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III - 10. Les chaînes


30 décembre – 2300 mots


Terre, 7 mars 2011


Recommence, disait le concentrateur portatif d'Adrian von Zögarn.

Maudit soit cet individu !

Le concentrateur agissait sur son existence d'une manière insidieuse, indécelable. Sa vie sur Terre se déroulait au jour le jour, faite de recherches infructueuses sur la machine, de paquets de pâtes et de loyers payés en retard ; aussi ne pouvait-il pas prendre conscience de la présence du marionnettiste tenant ensemble tous les fils. Il faisait s'ouvrir ou fermer les portes pour qu'Armand, avançant au jugé dans ce labyrinthe, prenne la direction souhaitée tout en croyant fermement à son libre arbitre.

N'est-ce pas ce que tu veux ?

Daln lui manquait. C'était difficile de l'expliquer, car pris séparément, rien de ce monde ne lui était nécessaire. Il pouvait faire la liste des membres de sa famille proche et lointaine, de ses connaissances, sans se sentir concerné ; leurs avenirs se visualisaient très bien sans lui, la cinquième roue du carrosse. Il soupçonnait même que ses propres parents s'accommoderaient bien mieux d'un fils disparu que d'un fils qui n'avait jamais assez bien réussi pour eux.

Mais comme un tout, l'absence de Daln pesait sur lui. La Terre se croyait seule et ne soupçonnait rien de l'existence de mondes proches et accessibles. À la mention d'autres pseudo-humains, tels les vampires ou les anges, on lui aurait ri au nez ; les uns et les autres étaient cantonnés à des histoires et des mythes, comme si on avait ressenti le besoin de les réduire à cette existence de fantômes. Lors de longues séances à la bibliothèque publique, Armand faisait le tour de blogs conspirationnistes qui brassaient le chaud et le froid, en termes suffisamment vagues pour lui laisser croire quelques minutes qu'il avait trouvé quelqu'un qui connaissait Daln, avant d'en arriver à la théorie selon laquelle la Terre était plate.

Il savait qu'avec le temps, le souvenir même de son monde devrait être enterré. Il se convaincrait lui-même que tout ceci originait d'une imagination fertile. Or son esprit se refusait à travestir la vérité, même pour les besoins de son changement de vie. Le concentrateur portatif le savait et il chercha sans doute quelques temps le moyen d'enchaîner définitivement Armand à son nouveau monde.

May fut la solution de facilité.

Armand ne croyait pas à la main invisible du Destin et sa rencontre lui parut, sur le coup, parfaitement tirée au hasard. Ils s'étaient assis côte à côte dans le même bus, deux fois, à une semaine d'intervalle. Son souvenir ressemblait à une romance bon marché. Il ne savait plus ce qui était réel et suggéré. Il ignorait même si May avait été attirée vers lui par le concentrateur, si l'objet maléfique avait modelé le personnage qui devait sceller son attachement à la Terre, s'il l'avait créée de toutes pièces en déformant son caractère.

La jeune femme enseignait les mathématiques dans un lycée du coin. Leurs regards s'étant croisés pour la première fois, elle s'incrusta si précisément dans son esprit qu'à sa réapparition miraculeuse, il ne put s'empêcher de raconter une platitude à propos du temps qu'il faisait. La main invisible scénarisait tout. May lui répondit avec entrain, leur conversation dura tant qu'il manqua son arrêt de bus. Elle le força à avouer son numéro de téléphone pour, prétendaient-ils tous les deux, terminer leur colloque improvisé.

May le changea. Il sortit plus souvent de chez lui, visita des musées et des parcs, négligea ses recherches infructueuses à la bibliothèque. Son budget n'avait jamais été aussi serré. Par galanterie, prétendait-elle en payant le restaurant. Si May avait été un piège pour le garder sur Terre, il était admirablement réalisé. Sa présence anesthésiait son esprit critique. Elle était généreuse, intelligente et spirituelle, pleine de grandes aspirations qu'elle concrétisait à petite échelle. Son travail engloutissait soixante heures par semaine, elle en ajoutait dix de cours bénévoles. Armand ne comprenait pas quand elle trouvait le temps de dormir.

May s'étonnait qu'Armand ne connût presque rien au monde dans lequel il vivait. La conversation ayant gagné en sérieux, elle dévia un jour sur les sciences fondamentales et appliquées. Il remarqua ses froncements de sourcils lorsqu'il appelait des théorèmes par leur nom dalnien, quand on les connaissait ici comme les œuvres d'Euler, de Gauss ou de Fermat. Le clou du spectacle fut ce qu'il nomma par habitude le théorème d'Alertino, le plus célèbre énoncé des mathématiques, aux applications en mécanique des fluides, ce qui la laissa de marbre.

May était trop polie pour le traiter de fou et trop amoureuse de lui pour avoir peur de ses élucubrations. L'effet fut inverse : Armand piquait sa curiosité.

