
XXV - Purger sa peine
Sitôt la trappe refermée derrière eux, Adrien et Marinette se mirent à s'embrasser. Plusieurs minutes passèrent, seulement entrecoupées par les soupirs de bonheur qui leur échappaient. Enfin, ils s'éloignèrent l'un de l'autre et Marinette proposa qu'ils s'assoient sur sa méridienne. Ils reprirent leur séance de baisers, émaillée, cette fois-ci, de mots doux et sucrés.
Partiellement rassasiés de tendresse, ils purent discuter un peu :
— Tu vas bien ? s'inquiéta Adrien.
— Le début a été difficile, mais ça va mieux, répondit honnêtement Marinette. C'est tellement bon de te voir.
— Si je peux venir régulièrement, je peux supporter tout le reste, lui confia Adrien.
— Tu sais que, pour moi, tu ne viendras jamais trop souvent, lui assura Marinette. Ma seule réserve est le danger que cela te fait courir. Je ne veux pas que tu te retrouves encore plus étroitement emprisonné et que tu perdes toute possibilité de sortir de chez toi.
— Je te promets d'être très prudent.
— Bien.
— Sundar et Nino t'ont dit qu'ils ont pu un peu échanger avec moi, hors de portée de la Rosse ?
— Oui. Je sais aussi que tu dois revoir Nino demain matin. Ne lui dis pas qu'on s'est vus, le mit-elle en garde. Je lui fais confiance, mais moins de personnes sont au courant, plus un secret a des chances de le rester. Tu peux lui confier qu'on arrive à échanger des messages, par contre. Comme ça, il ne s'étonnera pas que je puisse donner de tes nouvelles.
— D'accord.
— Ils m'ont dit que tu t'inquiétais pour moi. Il ne faut pas, Adrien. Tu as vu le soutien que j'ai ici ? Et les copains sont là pour moi également. Je suis très entourée. Je peux t'attendre très longtemps. Alors, quoiqu'il arrive, ne perds pas confiance. Je serai toujours là, je te le promets.
— Merci, mon petit loukoum.
— De rien, mon beignet aux pommes.
Marinette se fit la réflexion que leur habitude de se donner des noms de sucreries et de pâtisseries était en soi un acte de résistance contre Gabriel, qui depuis des années contrôlait étroitement la nourriture de son fils. Ils se câlinèrent encore un moment, puis Marinette décréta qu'il était temps qu'il rentre chez lui.
Avant de quitter la chambre, elle fouilla sur son bureau et prit un badge de sa composition, qui représentait une tour Eiffel multicolore.
— Tiens, lui dit-elle. Tu pourras la mettre sur ta trousse ou sur ton sac. Comme ça, je serai tout le temps avec toi.
— Excellente idée, la félicita-t-il en épinglant le présent sur sa veste.
Il tâta ses poches pour voir s'il avait quelque chose à donner en échange.
— Attends, regarde ce que j'ai.
Elle fouilla dans un tiroir et sortit un assortiment de rubans et en préleva certains.
— On est d'accord que ce sont les couleurs de ton T-shirt préféré, fit-elle remarquer en lui montrant sa sélection.
— Oui, pas mal.
— Tant qu'ils seront sur mon cœur, c'est que tu y es toujours, affirma-t-elle en prenant une épingle à nourrice.
En deux temps, trois mouvements, elle transforma les rubans en fleur, qu'elle fixa sur la poitrine. Il la contempla, ému et admiratif.
— Je suis rassuré, dit-il sincèrement.
Elle le raccompagna dans la salle commune. Les parents étaient couchés. Sur le palier, ils échangèrent un dernier baiser puis Adrien descendit les escaliers.
Marinette remonta rapidement dans sa chambre et alla sur sa terrasse. Elle se mit dans un coin d'ombre pour ne pas être vue. Quelques instants plus tard, une silhouette féline apparut sur un toit, à un pâté de maisons de la boulangerie. Marinette regarda Chat Noir s'éloigner en bondissant.
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Le lendemain matin, Adrien se sentit d'excellente humeur. Il caressa du bout des doigts le badge que Marinette lui avait donné et qu'il avait épinglé à son oreiller.
— Te voilà bien souriant, remarqua son kwami. Rien de tel qu'une petite salade de museau avec sa chérie pour voir la vie en rose. Presque aussi bien que manger un camembert bien fait.
— Et ça sent meilleur, le taquina Adrien.
— Pff, comme si tu savais ce qui sent vraiment bon.
