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I - 5. Pierre


20 octobre 2018 – 2000 mots

Le titange Pierre régnait sur Eden. Mais nous, chefs d'État, savions pertinemment qu'il n'en était rien. Les anges enveloppaient leur patron d'une aura spirituelle pour compenser son pouvoir temporel inexistant. L'administration de la cité céleste fonctionnait toute seule, sans chef, mue uniquement, non par le désir, mais par la certitude de bien faire. Tous ces anges suivaient la Loi, or la Loi était bonne ; le titange n'était là que pour approuver leurs actions ; s'il les désapprouvait, c'était qu'on ne lui avait pas assez bien expliqué.

Bill Velt, Mémoires de guerre, Chapitre I


Eden, Janvier 2010

On disait qu'à la fondation d'Eden, Unum avait dit à l'un des chefs des anges, le premier Chancelier : sois le socle de cette cité. L'ange s'était alors changé en un géant de pierre et, depuis, il maintenait la ville d'un seul tenant.

C'était une légende.

Le titange Pierre, Chancelier d'Eden, faisait deux fois la taille d'Astyane. Tout dans son attitude, dans la lenteur de ses mouvements et de ses paroles, témoignait de son ancienneté. L'air vibrait à chacun de ses mots, alors que ses lèvres s'entrouvraient à peine. Seul son visage juvénile contredisait cette ancienneté minérale.

« Tu as demandé à me voir, dit-il d'une voix grondante, dont on ne sait si elle réprouve ou interroge.

— Oui, assuma Astyane.

— C'est en rapport avec ta dernière mission. »

Le Chancelier, doyen de tous les anges, savait tout. Il lisait les pensées. Il se le permettait, et on lui permettait : pourquoi cacher le fond de son âme au premier exécutant des volontés d'Unum, au plus sage des anges ?

Sans le vouloir, Astyane étendit vers lui son don de neurolecture. Cet esprit flottait comme une nappe brumeuse. Elle le frôlait sans s'approcher de plus près ; s'y invitant, elle aurait pu s'y perdre.

« La Section 7 » dit Pierre.

Sa voix était si forte, si lointaine, qu'on lui pardonnait sa rareté. Ses termes laconiques ne venaient que compléter ou interpréter les pensées qu'on lui présentait.

« Tu as un don remarquable » nota-t-il.

Son bureau semblait minuscule. Il s'y trouvait juste assez d'espace pour son siège, quelques affaires, des rayonnages de livres. Un vitrail moiré jetait des bribes de lumières éparses. Astyane ne se sentait pas à sa place ici. Les secrétaires de Pierre, bien qu'ils eussent permis cet entretien, le réprouvaient. Elle l'avait lu dans leurs regards et leurs pensées. Tout ange avait le droit de déranger le Chancelier, en théorie ; en pratique c'était une faute.

Une grande résignation émanait de l'archange suprême. Il ne tenait pas la barre du navire. Situé au centre de cette administration tentaculaire, il savait toutes les ramifications du pouvoir d'Eden sur Daln ; pour autant, il ne le contrôlait pas.

« Je suis désolée, dit Astyane, essayant de rassembler son esprit.

— Je comprends pourquoi tu es ici. »

Pierre ôta ses yeux d'elle comme pour l'alléger du poids de son jugement ; et en effet, Astyane se sentit tout à coup plus sereine.

« Oui, ange gardienne, nous savons que Fallnir s'adonne à des recherches prohibées. Son nouveau président est un homme fasciné par la puissance. Il cherche à s'approprier de nouvelles sources de pouvoir.

— Ces nouvelles armes sont interdites.

— Selon la loi d'Unum, toutes les armes sont interdites. »

Parce qu'elle pouvait voir les images à la surface des pensées de Pierre, Astyane le comprenait peut-être mieux qu'aucun autre ange, pas même ses secrétaires, qui tous lui prêtaient des pensées et des intentions contradictoires.

« Pourquoi ne les arrêtons-nous pas ?

— Dans l'histoire d'Eden, deux types de Chanceliers ont occupé mon poste. Les uns pensent que la fin prime sur les moyens. Les autres pensent que les moyens priment. Je fais partie de cette catégorie. L'Histoire nous a enseigné que les moyens, et non la fin, déterminent nos actions. Nous savons que les sots, lorsqu'ils prétendent prévenir la guerre, la déclenchent.

