You can't catch me now.
Quelques jours plus tard Félix était enjoué, pourtant, le traitement matinal l'avait éreinté et rien que l'idée de bouger trop vite lui était douloureuse, pour autant il avait donné et fait son maximum pour cette surprise, alors honnêtement, peu importe son état, du moment qu'elle avait lieu.
Il avait prévenu toute l'équipe, il avait demandé des paniers repas pour tous deux, ou plutôt des « paniers plaisir » comme les appelaient Jeongin et il avait même réquisitionné un fauteuil roulant pour lui permettre de se balader plus facilement avec Jeongin même s'il savait d'avance que ce dernier allait probablement l'envoyer balader avec. Cependant il devait tenter, c'était plus fort que lui... Maintenant que Jeongin lui avait confié cela, quelque chose d'aussi « simple », il ne pouvait pas le laisser passer et le laisser tomber dans l'oubli.
Alors ce matin, alors que Jeongin était sorti pour faire un point avec le médecin de garde, Félix avait tout organisé avec Dorotha. Elle les conduirait elle-même sur place avec le mini-van de l'hôpital et pendant qu'ils en profiteraient, elle prendrait un repas dans un restaurant quelconque puis un café quelque part. Leur laissant le plus de temps possible ensemble.
Cette dernière avait accroché une bonbonne pleine avec un masque derrière le fauteuil et un sac à dos « d'urgence » attenant contenait tout ce qui pourrait leur être nécessaire en cas de problème. Elle était confiante, bien sûr qu'une pointe d'inquiétude lui tiraillait tout de même l'estomac, mais pour être honnête elle avait confiance en Félix et Jeongin allait mieux depuis plusieurs jours, véritablement mieux, alors pourquoi ne pas tenter ? Sa seule crainte était qu'il ne dise non. C'était le plus probable, mais ça elle n'en dit rien à Félix qui ne se défaisait pas de son sourire angélique et de sa positivité naturelle qui crée de jolies fossetes sur son visage tacheté d'étoiles.
Jeongin n'avait jamais participé aux activités de groupe, ni même celles imposées. Il faisait quelques cours éducatifs privés dans sa chambre, seul, jamais rien de plus. Ca avait toujours été ainsi, surtout depuis que sa mère avait cessé de venir. Avant, il faisait au moins le minimum, maintenant les choses étaient différentes.
Félix était devant leur chambre attendant le retour de Jeongin comme celui du Messie. Il était stressé, Dorotha pouvait le voir dans la manière dont il se tenait à la poignée et dont ses mains semblaient moites, si ce n'étaient tremblantes. Elle le savait car l'une de ses dernières, solidement accrochée à la poignée, glissait sans cesse contre la matière faite de plastique, pour autant il semblait tenir bon !
C'est alors qu'elle le regarda encore davantage, avec plus de minutie et c'est à cet instant qu'elle comprit véritablement que Jeongin n'était plus seul. Qu'il ne l'était plus depuis des mois et que dorénavant, il ne le serait plus jamais.
Debout dans ce couloir ne se tenait pas qu'un colocataire de galère, il ne s'agissait pas ici d'un patient, ni d'un pote ou un ami. Il était un équilibre, un espoir, un aventurier, un amour naissant voire déjà éclos..., il était son amant.
Elle se garda de tous questionnements et tenta de ravaler pour la millième fois cette semaine, les émotions qui lui oppressaient le thorax tout entier quand elle aperçut Jeongin arriver au loin de sa démarche nonchalante. Son bonnet noir toujours fixé par dessus le haut de ses oreilles lui compressait le crâne et ses lèvres étaient rosées par un baume qu'il portait toujours depuis qu'elle l'eut connu. A sa manière, il savait être charmant, elle devait bien le lui accorder. C'était un petit con, mais il avait son charme et elle comprenait aisément pourquoi Félix avait craqué pour lui, et vice versa...
- Qu'est-ce qu'il y a vous deux ? On dirait que quelqu'un est mort.
Dorotha soupira face à son humour noir qu'elle détestait toujours autant pendant que Félix pouffa en regardant ses chaussures. Elle le détestait d'autant plus quand il se permettait de faire ce genre de blague dans les couloirs. D'une certaine manière, elle était presque sûre qu'il le faisait exprès. Provocateur dans l'âme, dès son plus jeune âge.