Adrien rit et se leva. Il prit une douche rapide et s'habilla. Il décrocha le badge avec soin et le mit sur son sac. Il voulait que Marinette puisse le voir quand ils se croiseraient. Il l'aurait bien gardé sur lui, mais craignait que Nathalie le remarque. Ce qu'il portait faisait partie de son image et était surveillé.
— Efface ton sourire, conseilla Plagg, avant de plonger dans sa poche. Je te rappelle que tu es un pauvre prisonnier.
— Je l'avais presque oublié, reconnut Adrien. Tu as raison, tirons une tête de six pieds de long.
Ce matin-là, Sundar et Sabrina attendaient Adrien à la porte de l'établissement, à proximité de Lila, mais en l'ignorant ostensiblement. Ils montèrent tous les trois les escaliers, en discutant de sujets légers, suivis par celle qu'Adrien appelait en son for intérieur « La Rosse ».
Il put parler quelques minutes en privé avec Nino à la pause. Son ami sembla rassuré de lui trouver bon moral. Cela lui donna la sérénité nécessaire pour rester impassible quand un de leurs camarades demanda, sur le ton de la plaisanterie, si Lila était le nouveau garde du corps d'Adrien. D'un air modeste, la jeune fille entreprit de donner une explication à leur proximité :
— Je ne devrais peut-être pas le dire, fit-elle en lançant un regard faussement timide vers Adrien, mais la maison Agreste prépare une nouvelle campagne de promotion, où nous apparaîtrons tous les deux. Puisque Adrien semble poursuivi par un paparazzi, nous avons pensé qu'il serait bien d'être vus ensemble les semaines précédentes.
L'idée d'une affiche en compagnie de la Rosse donna la nausée à Adrien. Heureusement, Chloé, qui s'était placée à l'arrière du groupe qui les écoutait, fit semblant de vomir. Cela permit au mannequin de sourire et de paraître satisfait de la situation.
Durant l'heure suivante, Adrien se demanda si cette histoire était vraie. Il s'abstint d'interroger sa voisine. Il avait décidé qu'il ne lui adresserait pas une seule parole et avait réussi jusque-là à s'y tenir. Il attendit le soir, le moment où Nathalie vint lui transmettre les devoirs à faire, inscrits sur le cahier de texte en ligne, auquel il n'avait plus accès.
— Va-t-on me demander de faire un shooting avec la Rosse ? s'inquiéta-t-il.
— La quoi ? Oh, je vois. Eh bien, c'est une possibilité, admit Nathalie.
— Ce sera sa récompense pour son sale boulot ? voulut savoir Adrien.
Nathalie ne répondit pas.
— Je suis touché par les sacrifices que mon père est capable de faire pour me pourrir la vie, commenta Adrien d'une voix amère.
— Adrien, je sais que c'est compliqué en ce moment pour vous, mais ne croyez pas que votre père...
— Je vous en prie, Nathalie. Je ne suis pas d'humeur à écouter les excuses que vous pouvez lui trouver. Peut-être que j'en aurai besoin un jour, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je vais travailler, conclut-il avant de remonter dans sa chambre.
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Le samedi, en accord avec sa mère, Kagami se présenta, seule, devant le portail du manoir Agreste.
— Kagami Tsurugi, annonça-t-elle à la caméra. Pour voir Adrien.
Le temps qu'il fallut pour que les grilles s'écartent fut sensiblement plus long que lors de ses précédentes visites. Sa présence était inattendue et les consignes n'avaient pas été données. Nathalie l'accueillit dans le hall.
— Mademoiselle Tsurugi. Vous nous prenez par surprise.
— Adrien est mon ami. Est-ce si étonnant que je lui rende visite ? répondit-elle tranquillement.
— Je vais voir s'il peut vous recevoir, dit cérémonieusement Nathalie. Veuillez me suivre.
Kagami fut introduite dans le salon et la porte se referma derrière elle.
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— Monsieur, Kagami Tsurugi est là. Elle demande à voir Adrien.
— Vous l'avez laissée entrer ?
— Il était délicat de la laisser dehors.
— Sa mère ne nous a pas contactés depuis le début de la semaine ?
— Non, Monsieur. Je pense qu'elle est au courant, non seulement de la situation, mais de la visite de sa fille. Elle risque de mal prendre le fait que nous refusions de recevoir Kagami.
— Il est hors de question de les laisser seuls tous les deux.
— Je resterai, s'il le faut.
— Faites au mieux.
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Cela faisait bien cinq minutes que Kagami attendait, quand la porte s'ouvrit sur Adrien. Il sourit largement en la découvrant et vint à elle. Il l'embrassa amicalement sur les deux joues et demanda :
— Tu vas bien ?
— Oui, et toi ? répondit-elle en remarquant que Nathalie s'était glissée dans la pièce et qu'elle prenait place sur un siège, contre un mur.
