Memories.
Deux jours plus tard, un médecin entra dans la chambre sans prévenir de son entrée, s'était intrusif, mais coutumier dans les hôpitaux. L'intimité était une valeur reconsidérée et l'on apprenait à ne plus faire fit de son corps, de sa pudeur ou de son soi.
Félix était en train de s'habiller avec difficulté quand le médecin fit irruption et ce dernier eut tout le loisir de constater qu'il avait effectivement perdu du poids. Cela tombait bien, il venait justement pour cela. Il était accompagné d'une jeune femme aux yeux immenses et au sourire communicatif qui vous donnez immédiatement l'envie de lui confier tous vos plus sombres secrets. Elle semblait aussi douce que puissante et son aura dégageait autant de confiance en elle que de vulnérabilité. Sans savoir pourquoi, Félix l'aimait déjà.
- Félix ?
- Oui ?
- Je suis l'interne de service, je viens vous voir aujourd'hui parce que nous avons eu vos derniers résultats et il semblerait que ceux-ci ne soient pas aussi satisfaisants que nous l'attendions.
L'homme tenta un sourire maladroit et sans trop de gêne et avec habitude, il s'assît au bout du lit de Félix, à moitié sur son pyjama. Comme si ce dernier était le lit d'une institution dont il était maître et non celui dans lequel Félix dormait depuis déjà des semaines et dans lequel il allait vivre pour les quatre mois à venir.
Le médecin le regarda avec plus de sérieux avant de lui confirmer plus intensément,
- En tant que tels, les médicaments fonctionnent... du moins ils fonctionnaient. Tout était lancé, nous avions des retours positifs et de bonnes raisons de penser que les choses pouvaient avancer positivement, que votre corps réagissait comme nous l'attendions, mais depuis une dizaines de jours ça devient compli...
La jeune femme présente dans l'espace, debout au bout du lit, leva les yeux au ciel et sans être le moins du monde intimidée par la présence du médecin, elle coupa la parole de ce dernier tout en captant le regard de Félix avec intensité.
- Ce que Mr essaie de vous dire, c'est que nous avons des raisons de penser que c'est parce que vous allez mal que le traitement ne réagit plus comme il le faisait. Je ne vais pas vous faire le laïus sur le pourcentage de réussite dans le cas des gens positifs et investis blablabla. Ça, vous le savez déjà. Ce que je veux essayer de comprendre, si vous m'y autorisez, c'est ce qui ne vas pas et surtout pourquoi... Si vous êtes d'accord, alors on pourrait en discuter ensemble tranquillement et ainsi demander à Mr de nous retrouver un peu plus tard dans l'après-midi.
Elle se retourna vers le médecin et ce dernier se raidit légèrement, surpris par l'attitude décontractée et directe de ce qui semblait être la psychologue de l'équipe. Était-elle toujours ainsi ? Toujours aussi spontanée et franche dans ses propos ? Félix en fut étonné, mais encore plus étrange que fut sa stupéfaction, Félix se surprit à aimer cela. D'une certaine manière, cela lui rappelait Jeongin, encore et toujours, invariablement... Tous ses chemins ne les menaient plus qu'à lui.
Légèrement indigné, mais tout en souhaitant rester fière, le médecin se retourna vers elle et la regarda avec plus d'intensité, cette dernière lui sourit et d'un geste quasi imperceptible elle lui désigna la porte du regard. Ce dernier se sentit gêné, il toussota dans sa main et doucement il indiqua à Félix, en lui touchant le genou, qu'il quittait la chambre et qu'il repasserait plus tard.
- Bon, maintenant qu'on est enfin tranquille je vais sortir un instant et je vais vous laisser le loisir et le temps de vous habiller tel que vous le souhaitiez. Dès que c'est fait vous pouvez toquer à la porte, je serais juste derrière.
Félix fut subjugué. De toutes ses années d'hospitalisation c'est bien la première fois qu'on lui offrait autant d'intimité, de choix, de possibilité et finalement, d'humanité... Il se surprit à ne pas savoir quoi répondre alors comme pour sceller ses paroles, la jeune femme d'une trentaine d'années quitta la pièce et attendit derrière la porte close.
Félix sourit pour lui même et termina de s'habiller, cela lui prit du temps, mais quand il ouvrit la porte de nouveau, la psychologue ne semblait pas le moins du monde gênée par le temps qu'elle avait dû attendre et elle pénétra la pièce quand Félix lui fit signe d'entrer, ne la voyant pas s'avancer d'elle-même.
Iseul pénétra avec douceur et lenteur dans la pièce avant de lui indiquer de la tête le fauteuil contre la fenêtre, comme pour lui demander si elle pouvait s'y asseoir.
- Je... euh... Oui bien sûr, c'est pas vraiment ma chaise.
- C'est pourtant plus la vôtre que la mienne.
Félix lui sourit d'un rictus honnête et sans savoir pourquoi il eut envie de pleurer. Était-ce le sentiment que l'on ressentait lorsque l'on tombait sur la bonne personne ? Celle capable de vous écouter et de vous parler au lieu de simplement vous entendre ?