- Je t'amène quelque part.
- Toi ?
- Oui, moi...
- C'est un date, un truc du genre ?
Félix fut décontenancé par la question et ses yeux se firent plus grands qu'ils n'avaient jamais été. Dorotha fut elle-même surprise et elle indiqua à Félix d'un signe discret de tête qu'elle se rendait devant l'hôpital pour préparer le mini-van et ainsi leur laisser un peu d'intimité.
Jeongin, lui, ne sembla pas gêné le moins du monde et il regarda avec amusement Félix se décomposer en se balançant d'un pied sur l'autre. Ses sourcils, quasi disparu depuis les années se haussèrent et dans un sourire en coin, il ajouta pour détendre l'atmosphère ;
- Ça va je rig...
- T'aimerais que ça en soit un ?
- De quoi ?
Cette fois-ci, c'est Jeongin qui resta interdit un moment. Il fixa dans les yeux son nouvel ami et ce dernier ne cilla pas un seul instant, sur de lui. Il ancra ses yeux noisettes à ceux sombres de son acolyte, comme pour le mettre au défi de dire ce qui ne se sous-entendait qu'entre les murs de leur chambre et de leurs pensées les plus enfouies, les plus salvatrices. Il le regardait, comme pour lui dire, vas-y, dis-le, dis-le enfin.
- Est-ce que t'aimerais que se soit un rendez-vous ?
Félix ne sourcilla toujours pas et sans trop savoir pourquoi Jeongin eut envie de pleurer. Ça ne lui était pas arrivé depuis des années, mais là devant tous, dans ce couloir bondé de monde qui passait et repassait, il aurait pu pleurer. Devant le service tout entier s'il le fallait, il aurait pu se noyer dans ses larmes tant elles lui brûlaient l'œsophage.
Ses yeux se firent vitreux d'un espoir qu'il ne souhaitait pas avoir et son silence fut plus éloquent que tous les discours qu'il aurait pu prononcer.
Alors, terminant de l'achever, Félix s'approcha de lui et avec douceur, il le prit dans ses bras. Il le maintenait tout contre lui et même si ses bras à lui ne l'enlaçaient pas il pouvait sentir toute la tension et tout l'amour qui se dégageait de son corps. Jeongin était brûlant, brûlant d'un désir qui lui semblait interdit, pire, qui lui semblait proscrit. Il était l'exilé des sentiments, des interactions sociales, des voyages amoureux et des désirs d'adulte, mais cet homme avait traversé une mer déchaînée pour le rejoindre dans son exil. Il l'avait apprivoisé, avec patience et dévotion et sans qu'il sache comment ou par quel moyen ils en étaient arrivés là, Félix lui souffla,
- Alors c'est un rendez-vous.
Jeongin avala avec force sa salive et ses mains tremblèrent quand elles s'accrochèrent fébrilement aux hanches menus de son vis à vis. Il apposa son front contre son épaule tout en courbant son dos et dans un murmure il lui confia,
- Personne ne veut d'un cadavre dans son placard Félix, tu mérites mieux que ça, mieux que moi...
- Je suis malade Jeongin, mais pas dément. Et je crois que je suis en âge de décider de manière consciente et réfléchie de ce que je veux ou ne veut pas dans ma vie, j'espère juste que toi aussi car à partir de maintenant, il n'y aura pas de retour en arrière.
Jeongin meurtrit presque les hanches de son compagnon tant il s'y accrochait comme à une bouée avant de finalement se reculer avec lenteur.
- Me dis pas que t'as prévu un truc à la con hyper romantique avec des ballons roses et un gâteau avec du glaçage, sinon je te jure que je me casse.
- T'es toujours aussi agréable, ça fait plaisir à entendre.
Félix et Jeongin se regardèrent, puis, dans un naturel non feint, ils se sourirent.
De ces sourires complices et amoureux qui donnaient à quiconque observait envie de mourir de jalousie tant la complicité qui en débordait semblait salvatrice et intime.
Félix caressa du bout de ses doigts la joue de son compagnon et d'une poussée de courage toute nouvelle, il y déposa un baiser. Jeongin devint entièrement rouge et Félix ria de ses rires qui prenaient tout le corps. Un son guttural exquis, qu'il ne cacha pas cette fois, se balada en échos dans le couloir du service avant que Jeongin ne finisse par gentillement le repousser, riant à moitié d'un rire jaune plein de gène.