— Ça va. Bon, tu imagines que mon père n'est pas ravi de la publicité. Je dois éviter de me montrer en public, excepté au lycée.
— Tu n'as pas le droit de me voir seul ?
Adrien jeta un regard rapide vers Nathalie et commenta :
— On peut comprendre qu'on nous fasse moins confiance. Que dit ta mère de tout ça ?
— Je pense que, vu les circonstances, elle préfère savoir que nous ne sommes plus aussi proches.
— Tu vas pouvoir continuer tes cours ?
— Je ne sais pas encore. Elle n'a pas formellement refusé. À ce propos, voici ce que tu m'avais prêté. Je te remercie.
Kagami avait tiré une enveloppe de sa poche. Adrien la prit et l'ouvrit. Il saisit une partie des billets qui s'y trouvaient et rendit le reste.
— Je t'avais dit que c'était mon cadeau d'anniversaire. Je serais très vexé si tu le refusais.
Kagami ne pensait pas qu'il s'en souviendrait. Elle en fut touchée.
— Je préfère que tu le prennes, dit-elle cependant. C'est ma mère qui m'a donné ça. Je ne peux pas le garder.
— Il est à toi. Personne ne sait que je te l'ai rendu. Profites-en.
Kagami regarda vers Nathalie qui était en train de travailler sur sa tablette et qui semblait se désintéresser des adolescents.
— Tu vois, dit Adrien avec un sourire malicieux. Ni vu ni connu.
Elle sourit à son tour. Pour le remercier, elle demanda :
— Comment ça se passe avec Marinette ? Cela ne doit pas être facile pour elle non plus, cette histoire.
Le visage d'Adrien se ferma.
— Elle a préféré mettre fin à notre relation. Trop de pression, ajouta-t-il en jetant un regard rapide vers Nathalie.
Kagami comprit qu'il fallait changer de sujet. Elle réfréna son indignation et sa compassion pour Adrien.
— On te laisse tranquille au lycée ?
— Oui, ne t'en fais pas. J'ai beaucoup d'amis là-bas. Je suis content de te voir aussi.
Ils discutèrent encore un peu. Adrien parla des anecdotes dont ses camarades lui avaient fait part. Kagami lui apprit la sortie d'un nouvel album d'un chanteur qu'ils appréciaient tous les deux. Mais c'était compliqué de se sentir à l'aise avec la surveillance dont ils faisaient l'objet. Et puis Kagami avait une autre visite à faire.
Quand elle prit congé, elle dit :
— Je reviendrai la semaine prochaine. On pourra faire une partie de go.
— Si ta mère accepte que tu ailles à ton cours, je préfère que tu en profites. Dans le cas contraire, avec plaisir.
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Kagami était profondément choquée d'apprendre que Marinette avait rompu avec Adrien. À cela s'ajoutait l'agacement de devoir, une fois de plus, changer d'avis sur elle. À chaque fois que Marinette remontait dans l'estime de Kagami, il fallait qu'elle gâche tout. Et quand Kagami la jugeait plus sévèrement, elle se montrait étonnamment honorable. Cependant, Kagami ne voyait pas ce qui pourrait racheter un tel abandon.
Elle profita qu'un voisin sortait de l'immeuble pour y pénétrer. Elle sonna à l'appartement du haut. La porte s'ouvrit sur Marinette.
— Tu n'es qu'une lâche ! lui balança Kagami sans prendre de gants.
Marinette soupira avant de répondre :
— Je suis touchée que tu prennes la peine de te déplacer à chaque fois que tu veux m'insulter. Qu'est-ce que j'ai fait, cette fois ?
— Adrien m'a dit que tu l'avais laissé tomber.
Marinette parut soudain s'intéresser à la conversation :
— Tu l'as vu ?
Kagami ne répondit pas. Elle n'avait pas envie d'en parler avec cette fille.
— Oh, arrête de faire la tête, s'exclama Marinette. Si tu veux savoir ce qui s'est vraiment passé, entre. Je vais faire du thé.
Elle lui tourna le dos et alla dans le coin cuisine. Kagami hésita. Que Marinette voulait-elle dire par « ce qui s'est vraiment passé » ? Était-ce encore une pirouette ou une information utile ? Elle finit par se décider et pénétra dans l'appartement en fermant la porte derrière elle.
— Mets-toi à l'aise, lança Marinette. Il faut qu'on discute. Toi, tu me racontes ta visite et, moi, je te dis tout le reste.