— Mais Fallnir...

— Nous n'avons pas de moyen de pression supplémentaire sur Fallnir. Si nous conditionnons nos moyens aux lois d'Unum, nous ne pouvons pas plus agir que nous le faisons. »

Sans doute Pierre recevait-il peu de visites, car il approfondit aussitôt le sujet, s'adonnant presque à un cours.

« Sais-tu, Astyane, pourquoi Eden possède le pouvoir de l'atman ? Il ne nous a pas seulement été donné par Unum. Il a aussi été enlevé aux autres races. Parce que nous étions les seuls à savoir le garder. Un tel pouvoir est une malédiction. Sitôt entre tes mains, pourquoi n'en ferais-tu pas usage ? Tes buts ne sont-ils pas nobles, n'obéissent-ils pas à un plan vaste ?

L'atman nous a été donné. Certes, nous l'utilisons, mais de façon infime. Cela, nous le savons également. Nos lois sont strictes, Astyane, et pas seulement la loi d'Unum : la loi de la raison. Sitôt que l'on autorise le pouvoir, on en fait usage. Sitôt que l'on en fait usage, on ne revient pas en arrière, aux temps d'impuissance. Sache-le, Astyane. Unum n'a pas donné le pouvoir aux anges pour qu'ils en fassent usage. Non. Il l'a avant tout donné pour que Daln connaisse l'équilibre. »

C'était une interprétation originale de la religion du Dieu Juste, et qu'elle vienne du Chancelier lui-même donna à Astyane une première idée des conflits internes à Eden.

Le Chancelier ferma les yeux, comme si le maintien de son aura supérieure requérait qu'il s'endorme souvent, à mesure de son âge canonique. Astyane crut bon de s'effacer. Elle sortait du bureau de Pierre lorsqu'une pensée plus forte, qui émanait de l'ange assis, la freina. Il lui recommandait de rester encore un peu, à l'ombre d'une alcôve.

Hadrien, le secrétaire de Pierre, second dans la hiérarchie des anges, entra de l'autre côté. Il surgissait d'une porte qu'Astyane n'avait pas remarquée, un air soucieux sur son visage coloré par les fantaisies lumineuses du vitrail.

« Nous avons perdu déjà trop de temps, dit-il en se plongeant dans la lecture d'un document. Vous n'auriez pas dû recevoir cette ange. Du reste, je ne comprends pas bien ce que vous lui avez dit, Pierre. Cette histoire de fins et de moyens... »

Le contraste frappa Astyane. Une proximité de tous les jours avec le titange avait enlevé toute déférence à Hadrien. Il ne le voyait plus que comme un corps occupant un poste honorifique, où il pouvait tout aussi bien être remplacé par un autre, sans que la machine Eden cesse de fonctionner.

Depuis le départ de l'ange gardienne, Pierre semblait pris d'une profonde fatigue. Ses yeux se fermaient encore, bien qu'il continuât de parler ; son visage ne semblait pas lui obéir.

« Je me demande vraiment » dit d'un air soupçonneux le secrétaire indiscret.

Il rabaissa sa tablette de notes et leva les yeux vers Pierre.

« Ceux qui privilégient les moyens suivent Kaldar. Ils n'ont rien apporté à cette planète, car ils sont perdus. Ils ne savent pas ce qu'est le Bien et le Mal. Ils avancent au hasard dans le noir et ils ne savent pas où ils vont.

— Oui, murmura Pierre. Unum, les lois d'Unum, la morale d'Unum, le Bien et le Mal... »

Il hocha tristement la tête, comme quelqu'un qui s'apprête à révéler une mauvaise nouvelle. Pierre ne parlait pas à son secrétaire, mais à Astyane.

« Il n'y a pas de Bien et de Mal. Il n'y a que des bonnes et des mauvaises actions. Si nous observons uniquement la fin, nous ne l'atteignons jamais. Si nous prétendons poursuivre le Bien, nous échouons à le réaliser. Nous sommes incapables de résoudre cette contradiction. L'ordre d'Eden tel que nous le connaissons va disparaître.

— Vous dites cela depuis des années, Pierre. Nous avons duré mille ans et nous durerons encore mille ans. »

Mais Astyane comprenait fort bien qu'un esprit si vaste, qui savait tout de la cité des anges et de son histoire, sût repérer à l'avance les signes d'un changement de monde.