Pour des raisons administratives, il s'était inventé une date d'anniversaire, mais ne s'en souvenait guère. Ce fut ce jour là que May lui offrit un médaillon, un petit disque de laiton et d'étain d'un pouce de diamètre, assagi par la patine du temps, qui s'ouvrait sur un petit espace vide. Il pouvait mettre ce qu'il voulait à l'intérieur et le garder pour lui, comme une plaque d'identification qui ne le quitterait jamais. Armand ouvrit son portefeuille ; il avait déjà découpé un visage dans une photo de leurs sorties. Elle regardait sur le côté sans prendre la pose, ses traits revenaient donc à leur beauté naturelle comme un état d'équilibre stable. Le jeune fallnirien corna les coins de la photo et l'installa dans son nouvel écrin. Ils s'expliquèrent ensuite qu'ils s'aimaient éperdument et ne se quitteraient jamais, ou quelque chose du même principe.

À la première visite du dortoir minuscule que l'agence euphémisait « appartement », May fut conquise par le concentrateur portatif. Toujours déplié, le cube de métal déployait ses engrenages comme on joue des muscles pour attirer sur soi le regard. Sur cette étagère, coincé entre deux livres et un presse-papier, Armand avait depuis cessé de le voir et il dut improviser en urgence une explication, prétextant d'abord qu'il s'agissait d'un héritage familial, puis d'une babiole achetée dans un marché aux puces. Rien de tout ceci ne calmait la curiosité de May. Pourquoi me mentirais-tu, l'interrogeait-elle du regard.

« À quoi sert cet objet ? Lança-t-elle.

— À rien, c'est une œuvre d'art.

— Quelle est la pierre au milieu ?

— Je crois que c'est du toc.

— Non, tu ne crois pas à ce que tu dis.

— Si nous parlions d'autre chose ?

— Qui a gagné la coupe du monde de football en 2006 ?

— Pourquoi me demandes-tu ?

— C'était il y a un an. Même si tu ne connais rien au sport, tu peux savoir ça. »

La question lui laissait peu d'échappatoires possibles.

« Je ne sais plus... j'ai un trou de mémoire.

— Qui était le secrétaire général de l'ONU il y a deux ans ?

— Il a changé ?

— Quel président a été élu aux États-Unis en 2004 ?

— Comment veux-tu que je me souvienne de ça ?

— Cite-moi un monument de Paris.

— Le Kremlin.

— La capitale du Royaume-Uni ?

— Bruxelles.

— Un prix Nobel, n'importe lequel.

— Gauss. »

Il savait que toutes ses réponses étaient fausses. Armand n'avait pas prévu de réviser toute sa géographie avant leur rendez-vous. May prenait l'ampleur de son inculture. Encore dans l'obscurité, elle essayait de déterminer l'ampleur du mensonge.

« Crois-tu que des extraterrestres existent et visitent régulièrement cette planète ?

— Pourquoi me poses-tu la question ?

— J'ai besoin que tu m'expliques. »

Le cristal du concentrateur brillait faiblement, des reflets fugaces qu'il n'avait alors pas remarqués. L'appareil n'appréciait peut-être pas le tournant que prenait leur conversation.

« Tu as gagné, May. Tu vas maintenant me prendre pour un fou, puisque je n'ai aucun moyen de prouver ce que je dis, aucune preuve matérielle...

— À part cet engin. »

Il lui raconta son histoire en détail. Dans ses pires cauchemars, elle l'arrêtait au milieu de son discours, choquée par l'étendue de sa psychose, prenait la fuite et ne donnait jamais plus signe de vie. En rétrospective, il aurait préféré que les choses se déroulent ainsi. Mais le concentrateur avait choisi une autre manière de recommencer.

May avait écouté jusqu'au bout. Elle complétait parfois ses phrases pour montrer qu'elle suivait le déroulé logique des événements, sans prétendre toutefois accepter les prémisses causales : l'existence de Daln et le pouvoir de cette machine à cadrans.

« J'ai besoin d'y réfléchir, avait-elle conclu.

— Tu n'es pas obligée de me croire.

— Non, en effet. Et je n'en ai pas besoin. La manière dont tu es arrivé ici m'importe peu. Ça ne change pas qui tu es.

— On se revoit demain après le boulot ?

— Bien sûr. À demain. »

Il s'était endormi en réfléchissant aux conséquences de ses actions. Après des heures passées à passer au tamis la prose des conspirationnistes, son esprit avait commencé à tracer des lignes floues, imaginant des relations entre toutes ces affaires étouffées, pour autant qu'elles soient vraies. Daln avait des preuves de l'existence de la Terre et s'en accommodait très bien. Pourquoi pas l'inverse ? Ces terriens, dix fois plus nombreux que leurs voisins de palier, avaient-ils une propension naturelle à refuser l'existence de ces derniers ? Tous ces alchimistes de la Renaissance, tout ce goût pour l'occultisme de l'ère victorienne, ces efforts ne pouvaient pas avoir été que de simples passe-temps dépensés en pure perte. Armand était peut-être le mieux placé pour faire jour sur un complot mondial, le tout premier, le père de tous les autres, qui préservait la Terre de l'existence d'autres mondes accessibles.