Kagami n'avait pas l'intention de commencer. Elle posa son sac et s'assit au bar de la cuisine. Elle resta silencieuse pendant que Marinette disposait les tasses, puis versait l'eau chaude dans la théière. Enfin, Marinette les servit et s'installa à son tour.
— D'accord, c'est moi qui parle en premier. Donc, qu'est-ce que tu aurais fait, toi, si monsieur Agreste avait menacé d'interdire à Adrien de retourner au lycée et de voir ses amis, si tu ne rompais pas avec son fils ?
Kagami la contempla, horrifiée :
— C'est ce qu'il t'a dit ? eut-elle du mal à croire.
— Tu penses que j'aurais pu laisser tomber Adrien pour un sale buzz sur internet ? lui demanda Marinette le regard dur. Tu me connais vraiment mal, Kagami.
La visiteuse se souvint du coup d'œil qu'Adrien avait jeté vers Nathalie en parlant de pressions. Il avait tenté de lui dire la vérité, comprit-elle enfin.
— Et tu as réussi à le faire savoir à Adrien ? s'inquiéta-t-elle.
— Oui, heureusement. On arrive à échanger quelques informations.
— Il a très bien joué son rôle, tout à l'heure, remarqua Kagami, vexée d'être tombée dans le panneau. Il avait l'air vraiment touché par ta défection.
— Vous étiez seuls ?
— Non, Nathalie était là.
— C'est pour elle qu'il jouait la comédie. Tant mieux s'il était crédible.
— Je vois. Comment arrivez-vous à communiquer ?
— Tu n'as pas besoin de le savoir. Au lycée, on fait ce qu'on peut, mais il est marqué à la culotte par Lila Rossi. Je crois que tu vois qui c'est.
— Effectivement, fit froidement Kagami.
— Tu peux imaginer comme c'est pénible. Elle écoute toutes ses conversations. Il doit donc faire comme si tout était normal. Quant à moi, je ne peux pas l'approcher du tout. Il perdrait ses derniers lambeaux de liberté. Mais les copains peuvent plaisanter avec lui, en ignorant Lila. Ils se voient aussi dans les toilettes des garçons.
— Je n'imaginais pas que c'était à ce point-là. Il donne l'impression que tout va bien.
— C'est dur, mais il sait qu'on est là pour lui. On lui parle autant que possible et il arrive à échanger quelques lettres avec moi. On espère l'aider à tenir le temps qu'il faudra.
— Tu penses que cela va durer longtemps ?
— Je suppose que son père va finir par pardonner le mensonge sur votre relation. Ou bien comprendre qu'il ne peut pas continuer à le faire suivre tout le temps ni le garder enfermé. Au pire, il sera majeur dans un peu plus d'un an. On finira bien par y arriver. Maintenant, à toi de parler. Raconte-moi ta visite.
Quand Kagami eut terminé son récit, Marinette demanda :
— Et toi, ça s'est passé comment ? Qu'as-tu dit à ta mère, finalement ? Elle sait que tu n'étais plus avec Adrien au moment où la photo a été prise ?
— Je le lui ai appris. J'ai avoué aussi pour mes cours et elle m'a dit qu'elle allait y réfléchir.
— Quels cours ?
— Adrien ne t'en a pas parlé ?
— Il m'a dit que cela t'arrangeait que vous fassiez semblant d'être toujours ensemble, mais il n'a pas précisé ce que tu faisais de ton temps libre. C'était par discrétion, spécifia-t-elle.
— Je prends des cours de claquettes, consentit à révéler Kagami.
— Trop génial, tu me montres ? Tu as tes chaussures avec toi ?
— Non, j'ai préféré aller voir Adrien.
— Tu me montreras un jour ? C'est typiquement le genre de trucs que je voulais faire petite, mais j'étais trop maladroite pour ça.
Kagami ne put s'empêcher de sourire. Ce n'était pas de la moquerie. À sa manière, Marinette était attendrissante. Et forte aussi. Davantage que Kagami l'aurait imaginé.
— Dis, demanda-t-elle, la dernière fois que je suis venue, quand tu m'as dit que tu pensais que tu n'étais pas la bonne personne pour Adrien ou que ce n'était pas le bon moment. Tu prévoyais qu'il arriverait quelque chose comme ça ?
Marinette haussa les épaules.
— Je n'avais rien de précis en tête, mais je pressentais quelque chose, en tout cas. Et je n'étais pas certaine de pouvoir le surmonter.
— Pourquoi as-tu finalement dit oui, alors ?
— J'ai décidé d'être la bonne personne et que c'était le bon moment.
— Est-ce le cas ?
La Marinette solide comme un roc refit son apparition :
— Oui, c'est le cas.