- T'as perdu la tête ou quoi ??
- Je te pensais pas si frigide. Alors du coup t'as que de la bouche c'est ça ?
Sans lui laisser le temps de répondre, Félix traversa le couloir jusque l'entrée du service et une fois devant l'ascenseur qui menait au rez-de-chaussée, il se retourna vers Jeongin, toujours pantois devant la porte de sa chambre 28.
- Dépêches ! On va être en retard.
Jeongin regarda sur les côtés, puis derrière lui, comme si la porte de sa chambre pouvait répondre à toutes ses questions. Il se retourna de nouveau vers Félix et décida finalement de pénétrer dans sa chambre. Au moment où il l'observa faire, Félix eut le sentiment de sentir le sol se fissurer sous ses pieds. Pourtant, quelques secondes à peine plus tard, Félix vit Jeongin ressortir de leur pièce avec son énorme sweat gris à capuche. Il sourit alors de toutes ses dents en appelant l'ascenseur, comme si de rien était et se cachant légèrement de son amant.
Jeongin était spécial, il était vraiment spécial.
De loin, marchant vers sa seule source de bonheur depuis des mois, Jeongin se surprit, mais plus tant que cela à vrai dire, à contempler la beauté de Félix. A ce moment précis, il ne fut plus jaloux de ses longs cheveux blonds, il eut juste l'envie d'y glisser ses doigts et d'en sentir toutes les aspérités.
Tout en lui le rendait curieux et envieux, mais pas de la manière qu'il eut connu autrefois. Sa seule pensée de jalousie fut quand il comprit que Félix n'était pas à lui, qu'il ne pouvait pas s'approprier cette personne qui pourtant le rendait si humain. Humain de nouveau... Que dans sa conception, jamais il ne pourrait être l'officiel d'un homme aussi fondamentalement bon et précieux.
Pourtant, il aurait été difficile pour lui de ressentir les choses autrement, à vrai dire, cela avait été impossible... car la manière qu'il avait de sourire avec les yeux, la manière dont ses épaules se soulevaient toujours lorsqu'il riait de son humour hasardeux qui normalement ne faisait rire personne... Tout cela le rendait fou, tout cela le rendait fort autant que fébrile. Courageux autant que peureux. Était-ce cela le sentiment amoureux ? La capacité de détecter toutes ces petites choses qu'on ne pouvait plus ignorer par la suite ? Celles qui nous donnaient envie de nous dépasser, de toujours faire plus, de toujours rendre l'autre heureux? Celles qui nous donnaient l'envie de vivre... ?
Les deux hommes se retrouvèrent devant l'ascenseur et ensemble ils entendirent le clinquement caractéristique de ce dernier. Quand ils furent tous deux à l'intérieur et que les portent se rabattirent sur leur secret, Jeongin attrapa discrètement la main de Félix et à ce moment-là, au loin, la ville toute entière fut illuminée par le sourire de ce dernier. De ceux qui pour toujours resteraient gravés en sa mémoire.
—
- Donc on va pique niquer, vraiment ?
- C'est dans ta boîte, non ?
- Oui, c'est dans ma boite...
Jeongin ne dit rien, mais une fois arrivé devant la plage, il enleva ses chaussures en se baissant avec difficultés. Félix savait qu'il ne voudrait pas de son aide alors il n'en fit rien, mais il attendit que ce dernier eut fini de se relever pour être sûr que tout allait bien. Pour lui aussi l'heure de route avait été éreintante. Puis c'était sa première journée sans traitement depuis des mois, cela aurait pu pensé lui faire du bien, mais c'était l'inverse. Son corps s'était habitué à la substance, il en était devenu dépendant et Félix se sentait maladroit et nauséeux cette après-midi, mais il n'en dit rien. Aujourd'hui n'était pas sa journée, c'était celle de l'homme qu'il aimait.
Dorotha termina de déposer une nappe bleue foncé sur le sol granuleux avant de déposer le panier qu'elle avait prévu pour eux deux. De manière plus surprenante, elle déposa deux boites et Jeongin se surprit à sourciller. Il reconnut la sienne, bien sûr, mais à qui était la deuxième ? Était-ce celle de Félix ? Avait-il une boîte lui aussi ?