« Vous êtes kaldarien, dit Hadrien, avec un certain mépris, comme si cette remarque relevait de l'insulte.

— C'est fort possible, asséna le Chancelier d'Eden. Unum a été là il y a fort longtemps. Il nous a fait de grands cadeaux. Il a donné le pouvoir aux anges. Il a donné la Loi aux anges. Et ces cadeaux ont fait forte impression sur nous ; mais ils sont creux. Que nous usions ou pas de ce pouvoir, nous échouons sans cesse. Quant à la loi, elle paraît solide comme un roc, mais c'est une falaise de calcaire creuse et friable. Kaldar est venu plus tard sur Daln. Il n'est pas venu porteur de cadeaux. Nous avons dénigré les sages qu'il nous envoyait ; nous avons méprisé la vérité qu'ils apportaient aux quatre races, car après tout, ne possédions-nous pas déjà toute la vérité du monde ? Mais la vérité ne se situe pas dans la Loi d'Unum. Nous sommes en mouvement et la vérité est en mouvement avec nous. Kaldar a compris les conscients mieux qu'aucun autre dieu et il est encore avec nous. Unum nous a quittés. Sa Loi nous échappe, car elle est faite de pierre, alors que nous sommes faits de chair.

— Vous êtes le premier serviteur d'Unum, protesta Hadrien. Votre mission est de faire régner Sa Loi sur Daln. De rendre Sa Justice. D'apprendre aux conscients sa Révélation.

— Qui peut croire que toute la vérité peut être révélée en un jour, à une poignée de conscients ? Qui peut croire qu'elle peut être écrite dans un livre ? Qui peut prétendre, dans ces conditions, guider un monde entier sur la bonne voie ? Nos buts paraissent nobles. Nous avons fait de belles actions. Mais nous sommes dans l'erreur. »

Astyane avait beaucoup à apprendre. Elle découvrait pour commencer que Pierre ne dirigeait pas Eden. L'administration d'Eden, une pléthore d'archanges, un système tout perclus de règlements, de procédures et de notes, fonctionnait indépendamment de lui. Le temps qu'une décision transite jusqu'à l'étage où elle devait être appliquée, dix intermédiaires l'avaient retraduite, la réinterprétant pour qu'elle devienne plus claire, plus conforme, et la transformant en discours hermétique, que la meilleure façon d'appliquer restait, par doute, de ne pas appliquer.

Pire encore, Pierre ne savait pas quoi faire. Il constatait l'impasse dans laquelle se trouvait Eden, détentrice d'un pouvoir et d'une mission qui s'effritaient entre ses doigts, mais ne connaissait nul remède qui ne soit, comme la plupart, pire que le mal ; il ne voyait nul bon chemin, nul moyen qui ne provoque le chaos et la souffrance.

« Votre pessimisme m'étonnera toujours » dit Hadrien en enfilant une paire de lunettes pour lire les dernières notes qu'il avait à communiquer au Chancelier.

Les échelons subalternes ne tarissaient en effet pas de rapports, résumés par chaque niveau, compressés jusqu'à ce qu'il n'en parvienne que des extraits, des phrases hors contexte, des conclusions tronquées. Si Pierre savait tout d'Eden, ce n'était pas par l'entremise de ces instruments de mesure contradictoires, mais par la sincérité des esprits qui flottaient autour de lui, libérés de l'intermédiaire du langage.

Astyane était venue troublée ; elle avait assisté à l'impuissance d'Eden, une réalité à laquelle aucun ange n'aurait voulu croire. Elle comprenait désormais la vérité : Eden avait toujours été impuissante ; mais Daln ne s'en rendait compte que maintenant. Elle tirait sur ses liens et, vinssent-ils à céder, le monde se lancerait dans un mouvement inarrêtable, dû à l'inertie accumulée.

« Vous ne devriez pas perdre de temps avec ces entretiens, l'admonesta encore Hadrien, afin d'enfoncer le clou. Surtout avec des anges aussi jeunes. Ils n'ont rien à vous apprendre et vous n'avez rien à leur apprendre.

— Je me plais à penser, Hadrien, que ces jeunes anges dont vous moquez l'inexpérience sont en réalité bien plus sages que nous le sommes : leurs esprits ne sont pas encore pleins des murs que nous avons érigés dans les nôtres par confort et couardise. »


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J'adore ce personnage.

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