Ils restèrent tous deux muets un moment, probablement plusieurs minutes avant que la psychologue ne balaye l'espace du regard, comme pour le sonder. Astucieusement, cette dernière arrêta son regard sur le lit vide à côté de celui sur lequel Félix était assis. Puis, avec respect, elle regarda de nouveau Félix.
- Ce doit être étrange de dormir à côté d'un lit vide.
- Oui, un peu. Je crois qu'au bout d'un moment je me suis habitué à dormir avec quelqu'un dans la chambre.
- Vous savez Félix que nos séances sont confidentielles, n'est-ce pas ? J'imagine que depuis le temps vous connaissez le concept de mon métier ?
- Oui bien sûr.
- J'estime alors de mon côté que ce que je vous transmets est aussi secret que vos propres confidences. Est-ce que j'ai raison de le croire ?
- C'est une évidence, je le promets.
- Bien ! Tout ça pour vous dire, tout en rebondissant à vos propres propos, que j'ai été en couple pendant longtemps... Quand il est parti et que j'ai dû dormir seule, ça a été terrible pour moi. À vrai dire, ça a presque été le plus difficile.
- Vous n'êtes pas censée ne jamais rien dire de vous ? Juste m'écouter ?
- Ha bon ? Qui a dit ça ?
- Je sais pas... les livres de psycho, ce genre de truc...
- J'ai pas dû lire les bons alors.
Iseul ria d'un éclat cristallin tout en couvrant sa bouche de ses doigts fins aux ongles courts et Félix se surprit à rire à son tour. Ils se jaugèrent un instant du regard avec une étrange affection avant que cette dernière ne se lève vers lui. Elle s'avança avec lenteur devant son corps assis sur son lit et doucement, elle lui tendit la main. Félix resta interdit quelques instants avant de la lui serrer avec confort et confiance.
- Je m'appelle Iseul.
- Je m'appelle Félix.
- Je suis ravie de vous rencontrer Félix.
- Moi aussi Iseul.
Les deux adultes se sourirent et Iseul s'assit sur le fauteuil où elle était auparavant tout en contemplant de nouveau le lit vide d'un sourire compatissant. Sans trop savoir pourquoi, Félix eut envie de lui parler de Jeongin. À vrai dire, il n'aurait pu se taire, les mots commençaient déjà à sortir tout seuls, comme une cascade, comme possédés par leur propre contenu, d'une symbolique qui ne saurait plus être tu.
- J'ai dû mal à dormir seul et je suis vraiment inquiet pour...
Sa voix se brisa. Il baissa son regard sur ses doigts qu'il se mit à triturer avec angoisse. Ses tâches de rousseurs si caractéristiques se retrouvèrent couvertes d'humidité et sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, Félix commença à remuer ses épaules en un chagrin qui lui semblait à cet instant incontrôlable. Il ne pouvait se contenir et à vrai dire, Iseul lui donnait le sentiment qu'avec elle, il pouvait. Auprès d'elle, il serait contenu. Alors, à cet instant, ses sanglots demeurèrent aussi silencieux que compulsifs et Félix apparaissait à Iseul totalement éprouvé.
La professionnelle l'observa quelques secondes et sans rien dire de plus elle fila vers la porte. Elle l'a vérrouilla de l'intérieur pour revenir s'asseoir en silence sur le fauteuil collé à la vitre qui donnait sur cette matinée maussade et grise. C'est comme si la ville s'était accordée elle aussi aux larmes de son patient. Tout semblait sans sens aujourd'hui. C'était un sentiment particulier.
Elle attendit un instant supplémentaire en silence, devenant le réceptacle dont son patient avait besoin avant que Félix ne se brise en un sanglot sonore qui traversa l'habitacle avec fracas. Il couvrit son visage de ses mains avant de finir par entourer son buste tout entier de ses bras fins et couverts de câbles en tous genres. Iseul se leva doucement et d'un geste tendre de la main elle lui demanda silencieusement si elle pouvait s'asseoir sur son lit, à ses côtés. Il acquiesça d'un signe de tête et cette dernière s'assît plus franchement sur le lit.
Félix ressemblait à un enfant perdu. Ses bras fragiles et fatigués peinaient à couvrir son corps frêle et Iseul se surpris elle-même lorsqu'elle avança sa main vers son patient, sans oser le toucher. Ce dernier renifla bruyamment avant de brutalement prendre sa main dans la sienne.
À ce moment-là, plus aucun mot ne fut échangé. Félix pleura durant des très longues minutes toutes les peines qu'il avait fait taire en lui et qu'il avait recouvert de sa positivité légendaire et Iseul le laissa s'ébrouer sans le juger. Elle laissa sa paume rassurante calmer les tremblements de son patient et quand elle fut sur que Félix se sentit mieux elle lui indiqua qu'il était temps pour elle de partir.