Dorotha se retourna vers eux toute souriante, la journée était étrangement ensoleillée et elle ne craignait pas vraiment qu'ils n'attrapent froid, emmitouflés dans leurs manteaux et leurs vêtements adaptés, les deux hommes semblaient parfaitement à leur aise. Elle leur glissa un petit geste de la main en leur laissant un téléphone de l'hôpital « au cas où », comme si les leurs ne suffisaient pas..., puis elle quitta l'espace comme elle était arrivée, sur la pointe des pieds, en silence avec un sourire figé sur son visage.
Jeongin approcha d'un pas et il glissa ses pieds dans le sable froid qui lui faisait face. Il entremêla quelques grains à ses orteils et une larme furtive s'échappa de son œil qu'il n'eut même pas la force ou l'envie d'effacer. Il pointa son visage vers le ciel et ferma ses yeux pour laisser toute la force et la douceur du soleil lui caresser le visage. Sans qu'il ne s'en rende compte, des dizaines et des dizaines d'autres larmes salées et acides surplombèrent ses yeux fermés pour venir s'échouer contre son visage taillé et tiré par les années de survie. Il ne voulait plus ouvrir les yeux, c'était trop dur, trop bon, trop doux, trop. Juste trop. Tout était trop. Félix, le soleil, la sensation des grains contre sa peau fragile et froide, ses larmes brûlantes qui lui tailladait le visage. Qu'avait-il mérité pour souffrir autant tout en finissant par aimer encore plus ? Il s'était pourtant persuadé, il y avait même cru ; la vie ne valait pas la peine d'être vécue alors à quoi bon ? Pourquoi maintenant ? C'était trop, trop cruel. Trop intense.
Félix se posta devant lui, pieds dans le sable et de toute la force dont il fut capable il l'étreignit de tout son corps. Il pleura avec lui des larmes silencieuses qui retrouvèrent leurs sillons naturels sous le soleil puissant de cette plage déserte d'hiver. Le blond, sans un mot, exprima devant l'homme dont il était tombé fou amoureux toute la peine qu'il ressentait. Son cœur était brisé avant même d'avoir pu pleinement ressentir, quelle était cette forme de justice ? Félix laissa son corps s'ébrouer contre celui de son amant et ce dernier s'accrocha à ses épaules pour l'encadrer de son désespoir. Ils savaient. Ils se savaient, et peut-être que ça, ça valait bien toutes les vies.
- Dis moi que ça durera pour toujours, je t'en supplie Félix, je t'en supplie, promets-le moi..., Dis moi que ce que je ressens quand tu es contre moi durera pour l'éternité toute entière. Que jamais je ne ressentirais plus fort que ça car jamais rien ni personne d'autre ne sera toi ou ne m'arrachera à toi. Dis-moi que tout ce que tu es pour moi durera encore et encore jusqu'à ce que je me meurs de ta présence..., Dis-moi que rien ni personne ne viendra jamais nous interrompre... Tu m'as fais goûté à la vie, tu m'as donné la vie et je ne veux plus m'en passer... Promets-le moi je t'en supplie... Tu... tu es... tu es le premier jour de ma vie Félix.
Félix pouvait à peine respirer, ses sanglots lui déchirèrent la gorge, le ventre, le crâne, tout était insupportable. Il ne pouvait plus tenir en faisant semblant à ce point là, il n'était plus si fort et il ne souhaitait plus l'être, il ne voulait pas faire semblant devant lui. Pas devant l'homme qui lui avait fait comprendre à quoi servait la vie, qui lui avait fait comprendre ce qu'était vraiment rire, ce qu'une véritable plaisanterie voulait dire. Pas devant celui qui l'avait percé à jour et qui l'avait vu tel qu'il était, terrifié. Pas devant l'homme qui lui avait fait croire aux miracles et qui aujourd'hui, lui prouvait qu'ils existaient en faisant de lui le sien.
Félix se sentait partir au-delà du désespoir, son corps et son esprit tout entiers lui criaient il ne savait quelle sonnette d'alarme, mais il se refusa à les écouter. Pourquoi Jeongin devenait tout à coup si sentimental ? Pourquoi était-il si vulnérable devant lui, si heureux ? Pourquoi était-il si peu lui, ou alors justement trop ?
