chambre dégageait de la lumière.
— Maye, chuchota-t-il, déploie ta belle chevelure ! Aïe, glapit-il en recevant sur le crâne une lourde corde. C'est bon c'était pour rire.
Il se mit à grimper difficilement la corde d'une main. Son ami, voyant le mal qu'avait Loki à monter, finit par avoir pitié de lui et tira sur la corde pour l'aider à aller plus vite. Le rouquin accepta avec joie la main sombre que lui tendait son ami et, une fois hissé à l'intérieur, le prit dans ses bras.
— Mayele, tout c'est passé exactement comme tu l'avais dit !
Je vous remercie d'avoir pris le temps de lire ce chapitre. Si vous avez aimé pensez à voter, commenter et partager. Si vous n'avez pas aimé vos commentaires sont aussi les bienvenus. A bientôt j'espère !
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