En redescendant l'escalier, Kagami dut avouer qu'elle était battue à plate couture. C'était dur à admettre, mais c'était ainsi : Marinette était la bonne personne pour Adrien.
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Cela faisait un mois que la vidéo - désormais pratiquement oubliée du grand public – avait été postée. Adrien commença à s'habituer à sa nouvelle vie. Il arrivait presque à ignorer Lila quand il était au lycée, se concentrant sur ses amis qui venaient le voir tous les jours. Il découvrit aussi que Lila lui laissait du champ quand aucun de ses proches n'était dans les parages. Il pouvait ainsi parler librement avec d'autres élèves de sa classe quand elle était dans un bon jour. Ce n'était pas toujours le cas. Grâce à Marinette, Adrien savait ce qui motivait ses sautes d'humeur : Chloé le vengeait en se déchaînant sur le compte Instagram qu'elle avait créé pour se moquer de l'insupportable fille. S'il était tombé dans l'oubli les mois précédents, ses mises à jour drôles et féroces l'avait remis au goût du jour. Ces jours-là, Lila serrait les dents avec rage, ce qui qui éveillait chez Adrien une joie revancharde. Il attendait avec impatience que Marinette lui donne accès à ces articles. Il savait que sa petite amie se sentait partagée à ce sujet. Elle n'avait plus le moindre scrupule en ce qui concernait Lila, mais elle craignait des représailles dont il serait la victime.
Chaque fois qu'il la croisait dans les couloirs, Adrien pouvait voir sur le cœur de Marinette un assortiment de rubans multicolores, différemment tressés et composés à chaque fois. Elle lui faisait ainsi savoir qu'elle s'habillait en pensant à lui chaque matin. Il allait chez elle deux fois par semaine et recevait la visite de Ladybug deux autres jours. Il avait manqué un combat qui était intervenu durant un cours. Ladybug s'était débrouillée avec Méli-Mélo.
Kagami était venue deux fois, le dimanche, jouer avec lui au go. Elle avait eu le droit de continuer son activité de claquettes, ce qui avait fait plaisir à Adrien. Enhardie par cet exemple, Chloé s'était à son tour présentée. Ils avaient pu, surveillés par Nathalie, jouer à des jeux de console.
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Un vendredi soir, Nathalie le prévint :
— Adrien, demain, vous aurez un shooting à partir de 9 heures du matin.
— D'accord, je serai prêt à 8 heures.
— Très bien.
Nathalie sembla hésiter, puis ajouta :
— Ce seront des photos communes avec mademoiselle Rossi. Je suis désolée, je sais que vous ne le souhaitez pas.
— J'espère que je n'aurais pas à la regarder avec des yeux de merlan frit, soupira Adrien.
L'expression de Nathalie lui parut de mauvais augure.
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Lila était déjà sur place quand Adrien fut déposé par son chauffeur à 8 heures 45 sur le lieu de la prise de vue. Elle racontait sa vie passionnante aux maquilleurs et maquilleuses.
— Bonjour, Adrien, lui dit le photographe. Tu es en forme ?
— Oui, Vincent. Et vous ?
— Ça va bien ! Je suis content qu'on travaille ensemble, aujourd'hui. Tu savais que la petite Lila avait des relations à l'agence CAPA ? Elle va leur donner mon book.
— Super, soupira Adrien, qui se sentit déjà épuisé à l'idée de rester plusieurs heures avec cette bonimenteuse.
Il passa au maquillage, puis inspecta les divers costumes qui étaient prévus pour lui. Il revêtit celui qu'on lui désigna. Il revint vers le photographe, qui commença à les placer et à leur donner des directives.
— Allez, vous êtes un couple d'amoureux et vous êtes dans un endroit de rêve. Vous allez alternativement examiner le paysage autour de vous et vous regarder pour partager votre émerveillement.
Adrien se concentra comme il le faisait avant chaque prise de vue. Il appelait ses propres images, celles qui lui conféreraient les expressions demandées. Il allait penser à ses dernières vacances et tenter d'imaginer Marinette à ses côtés. Cela devrait passer. Il fit signe à Vincent qu'il était prêt. Lila se rapprocha de lui et il songea très fort à Marinette. Il laissa son visage refléter la tendresse qu'il ressentait quand il était auprès d'elle. Il l'imagina en train de rire et sentit un sourire fleurir sur ses lèvres.
— Très bien Adrien, allez, Lila, imaginez que vous vous trouvez devant une mer bleu azur, il fait beau, vous vous sentez bien. Oui, voilà, très bien, maintenant regardez-vous...
Adrien se tourna vers Lila et se crispa quand elle se pencha vers lui.