Félix ne pouvait y penser, il ne pouvait y croire. Le perdre revenait à se perdre lui-même. Qu'adviendrait-il de la partie de lui qu'il lui avait confiée ? Qu'adviendrait-il de leurs secrets murmurés dans la nuit ? De ces mousses aux chocolats marchandées, de ces cavaliers volés ou de leurs promesses implicites d'un avenir condamné ?
Les deux hommes en larmes s'apprêtèrent à se diriger vers la nappe sans jamais se lâcher la main et quand Félix se retourna pour attraper bonbonne et anti-douleurs qui accompagnaient toujours les repas de Jeongin alors ce dernier lui fit un signe discret de la tête. De ceux qui signifiaient que ce n'était pas la peine. Qu'il ferait sans, que ça ne servait plus à rien.
Ils s'avancèrent alors en silence, solidement ancrés l'un à l'autre avant de s'asseoir face à la mer calme et douce de cette fin d'après-midi voluptueuse. Un léger vent, à peine perceptible, venait virevolter dans les narines de Jeongin laissa sa trace d'un embrun marin qui lui donna le sentiment d'exister pleinement. Il retira son bonnet, ouvrit le col de son manteau sur trois boutons et tira un peu son sweat. Il voulait sentir, il voulait tout ressentir. Félix l'observait faire les yeux vitreux et le cœur plus lourd qu'il n'avait jamais été. Ses tâches de rousseurs prenaient la forme d'un continent entier de douleur et il eut l'impression de s'éteindre à cet instant, l'instant où il comprit.
Jeongin s'allongea sur le côté avec douleur, son visage grimaça et Félix le lui caressa, comme pour amoindrir sa douleur. Ce dernier l'accompagna dans sa posture et avec tendresse ils se mirent face à face en étreignant leurs mains avec force et désespoir, comme une dernière étreinte. Jeongin observa son aimé, il le contempla longuement, comme pour l'imprimer en lui, comme pour se saisir de chacune de ses singularités, de ses aspérités et d'un geste léger comme un nuage, Jeongin vint poser ses lèvres sur celles de Félix. Elles étaient plus épaisses, plus douces et pourtant plus abîmées. Elles étaient telles qu'il les avait imaginées des milliers de fois et cela le rendit si heureux qu'il aurait souhaité en conserver le goût pour l'éternité. Jamais il ne se serait lassé d'une telle douceur, c'était divin, gracieux, c'était lui, c'était Félix. Même dans ce baiser spontané, il demeurait désespérément authentique, doux, courageux et entreprenant.
Félix, de son côté, goutta à chaque saveur de celles-ci avec autant de minutie. Elles lui rappelaient le goût de cette Pavlova dont ils avaient un jour parlé dans la nuit alors même qu'ils n'en avaient jamais gouté. Pourtant, l'une d'entre elles les attendait sagement dans le panier d'osier à leur côté, mais au fond de lui il savait que jamais elle ne serait dégustée, par aucun d'entre eux.
Jeongin se retira de quelques centimètres des lèvres de son aimé et ses yeux lui transmirent toutes la reconnaissance, l'amour et la dévotion qu'il lui vouait. Aucun merci ni je t'aime ne furent prononcés, ce qui se jouait ici était bien plus fort que cela, bien plus fort que tout. Jeongin peinait à respirer, mais Félix n'en fit rien. Il ignora le bruit tourbillonnant des grillons qui dansaient de nouveau dans ses poumons et il étouffa les sanglots qui se voulaient pourtant bruyants et qui mourraient en silence contre ses tempes dans un brouhaha qui déchirait son corps tout entier. Bien plus fort que n'importe quelle maladie aurait pu le détruire ou lui faire du mal.
Jeongin ne dit rien, il essuya l'une des larmes lourdes de sens de son amant et il s'allongea sur le dos, évidemment ce fut pire, ses bronchioles semblaient se rétracter en elles-mêmes et la sensation fut saisissante. Son corps s'ébroua en quelques secousses impossibles à retenir et il sera plus fort la main de Félix, sa douleur et son inconfort semblaient aussi libérateurs que suffocants...
