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III - 13. Le directeur


30 décembre – 2400 mots

Terre, 7 mars 2011


En ce début mars 2011, Jim Denrey venait à peine de fêter huit années passées à la direction du Bureau.

Avant d'arriver à ce poste tant convoité, Jim n'imaginait pas que ce travail allait lui démolir la santé au point de faire passer les divers procès de son ex-femme pour une sinécure. Lorsque le poids du monde s'abattait sur ses épaules, il lui prenait l'envie absurde de décrocher son téléphone personnel, de composer le numéro fatidique et de reprendre la litanie des empoignades d'antan.

Pourquoi un homme de pouvoir se doit-il de faire preuve d'humilité ?

Parce que le pouvoir est une chose fragile, qui aime à disparaître en plein jour, à s'évaporer au moment où on le saisit. Un observateur extraterrestre aurait, après observation du travail de Jim, conclu qu'il n'était pas en charge du Bureau, mais que ses téléphones l'étaient. Lorsque Jim avait un ordre à passer, il décrochait l'un ou l'autre de ces téléphones, qui choisissait alors, selon son humeur, d'appliquer cet ordre ou non. Cerné par les « c'est impossible », Jim prenait des décisions par défaut, comme à un embranchement sur une route de campagne entre trois accès, dont deux viennent d'être emportés par une crue.

S'il n'avait fait preuve d'humilité, Jim se serait rapidement laissé aller à croire que ces non-choix étaient en réalité de véritables décisions stratégiques et, bientôt, il aurait intériorisé la stupidité de ces situations iniques, devenant à son tour un producteur de « c'est impossible ». Le monde politico-diplomatique l'écrasait de ses expressions ultimes de sa mollesse. Il craignait plus que tout de devenir comme eux, les visages sereins de ces femmes et de ces hommes ayant intégré le « c'est impossible » comme ultime doctrine.

Malgré la contradiction évidente entre la déférence qu'il suscitait parmi ses pairs et son véritable pouvoir pratique, Jim avait l'impression de faire un véritable travail, au sens où il parvenait à se faire haïr toutes les semaines de dizaines, de centaines de personnes dont l'inimitié tenace lui collait à la peau.

En effet, ses sous-fifres officiels, sous-directeurs locaux des antennes du Bureau et autres officiers de liaison, se trouvaient le plus souvent à leurs postes pour des raisons de carrière. Ils espéraient en sortir en meilleure position qu'ils n'y étaient entrés. Aussi ne tenaient-ils pas à ce que le mécontentement de leurs interlocuteurs s'arrête à eux, et ils trouvaient tous les moyens pour le faire remonter par la voie hiérarchique, jusqu'au fauteuil de Denrey qui, à force d'absorber le venin de ses ennemis déclarés, deviendrait tôt ou tard un objet maléfique.

La moisson du jour comptait parmi ses rangs un quelconque officier étatique, commandant de police, préfet, sous-préfet, sous-commissaire délégué à l'application des lois ou autre grade, fonction et nom que Jim se sentait incapable d'enregistrer. Il avait expliqué en long et large comment une opération discrète du Bureau avait dégénéré en vaste course-poursuite, déclenchant non seulement un trouble à l'ordre public, mais surtout un trouble à sa propre tranquillité, de nombreuses procédures et enquêtes qui coûteraient certainement plus en heures supplémentaires qu'une grève des transports.

« Entendu, dit Denrey, ce qui dans son langage, signifiait qu'il s'en fichait, avant de raccrocher. Christian ! Christian ! Où êtes-vous ? »

Jim Denrey soupira. Nécessaire à son poste, la diplomatie avait modifié toutes ses habitudes comportementales. « Entendu » signifiait « je m'en fiche », lever le sourcil voulait dire qu'il n'en croyait pas ses oreilles, quant au soupir, il s'agissait de l'arme ultime, de la dernière carte, celle dans laquelle se concentraient tous les maléfices silencieux que peut marmonner un homme passablement énervé.

En retour, Christian se montrait très attentif à ce genre de détail. Du nombre de soupirs dans l'année de son patron dépendait la teneur de la lettre de recommandation qui lui permettrait de s'envoler pour un poste à l'ONU, plus lumineux et mieux payé. Avec le budget actuel du Bureau, il fallait passer la serpillière eux-mêmes dans leurs locaux ; et Jim Denrey dépoussiérait tous les jours la maquette de navette spatiale sur son bureau.

« Christian !

— Me voilà, dit le binoclard en traversant la pièce de sa démarche chaloupée, comme s'il avait toujours été là et attendait l'ultime seconde pour se montrer. J'ai la joie de vous annoncer que votre cousine vient d'accoucher. Le petit Albert pèse trois kilos et demi.

— Encore un humain de trop sur cette planète, grommela Denrey. Vous avez de nouvelles informations sur les dalniens ?

— Eh bien, j'ai entendu dire que nos agents avaient fait coup double. Ils ont interpellé Marcion et...

— Oui, oui, très bien. Les gars des capteurs ont dit qu'il y avait certainement un deuxième individu, sur une route annexe.