— Plus amoureux, Adrien, tu es heureux d'être avec une si belle fille !
Adrien tenta de se concentrer davantage sur ses images intérieures. Il suivait les directives, mais sentait que cela n'allait pas. Les inflexions dans la voix de Vincent, qu'il connaissait bien, ne faisaient que confirmer son ressenti. Il se sentait de plus en plus oppressé, alors que Lila se lovait de plus en plus étroitement contre lui. À partir du moment où il le réalisa, il sentit sa concentration s'effilocher.
Finalement, Lila posa la tête sur son épaule. L'idée de retrouver sur les murs de Paris leur couple enlacé tétanisa totalement Adrien. Il vit Vincent abaisser son appareil. Cela n'allait pas du tout.
— On va faire une petite pause, dit le photographe. Élie, tu veux bien donner une teinte un soupçon plus rose à Lila ?
Le maquilleur aurait pu venir avec sa brosse pour faire la retouche. Cependant, il travaillait avec Vincent depuis longtemps et comprit parfaitement ce qu'on attendait de lui.
— Venez, Lila, on va vous rendre encore plus resplendissante que maintenant.
Elle se décolla d'Adrien et suivit Élie vers les tables de maquillage. Vincent s'approcha du mannequin et feignit d'arranger son col.
— Qu'est-ce qui ne va pas, mon grand ?
Le premier réflexe d'Adrien, professionnel, fut de dire qu'il allait se reprendre et que tout allait bien se passer. Mais il réalisa qu'il n'y arriverait pas. Les photos ne seraient pas bonnes. Pas dans ces conditions. Et puis il n'en pouvait plus de cette fille.
— Je la déteste, confia-t-il. Je ne peux pas jouer ce rôle. Je ne veux pas qu'elle me touche. Désolé.
— Bon, ça arrive. Tu aurais pu me le dire tout de suite.
— Mon père tient à ces photos.
— On va lui faire de belles photos à ton père, ne t'en fais pas.
Quand Lila revint, elle avait le regard méfiant. Elle sentait qu'on l'avait éloignée.
— On reprend ? dit-elle d'un ton joyeux en posant la main sur l'épaule d'Adrien.
Il se raidit et dut se référer pour ne pas la repousser.
— Vous allez vous mettre dos à dos, indiqua Vincent. Je vous veux, chacun dans votre monde. Vous êtes proches, mais séparés.
— Je croyais que nous devions être un couple d'amoureux, protesta Lila.
— On passe au plan suivant. Allez, en place, s'il vous plaît. On doit sentir la froideur, la tension... je veux de l'intensité.
Deux heures plus tard, c'était terminé. Vincent les avait fait travailler de diverses manières, mais en évitant les mises en scène romantiques. Lila avait tenté plusieurs fois de revenir au scénario qui lui plaisait, mais Vincent l'avait habilement dirigée vers d'autres poses.
Adrien eut quelques secondes privées avec le photographe à la fin de la séance.
— Merci infiniment.
— De rien. Ça fait des années qu'on travaille ensemble. Si je ne t'écoute pas, on ne fera plus du bon boulot.
— Merci quand même. Oh, pour l'agence CAPA, n'espérez pas trop. Elle ne connaît personne là-bas. C'est une mythomane.
— Tu ne l'aimes vraiment pas.
— Si vous saviez la moitié de ce que je sais sur elle, vous ne l'aimeriez pas non plus.
— D'accord, je le garde à l'esprit.
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Adrien savait qu'il aurait un retour sur cette séance. Vincent n'avait pas fait ce qu'on lui avait demandé. Les clichés seraient beaux, mais pas dans le ton que l'agence de communication avait prescrit.
Effectivement, le lendemain matin, Nathalie, après lui avoir transmis ses devoirs à faire, s'enquit :
— Cela n'a pas été trop difficile, hier ?
— J'ai fait ce que j'ai pu, répondit Adrien. Il y a une limite à ma capacité de comédien. C'est mauvais ? s'inquiéta-t-il, soudain effrayé à l'idée qu'on lui demande de recommencer.
— Monsieur Asa a bien défendu son choix artistique, lui apprit Nathalie. Cela devrait convenir. Mais ce n'est pas ce que votre père avait commandé et il n'aime pas qu'on lui force la main.
Adrien retint l'impertinence qui lui venait à l'esprit et fit remarquer :
— Cela fait un mois qu'il ne m'a pas parlé. Est-ce qu'il se souvient que je suis son fils ? Que je suis autre chose qu'un vague pion qu'il déplace de temps en temps sur son échiquier ?
— Votre père pense beaucoup à vous...
— Il réfléchit sans doute à ce qu'il peut encore me prendre.