Alors, comme dans un accord tacite, Félix sortit son téléphone et mit en fond de ce dernier le toit de la Chapelle Sixtine. Il apposa l'écran en hauteur, devant les yeux de l'amour de sa vie et il le laissa contempler un moment ces peintures qui l'avaient tenu éveillé des nuits entières, de son enfance à aujourd'hui, sur cette plage. Il le laissa observer les reliefs que le petit écran pouvait transmettre et Félix aurait juré ne jamais avoir vu Jeongin sourire autant. Son visage était transformé, il n'avait jamais semblé si heureux qu'à cet instant et Félix en eut le souffle coupé à son tour. Jeongin semblait paisible, enfin.
Sa poigne, quelques minutes auparavant forte, presque furieuse sur les doigts de son amant se fit de plus en plus légère et Félix ne put réprimer l'angoisse et la mort qui le saisit au ventre. Il la sentait partout autour d'eux, s'insinuer comme un poison sans états d'âmes dans chaque recoin de leur paradis. Il pouvait presque la toucher, c'était palpable, c'était détestable, terrifiant, déchirant... Il l'a sentait s'infiltrer en son amant... et à ce moment il su encore une fois ce qu'il ne voulait savoir... Ses grillons avaient cessé de chanter.
C'était fini. A la seconde où Jeongin avait pleuré, à la seconde où il avait fait glisser ses orteils dans le sable et que sa boite avait été ouverte, ça avait déjà été fini. Il avait compris quand il lui avait demandé de ne pas prendre l'oxygène ni ses médicaments. Il l'avait compris dans ce baiser majestueux et désespéré. Il l'avait et il avait comprit.
Comme un point invisible, les yeux de Jeongin regardaient encore le téléphone, d'un regard fixe et froid tandis que ses lèvres formaient un angle serein figé dans le temps, de ceux qui signifiaient que tout irait bien et qu'enfin, il ne souffrait plus.
Félix retira son téléphone de devant l'amour de sa vie et il regarda à son tour le ciel. Dans un silence suffocant, il hurla à plein poumons toute la peine qu'il ressentait, toute sa haine pour la vie, pour la mort, pour les émotions. Comment pouvait-on lui offrir autant de bonheur pour le lui retirer juste après ? Comment ? Pourquoi ? Cela était si injuste. Il ne pouvait pas, il ne pourrait pas, il le savait. Jeongin avait changé sa vie. Jeongin était, Jeongin avait été... l'homme de sa vie. Il ne pouvait pas, c'était trop.
Il serra dans sa main gauche les doigts encore tièdes de son amant et sa vue se brouilla d'un chagrin qui demeurerait à jamais intarissable. Il pleura tout ce que son âme pouvait rejeter et il n'osa plus le regarder durant les heures qui s'écoulèrent. Félix ne pouvait plus tenir, il était en train de perdre sa sanité. Alors, comme perdu dans une folie qui l'accompagnerait maintenant jusqu'à sa fin, il appuya sa tête contre le torse faussement chaud de son amant. Son cœur ne battait plus, mais il pouvait encore sentir son odeur de fleur d'oranger, il pouvait encore se saisir de son sweat d'une main et de son bonnet de l'autre pour se convaincre que tout cela n'était qu'un cauchemar et que rien ne s'était déroulé. C'était impossible.
Félix inspira à plein poumon cette odeur caractéristique qu'il portait toujours et dans son manteau il hurla à nouveau sa peine. Machinalement, comme pour se persuader que cela n'était qu'un mauvais rêve, il le secoua un peu, de ses quelques forces qui lui restait quand il finit par laisser son corps s'ébrouer durant de longues heures contre celui sans vie de l'homme qu'il aurait aimé être celui de toute une existence.
Quand Dorotha arriva, inquiète de ne voir personne répondre au téléphone alors que le soleil menaçait de se coucher, elle comprit de suite. Elle n'avait même pas encore marché sur le sable maintenant devenu glacial qu'elle tomba à genoux les yeux exorbités par son impuissance. Loin de tout diktat, loin de toute convention, de toute institution, loin de tout surmoi, Dorotha vociféra sa haine. Elle cracha en de longs sanglots plaintifs maternels une peine qui ne saurait jamais être allégée par le temps.
