II. SÉLÉNÉ
La deuxième fois que je croisais les prunelles claires de Bérénice, presque transparentes, ce fut un soir, un surlendemain ou deux. Mes journées n'étaient pas forcément plus occupées que les précédentes, mais il pouvait m'arriver de me perdre dans la contemplation d'un vol de mouette, une sardine dans le bec.
L'hiver promettait d'être froid, comme la plupart des hivers ici, sur l'île. J'étais déjà emmitouflée dans un coupe-vent qui dégoulinait d'humidité quand je l'accrochais à son portemanteau en rentrant, et portais un bonnet rouge délavé qui se couvrait de sel par vents violents.
Je ne peux pas dire que c'était des jours oisifs. Je m'occupais toujours comme je le pouvais : j'aidais à décharger les homards sombres aux pinces étreintes d'élastiques de couleurs vives, je gardais les gamins d'un couple pendant quelques heures de l'après-midi, je repeignais les volets de la maison de la vieille Monroe que les embruns décoloraient.
Je passais la plupart de mes journées hors de chez moi pour tromper la solitude ou l'ennui. Mon père était mort peu après ma naissance, avalé par une vague lors d'une tempête. Je n'avais connu que ma mère, et elle l'avait rejoint – au ciel, pas au fond de la mer – un an auparavant. J'avais terminé des études de lettres mais je ne voulais pas quitter mon île pleine de nuages, alors je me débrouillais pour y subsister. Rendant service aux pêcheurs, aux familles et aux gens trop vieux pour s'occuper de leurs affaires.
Les insulaires me connaissaient bien et en général, m'appréciaient. J'étais Vega, la fille aux cheveux noirs qui sait se débrouiller.
J'aimais mon prénom. J'aimais que mes parents, comme des vrais marins, aient donné à leur enfant le nom d'une étoile de la Lyre facilement repérable dans le ciel, quand on sait où se trouve la Grande Ourse et le Bouvier. La Chevelure de Bérénice, quant à elle, était une constellation invisible sans l'appui d'un télescope efficace. Elle ne se révélait qu'à ceux qui étaient suffisamment déterminés à l'observer.
Ce soir-là, je me trouvais une nouvelle fois au bord de cette baie qui avait accueillie notre première rencontre. Gaze Bay. Elle était peu fréquentée à cause de ses galets, ses goémons et sa plage qui faisait face au vent du nord. C'était pour ça que je l'aimais. Ici, je pouvais chanter librement, les joues giflées par la brise.
Les astres ne brillaient pas tout à fait dans le ciel, ceux que je connaissais n'étaient pas encore allumés. Je fredonnais dans le clair de Lune. Il faisait frais, je grelottais un peu mais j'adorais sentir les embruns glacés me mouiller le bout du nez. Je fredonnais donc, assise au bord de l'eau, lorsqu'elle revint.
Elle était plus près du rivage que la dernière fois, mais toujours aussi prudente, aussi sauvage. Elle posait sur moi un regard attentif. Réalisant que j'avais arrêté de chanter, je repris doucement le chant que j'avais appris par cœur : une histoire de pirates esseulés, d'un amour perdu, de navires au plus profond de l'océan.
Je crois qu'elle m'écoutait, car quand je terminai en murmurant Douce nuit, jolie Bérénice aux reflets séléniques sur la surface ondulée de la baie, elle me sourit.
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