— Ah, oui. Il s'agit d'une vampire. Elle a été repérée à dix kilomètres environ et admise à l'hôpital suite à des blessures graves. Elle ne s'est pas encore réveillée. L'homme est à nos bureaux locaux. Il sera interrogé demain dans la journée.

— Je veux assister à son interrogatoire, dit Denrey en mettant en marche son fauteuil électrique. Non. Mieux. Je veux être en visio. Préparez-moi ça. Ils vous ont envoyé un rapport ?

— Je viens de l'imprimer. »

Denrey parcourut le fax. Il eut l'impression d'entendre parler un médecin pédant. Analyse des vêtements de l'individu. Traces de sang... de vampire et d'une deuxième espèce, ce n'est pas dryen, c'est donc ange... du sang d'ange ? Pour quoi faire ? Traces de matériaux carbonisés, trace de poudre... chargeurs retrouvés dans une poche, aucun calibre connu... rien que du dalnien. Quoi d'autre... un médaillon contenant une vieille photo qui a pris l'humidité. Indubitablement terrien, au vu des matériaux. Et Jim Denrey de plisser les yeux devant une photocopie de la photo d'une photo... des génies ! Ces gars de la technique étaient de véritables génies ! Il soupira.

Plus il parcourait le dossier, plus il lui semblait reconnaître l'homme, comme s'il s'agissait d'un ami proche représenté de façon lointaine, abstraite, en poids et mesures. Il était là, d'ailleurs, le poids. Examen médical préliminaire : cinquante-cinq kilogrammes pour un mètre soixante-dix, un fil de fer. Intense fatigue, manque de sommeil, contamination à des virus dalniens inoffensifs. Oui, oui, rien d'anormal. Jim aurait dû se tourner vers d'autres dossiers plus urgents, comment essorer le conseil de sécurité de l'ONU pour le forcer à payer les traites du Bureau, etc. Pourtant !

Plaques identificatrices portées à une chaînette. Armand G...

« Christian, tempêta-t-il vous êtes le dernier des idiots !

— Hein ? Euh, répondit son secrétaire, qui entendait peut-être lui donner raison – toujours se ranger de l'avis de son patron, on ne sait jamais.

— Nous avons déjà un dossier sur ce gars, nom de Dieu ! À quoi sert notre révolution numérique si c'est pour encore faxer les factures et ne pas être fichus de retrouver un nom !

— Ah. »

Peu d'affaires remontaient jusqu'aux oreilles de Jim Denrey. N'était-il pas l'homme le plus puissant du monde ? Du moins, l'épouvantail ultime auquel se raccrochaient les autres en disant : voyez, je suis impuissant, mon administration ne fait pas ce que je veux, qu'il est dur d'être à ma place, alors que Denrey...

Armand Gillian... cette affaire-là entrait dans la Section aux Prospectives Extérieures, autant dire qu'un sceau maudit s'inscrivait sur ces dossiers ; que les hommes qui portaient ces valises diplomatiques perdaient leur sueur à grosses gouttes ; que l'on se signait avant d'ouvrir les pochettes cartonnées. Combien de militaires, combien d'hommes politiques de tous horizons s'étaient-ils brûlés à ce feu qu'ils avaient eux-mêmes entretenu, ce feu de broussaille cachant la forêt : il n'y a pas d'extraterrestres et il n'y en a jamais eu ! Qu'un rapport sorte des clous, qu'un mot sorte de son contexte et on le frappait aussitôt d'anathème, de toutes ses forces, quitte à être soi-même le prochain sur la liste.

La SPEX, avec ce nom digne d'un détergent bon marché, mettait des gants, inspirait un grand coup, et plongeait les mains dans les affaires les plus intriquées, les plus redoutables, les plus complexes ; une somme de non-dits, de mensonges, de qu'en-dira-t-on, de on-en-a-trop-dit. Le grand secret, dans toute son efficacité absurde, agissait par retour de bâton en démontant les enquêtes en cours, en faisant disparaître les preuves des enquêteurs. Les financements ne cessaient de fondre... pourquoi cette antenne du Bureau existe-t-elle, puisqu'il n'y a pas de problème ?

Des femmes et les hommes dirigeaient cette planète, autant qu'un enfant sur un manège, qui tient le volant factice de la voiture, s'imagine la contrôler. Ils venaient le voir, lui téléphonaient tous les jours pour leur parler de leurs problèmes : cela lui donnait l'impression d'être le père de près de deux cent enfants turbulents et d'avoir à gérer sans cesse leurs crises de foie et de nerfs. Untel a copié sur moi les plans de la bombe atomique, untel a triché, untel a espionné mes services de renseignement. « Entendu », répondait Jim Denrey, ce qui leur donnait l'impression qu'il allait se conformer à leurs désirs flous. Tout ceci ne le concernait pas. Il s'occupait de menaces trop graves et trop sérieuses, qui n'engageaient pas la sécurité ou l'honneur d'un pays ou d'un autre, mais de tous à la fois. Le Bureau, Denrey en tête de file, était une force émergente. Ils ne le craignaient pas – ils l'admiraient, car le Bureau incarnait quelque chose qui demeurerait sans doute longtemps après leurs propres États et leurs propres gouvernements.