Pas maintenant, elle n'était pas prête... elle ne l'avait jamais été.
Elle se mouvait avec difficulté contre le fauteuil laissé à l'abandon sur le bord du chemin de bois, s'y raccrochant comme à une extension du corps de son propre fils et elle pleura tout ce que son cœur ne pourrait pleurer dans ces couloirs de la mort.
Elle sentit son âme toute entière quitter son corps et pris par des mouvements mécaniques et instinctifs dictés par un instinct de quasi survie, comme un mode automatique, elle ouvrit la bouteille d'oxygène pour la laisser se vider comme si elle avait été utilisée. Elle enterra les médicaments dans le sable plus terne qu'il n'avait jamais été et d'un regard tordu par la peur de trouver ce qu'elle ne pouvait accepter elle observa au loin le corps de Félix tout replié contre celui de Jeongin, immobile.
Depuis combien de temps était-il ainsi ? Prise par ses derniers instincts maternels, elle se leva avec difficultés et finit le chemin qui lui restait pour constater ce qu'elle aurait aimé ignorer à tout jamais. Elle se pencha d'abord sur le corps transi de froid de l'homme aux cheveux polaires qui dorénavant ne pleurait plus. Ses yeux étaient grands ouverts et de lents battements régressifs d'avant en arrière avaient pris possession de son corps.
Elle ignora délibérément son fils et elle attrapa de toute sa puissance le corps squelettique de son patient pour le déposer plus loin sur la chaise roulante qu'elle retourna vers les boutiques environnantes, toutes fermées par la saison. Ce dernier ne réagit pas, ni quand il fut séparé de son amant, ni quand il fut posé, Félix ne dit rien. Il se laissait porter, manipuler. La seule chose qui semblait encore consciente chez lui fut le maintien excessif qu'il faisait sur ce bonnet noir qu'il avait gardé solidement accroché à ses mains.
Son regard était vide sur les boutiques en face de lui et son visage semblait déjà loin. Loin de la vie, loin d'une solution, loin de tout ce qu'il eut connu de positif et d'envisageable ces derniers mois, ces dernières années. Félix ressemblait à une coquille vide. Il ressemblait à ses coquillages magnifiques que l'on trouvait avec plaisir sur la plage tout en ayant conscience qu'un jour il avait abrité la vie. Il était beau, sublime, mais toute son âme semblait avoir quitté son corps. Il était un coquillage perdu sur la plage.
Après cela, les choses avaient été très vites, très vides. Félix ne s'en rappelait plus vraiment, amnésie traumatique comme Iseul le disait, la vérité c'est qu'il voulait surtout ne rien dire. Il avait été ramené à l'hôpital et déposé dans une chambre différente selon les directives du cadre supérieur de nuit et pourtant au réveil, l'équipe de jour l'avait trouvé roulé en boule dans le lit de son amant. L'équipe de nuit leur avait confié qu'il était inutile d'insister ou de le déplacer. Il y retournait toujours, il n'avait fait que ça de la nuit.
Dorotha ne s'était pas présentée au travail les semaines suivantes et personne ne lui en avait tenu rigueur.
Malgré le manque de personnel, malgré la pénurie d'infirmières, de soignants, sur ce coup là, personne ne pouvait lui dire quoi que ce soit. Dorotha venait de perdre bien plus que ce que chacun avait perdu ce jour. Le service en était bien conscient et même Félix le savait.
Depuis ce que l'équipe appelait « l'incident », Félix n'avait plus parlé. Plus un mot, pas même une syllabe. Il s'était retiré de la méthode expérimentale dont il avait pourtant été le principal acteur et il avait littéralement décidé de se laisser mourir. Ses camarades de classes ou du groupe de soutien avaient bien essayé de venir le voir, mais même Iseul et ses beaux yeux aux couleurs de la forêt n'avaient rien pu lui faire sortir de la bouche.
La vérité c'est que Félix avait terriblement peur. Il avait peur que s'il laissait quelque chose sortir de sa bouche alors ce baiser lui échapperait à tout jamais.
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J'ai pleuré tout ce que j'avais.
J'avais jamais pleuré autant en écrivant quoi que se soit avant, alors promis, vous n'êtes pas seul.es... <3.
M.
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