— Non, Adrien, il veut votre bien.
— Il oblige ma petite amie à rompre, il me sépare de mes amis, il me boucle comme un prisonnier, il me jette dans les bras d'une arriviste et vous osez prétendre que c'est pour mon bien ? C'est quoi le bien, pour lui ? Que je sois complètement lobotomisé ?
Adrien avait hurlé la dernière phrase. Nathalie ouvrit la bouche, mais rien n'en sortit. Elle était à court de répliques.
— On est bien d'accord, en conclut sombrement Adrien avant de repartir vers sa chambre.
Il claqua la porte derrière lui et s'avança vers sa verrière. Il ouvrit un battant et sortit sa tête dehors pour remplir ses poumons d'air frais. Il haletait. Il avait un énorme poids sur la poitrine qui l'empêchait de respirer.
— Adrien, Adrien, ça va ? fit la voix inquiète de son kwami. Ne te penche pas autant, s'il te plaît.
Adrien ne pouvait pas répondre. Il sentait les larmes lui monter aux yeux. Non, il n'allait pas bien. La séance de la veille l'avait affecté. Que son père l'utilise pour récompenser Lila de le surveiller était d'un cynisme obscène. Il repensa à ce que lui avait dit Tom Dupain. Qu'il pouvait en vouloir à son père en continuant de l'aimer. Il savait qu'une part de lui-même ne souhaitait pas haïr son père. Mais cette part était profondément meurtrie par la manière dont Gabriel le traitait. Y avait-il une part de son père qui l'aimait, alors que tout le reste s'obstinait à lui arracher tout ce qui comptait pour lui ? Comment faisait-il pour s'en accommoder ? Adrien avait de plus en plus de mal à le faire. Il avait désespérément besoin d'un geste de son père qui montrerait qu'il comptait pour lui, et pas seulement en tant que mannequin vedette.
Il se demanda comment Tom avait vécu le rejet de monsieur Dupain. Il avait déjà Sabine dans sa vie, se souvint Adrien. Il l'avait choisie et il avait bien fait. Ils avaient eu une fille qui avait réconcilié la famille. Est-ce que Marinette et lui pourraient avoir un enfant qui amènerait son père à s'intéresser à ce qu'il était réellement, pas seulement au fait qu'il soit représentant de sa marque ?
Il n'avait pas encore d'enfant, mais il avait déjà Marinette. Il avait aussi Tom et Sabine, qui se préoccupaient de son bien-être davantage que son propre père. Et Chloé, Nino, Kagami, Sundar, tous ses anciens camarades de troisième. Ils s'inquiétaient de son sort. Ils lui prouvaient que ce n'était pas lui, le problème, mais bien la manière dont il était traité. Il fallait qu'il tienne le coup. Qu'il soit à la hauteur de l'implication de ses amis.
— C'est bon, Plagg, dit-il enfin. C'est passé.
C'était vrai. Il respirait librement désormais. L'air printanier était doux et embaumé. Adrien se pencha encore, pour soustraire la moitié de son corps à la pesanteur de la maison. C'était exactement sa situation, se dit-il. Une partie de lui, clouée par les restrictions, l'autre, libérée par l'amitié de ses camarades, l'amour de Marinette et la confiance de Ladybug.
— Adrien... fit une voix prudente.
Il se redressa et se retourna. Nathalie se tenait sur le seuil de sa chambre. Très pâle. Il se demanda ce qui s'était passé, avant de réaliser qu'elle avait dû le voir en train de basculer par la fenêtre.
— Ne craignez rien, Nathalie. Je n'ai pas envie de mettre fin à mes jours. J'espère bien survivre jusqu'à mes dix-huit ans pour quitter définitivement cette maison.
Elle tenta de rester impassible, mais il déchiffra la peine dans ses yeux. Cela ne le réconforta pas. Au contraire. Son père et elle savaient ce qu'ils lui faisaient. Et ils le faisaient quand même.
— Je venais vous dire que vous pouvez aller voir votre père, si vous le souhaitez, dit enfin Nathalie.
— Je suis convoqué ?
— Non, la porte vous est ouverte.
— Merci, je vais y penser.
Elle le regarda, hésitant visiblement à le laisser seul. Pour la rassurer, il alla s'asseoir à son bureau. Enfin, elle quitta la pièce en refermant la porte derrière elle.
— Tu fais peur, Adrien, dit Plagg.
— J'ai eu un passage à vide, cela va mieux, maintenant.
— Tu vas aller voir ton père ?