Voilà pourquoi, sitôt qu'il avait renvoyé ces petits humains se noyer dans leur verre d'eau planétaire, Denrey décrochait le téléphone et demandait des nouvelles de la SPEX.

Dans l'affaire Armand Gillian, il avait eu droit à un véritable téléreportage de la Section. Le jeune homme avait été le premier des dalniens confirmés et il avait causé à lui seul la création d'une sous-section dans la Section, consacrée à la recherche des dalniens transférés sur Terre – et à l'inverse, des terriens disparus.

Jim Denrey s'était plongé dans cette haletante chasse au trésor. Il avait admiré ces chemins tentaculaires déployés devant lui ; malheureusement, tout à ses tâches administratives, il ne pouvait s'y consacrer comme il aurait aimé. Son poste de directeur du Bureau le condamnait à la frustration. Il suivait des enquêtes de loin, mais elles étaient rares à prendre fin comme le font les contes de fée, se terminant bien souvent dans le flou et la bruine, abandonnées faute de motivation ou de personnel, suite à la mutation de l'agent en charge du dossier.

Le retour d'Armand était un véritable miracle.

« Christian, passez-moi la directrice de la SPEX. »

La personne en question, une ukrainienne que ses subordonnés surnommaient à raison « l'impératrice », était de celles qui donnaient leur crédibilité à ces institutions. Un maillon essentiel du Bureau. Denrey l'envoyait parfois en première ligne déminer le terrain pour les nouvelles enquêtes. Des femmes et des hommes politiques de premier plan sortaient de ses entretiens transfigurés, les carnets de chèque aussitôt débloqués, stylos à la main.

« Je sais pourquoi vous appelez, Jim, et vous me dérangez. J'ai mis des gens compétents sur le dossier Gillian, vous les aurez en visio demain, maintenant j'ai autre chose à faire. On a une piste sur von Zögarn et j'entends ne pas la lâcher.

— Il a ressurgi ? s'exclama Denrey.

— Ce n'est pas étonnant. Le gars a dû détecter comme nous l'emploi de son concentrateur. Après tout, c'est lui l'a construit.

— Je voulais vous demander, madame. Avons-nous obtenu l'engin ?

— Presque. Vous avez fini le rapport ? Marcion l'a fracassé alors que la police défonçait la devanture de sa planque, contre les ordres de notre bureau local. Le vampire est bien avancé sur le sujet, mais il n'en sait pas plus que nous. Concernant l'énergie qui fait fonctionner la bête, c'est le trou noir. Le cristal en est l'élément central et il est perdu. Enfin, ils vous diront tout ça demain à la visio. Je peux y aller, Jim ?

— Allez-y, je vous libère. Excellent travail malgré tout, madame.

— Il faut bien que des gens fassent plus que ce pour quoi ils sont payés, sinon le monde aurait depuis longtemps cassé son déambulateur et arraché sa perf. À la prochaine, directeur. »

C'était tout, direct comme l'exigeait le personnage. Jim Denrey ne fut pas plus avancé. Demain, oui, demain !

Fort à propos, il s'endormit sur son bureau et demain fut instantanément sur lui, indubitable comme cet appel à six heures du matin de la part du président Bulgare, qui tenait absolument à se décharger sur lui d'un soi-disant artefact maudit dont le pouvoir néfaste avait déjà fait perdre plusieurs élections régionales à son parti.

« Nous ne faisons pas dans la magie noire, sauf si vous acceptez de financer. »

En y réfléchissant, ce n'était pas tout à fait vrai : le fonctionnement des objets abandonnés par von Zögarn comme des petits cailloux avait tout de la magie, au point que la SPEX se dotait maintenant, avec le plus grand sérieux, d'une bibliothèque d'ouvrages occultes. Des dépenses difficiles à faire avaler au service budgétaire du Bureau. Ligne 122, décembre 2009 : deux Necronomicon, un en consultation, un pour les archives.

Obsédé par l'évaluation positive qu'il espérait toujours, Christian lui apporta un petit-déjeuner tout à fait comestible, accompagné du meilleur café que l'on trouvât aux environs.

« J'ai annulé votre rendez-vous avec la ministre pour vous laisser le créneau de visio libre, indiqua le secrétaire.

— Faites attention, jeune homme : plus vous êtes efficace et moins j'ai envie de vous laisser partir. »

Arrivé dans la salle dédiée aux conférences, Denrey s'installa confortablement en terminant son troisième café et signant les papiers que Christian mettait sous son nez. Il tapa dans les mains en espérant que les choses avanceraient plus vite. L'écran en face de lui devint blanc, puis noir, puis bleu : les trois couleurs fondamentales de l'informatique moderne. Puis on y vit apparaître les figures de deux agents de la SPEX et du dalnien le plus célèbre de l'histoire du Bureau.

« Monsieur Gillian » dit Jim avec satisfaction.

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