Il n'eut pas l'occasion de creuser davantage.

Le lendemain matin, il se trouvait sur Daln, à Rema. Le concentrateur avait encore choisi à sa place, il avait décidé qu'il était temps de recommencer. May n'était pas faite pour lui ! Elle s'intéressait de trop à Daln, ce qui ne ferait que causer de nouveaux regrets d'avoir quitté son monde natal, empoisonnerait leur relation, noierait le bonheur tant rêvé. Or, quoi de mieux pour prendre un nouveau départ que de retourner là d'où il était parti.

Ses parents ne l'accueillirent pas comme le fils prodigue. D'ailleurs, ils étaient partis lorsqu'Armand sonna à leur immeuble. Le premier à lui ouvrir fut le concierge, à qui il raconta sans conviction avoir été enlevé. L'homme lui expliqua que l'hypothèse de la fugue avait été retenue et qu'étant majeur, la police n'avait pas cru bon de poursuivre l'enquête. « Comment vont-ils ? – Vos parents, monsieur Gillian ? Ils ont gardé la face, sachez-le. Nous avons tous admiré leur force de caractère. » Oui, pour faire simple, ils s'en fichaient. Le retour de leur rejeton leur causerait plus de tracas que sa disparition.

Le concentrateur n'avait pas quitté sa chambre depuis un an. En le transportant à la main, en le posant sur la table du concierge, Armand nota que personne ne le remarquait. Son existence passait inaperçue. Si May n'avait pas été la bonne personne pour lui, si l'engin avait décidé de tout reprendre à zéro, c'était parce qu'elle avait commis l'irréparable : s'intéresser à lui.

Le concierge lui-même refusait la présence du carré de métal posé entre les deux tasses de thram – les terriens avaient une boisson similaire, qu'ils nommaient café, mais qui tachait les dents. Très heureux d'être le premier à avoir mis la main sur le fils Gillian, dont l'histoire ferait le tour de l'immeuble – à défaut des gros titres dans les journaux, il le pressait de questions tout en évitant du regard le concentrateur portatif.

Lorsqu'Armand revit ses parents, le soir même, il crut au cauchemar. Ils se transformaient en gens de société, que rien n'indispose ni ne surprend, mais qui jugent du monde avec entrain. Plutôt que de lui demander ce qu'il était devenu, ils firent le tour des raisons pour lesquelles son existence serait un enfer. Après avoir vidé son logement, ses rares biens avaient été vendus pour payer le dernier loyer dû. Ses études arrêtées en plein vol, il devrait justifier a minima de raisons de santé et repartir de zéro.

« Je ne vois plus beaucoup de solutions, nota son père, qui s'était mis à fumer. Il ne te reste plus qu'à t'engager dans l'armée.

— L'armée n'embauche pas.

— Tu te trompes, mon garçon. Je ne sais pas dans quels bas-fonds de Kimpa tu as traîné des pieds pendant tout ce temps, mais Fallnir ne t'a pas attendu pour changer, sache-le. Reste à prendre le train en marche. Ce sera ça ou tu finiras dans le décor. Tu vois, mon garçon, Unum est magnanime : il t'offre une dernière chance. »

Unum est magnanime ? Quand ça les arrangeait, car ils s'imaginaient aussitôt grandis. Ils pourraient dire autour d'eux avec éclat : oui, notre garçon est revenu. Là où d'autres l'auraient immédiatement jeté à la porte, nous avons apprécié la sincérité de son repentir. J'ai bousillé mes études et ma carrière, nous a-t-il dit. Il a même fondu en larmes, ce grand garçon. Alors nous avons décidé de lui donner une deuxième chance. Unum est magnanime, comme nous le disons toujours. Il va rentrer dans l'armée. Même s'il n'a pas fini ses études, il pourra passer officier très vite. Nous avons hâte.

Son père et sa mère parlaient de politique. Ils s'entraînaient pour le grand jeu des mondanités ; polissaient leurs petites phrases et leurs arguments, soucieux de faire mouche le moment venu, d'impressionner quiconque ne connaissait pas encore les respectables époux Gillian. Armand fut bientôt exclu de cette conversation. Il sortit respirer un air à peine moins étouffant que celui qui, dans cet appartement, collait au sol et aux rideaux à fleurs.

Rema avait trop changé pour qu'il la reconnaisse. Il fit le tour des quartiers de son enfance, examina de loin les boutiques, lut les titres sur les kiosques à journaux. Il aurait dû croiser un ou deux anges, des touristes, des dryens, mais au lieu de cela ce furent des uniformes qu'il ne reconnaissait pas, comme si une puissance étrangère avait pris le contrôle de Fallnir.

L'événement fondateur de ce nouveau monde avait infusé dans la mémoire collective au point qu'on ne le rappelait plus. Ainsi Armand n'apprit-il la chute d'Eden que deux jours plus tard.

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