Adrien réfléchit à la question. Il avait envie de retarder la démarche, pour montrer que c'est lui qui choisissait le moment. Regagner un peu de contrôle. Puis, il se dit que son père verrait ce délai comme un caprice enfantin. Il avait demandé à le voir. Bouder quand on répondait positivement à sa requête manquait de maturité. C'est en profitant rapidement de l'invitation qu'il se montrerait à la hauteur de la situation.
— Oui, j'y vais.
Il descendit et frappa à la porte du bureau. Son père l'invita à entrer.
— Je pensais que tu mettrais plus de temps, l'accueillit Gabriel, prouvant qu'il avait choisi la bonne option.
C'est presque un compliment, décida Adrien.
— Tu as quelque chose à me demander ? demanda Gabriel.
Dites-moi que vous m'aimez. Prenez-moi dans vos bras. Annoncez-moi que je vais de nouveau pouvoir mener une vie normale. Faites-moi comprendre que vous êtes heureux de passer un peu de temps avec moi...
Non, Gabriel ne pouvait pas envisager leur conversation autrement qu'avec un but déterminé. Adrien dit la première chose qui lui passait par la tête :
— J'aimerais reprendre le sport.
— Cela semble effectivement te manquer, commenta son père. Il paraît que tu es un peu sous pression.
Nathalie pense que je vais me balancer par la fenêtre, mais c'est sans doute parce que je manque d'exercice. Ne changez surtout rien, Père.
— Si je te laisse retourner à l'escrime et au basket, continua Gabriel, puis-je avoir ta parole que tu ne chercheras pas à joindre tes mauvaises fréquentations et cette Dupain-Cheng en particulier ?
— Sûrement pas ! répondit Adrien sans hésiter.
— Je ne peux donc toujours pas te faire confiance, constata son père.
— Je viens de vous dire la vérité, fit remarquer Adrien. C'est si j'avais promis que vous auriez dû vous méfier.
— Je n'aime pas ta nouvelle façon de me répondre.
— Je n'apprécie pas non plus votre nouvelle façon de me traiter.
— Je n'espérais pas que tu puisses comprendre.
— Comprendre quoi ? Y a-t-il une raison à tout ça ?
— Oui, il y en a une. J'agis pour ton bien.
— Si mon bien est de vous ressembler, sachez que ce n'est pas ce que je veux. Je veux avoir des amis, je veux qu'on me laisse aimer qui je veux, je veux avoir un peu de liberté !
— Ta mère ne te manque pas ? demanda Gabriel.
Adrien resta un instant désarçonné par le changement de sujet. Il était rare, aussi, que son père évoque Émilie.
— Si, bien entendu. Mais ce n'est pas ça qui m'est le plus pénible, aujourd'hui. Mais si vous voulez vraiment qu'on en parle, croyez-vous réellement qu'elle approuverait ce que vous me faites subir ?
— Elle comprendrait mon objectif.
— Ce n'est pas mon cas.
— Le moment n'est pas venu. Mais il viendra. Bientôt, j'espère.
Adrien secoua la tête. Ce dialogue ne menait à rien.
— Je suppose que, dans cette attente, je ne dois pas espérer voir mon sort s'améliorer ?
— Les preuves de bonne conduite se font attendre.
— Je n'ai pas encore étranglé Lila Rossi. Croyez bien que ce n'est pas l'envie qui m'en manque.
— Ne lui donne pas plus d'importance qu'elle n'en a. C'est une parasite, elle aussi.
— Cela fait longtemps que je le sais. La question que je me pose, c'est pourquoi la laissez-vous me sucer le sang ?
— Tu es assez résistant pour mettre les limites, si j'en juge par les photos d'hier.
— Mes limites à moi l'auraient mise hors champ.
— Elle le sera bientôt. Ne te plains pas trop. Si tu avais été honnête avec moi, je n'aurais pas eu à te l'imposer. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
— Je vois. Merci père de m'avoir sacrifié votre temps. Je vais continuer à purger ma peine.
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Voilà pour cette fois. Pour la suite, on va passer au rithme d'une fois par semaine. En effet, on commencera un nouvel arc (le dernier) dont je n'ai pas tout à faire terminé la rédaction. Je suis actuellement en train d'écrire la partie qui lui manque encore, aux alentours du chapitre 30 (sur 34 en tout, la fin étant déjà rédigée). Vu mon emploi du temps, je préfère me donner 4 semaines pour terminer le passage en cours d'écriture.
Vous avez le droit de m'encourager en me postant plein de commentaires ;-)
Le prochain chapitre s'appellera "Coup de foudre" et il sera encore question de Lila. (J'aime bien que vous vous posiez des questions sur le contenu du chapitre suivant !)
A la semaine prochaine !
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