Elle lui sourit avant de se diriger vers la porte et pour la première fois depuis un moment, une parole fut prononcée,
- Merci Iseul.
- C'est mon travail Félix.
- Non, vous êtes plus que ça.
- Merci à toi alors.
Iseul se surprit à avoir envie de pleurer à son tour, certain patient était aussi touchant qu'il paraissait et c'est exactement comme cela que Félix lui était apparu.
- On se voit la semaine prochaine, quand vous aurez mangé, dormi et que vos résultats se seront améliorés.
- Oui, on fait comme ça.
- Est-ce que c'est une promesse ?
- C'est une promesse.
Avant de partir Iseul s'avança vers lui de nouveau pour lui présenter son petit doigt. Félix ria d'un rire sincère aux yeux pleins de larmes avant de lui présenter le sien et de lier leurs pouces. Il n'avait jamais rencontré personne de pareil et ce fut si vivifiant qu'il aurait pu en sourire pendant des heures entières. Il regarda avec profondeur ses yeux verts foncés si caractéristiques et l'émotion qu'ils se transmirent suffit à sceller leur relation thérapeutique.
Iseul se retourna et s'avança vers la porte pour la dernière fois, elle ne se retourna pas pour lui faire face, mais dans un élan d'interdit elle lui confia,
- «l rentre en chambre ce soir et évidemment, je ne vous ai rien dit. Belle journée Félix.
Iseul quitta l'espace comme elle y était entrée, avec l'aura vivifiante de l'espoir. A la seule différence que cette fois-ci, elle n'était pas repartie avec, elle en avait laissé quelques traces dans cet espace, dans la chambre 28.
—
Quand Jeongin pénétra de nouveau la chambre, ce fut un choc. Évidemment, Félix savait dans quel type de service il se trouvait, il en était lui-même l'un des acteurs principaux, mais jamais encore il n'avait été confronté à un pareil spectacle où même vu de collègue de service si malade...
Il ne savait même pas que cela pouvait être possible et pourtant Jeongin avait encore maigri. Arrivé à ce stade il ne savait pas si cela devait l'inquiéter, l'effrayer ou lui dicter la suite des événements. En silence, le brancardier apposa la tête du lit à roulette tout contre le mur du fond de la chambre et Félix ne pouvait s'empêcher de le fixer.
La vérité c'est qu'il lui avait terriblement manqué, que ses jours sans lui, lui avaient semblé interminables et que comme Iseul l'avait prédit, les nuits avaient été les pires... Il ne savait pas comment, pourquoi, ni par quel biais, mais Jeongin s'était insinué en lui. Encore plus profondément que sa maladie l'avait fait et surtout, encore plus rapidement. Il ignorait juste si cela allait sceller sa perte ou sa rémission.
L'infirmière de garde termina de brancher Jeongin aux monitorings de surveillance tout en lui mettant la sonnette contre la barrière du lit, avant de finalement quitter la pièce en silence, souriant au passage à Félix.
Jeongin était couvert d'une couverture chauffante branchée au mur derrière lui pour tenter de faire grimper sa température. Son visage semblait froid, impassible et sa peau demeurait désespérément blanche, presque grisâtre.
- Je ne suis pas encore mort, inutile d'en faire autant.
Félix sursauta à sa parole, à vrai dire, il était si mal en point qu'il ne s'attendait pas à ce qu'il puisse parler, mais finalement, son sarcasme passait toujours avant tout, y compris sa condition. Peut être que c'était sa manière à lui de survivre aux événements, comme lui survivait grâce à l'humour et l'optimisme.
Félix ne s'en était pas rendu compte, mais avant même qu'il puisse le contrôler, dès que Jeongin émit un mot, ses yeux s'étaient remplis de larmes. C'était trop pour lui.
Peut être était-ce l'idée de le perdre ou alors peut-être est-ce la projection de son propre corps d'ici quelques années qui se répercutait en échos désastreux dans son esprit. Il n'en savait rien, mais aujourd'hui, Félix avait le cœur lourd et pour la première fois de sa vie, il comprenait ce que voulait dire avoir le cœur brisé.
- Je crois...
Jeongin tentait de faire bonne figure et d'amorcer une phrase, mais il semblait épuisé. Ce dernier se redressa avec inconfort et avec habitude, il appuya sur le bouton qui lui permettait d'injecter dans son corps une dose suffisante de morphine pour le soulager. Au moins sur cela, dans les pires moments, il était autonome. C'était la seule chose qui lui restait, la seule décision dont il était encore maître. Choisir son degré de souffrance.
Il reprit avec calme et lenteur sa respiration tout en sentant le liquide froid et liquoreux parcourir ses veines avant de venir taper dans son esprit le laissant légèrement confus le temps de quelques secondes. Il plissa ses yeux de soulagement puis doucement, il reprit sa phrase,
- Je crois que tu devrais changer de chambre...
Un silence assourdissant se fit dans l'espace de leur cocon et Félix se sentit piqué au vif. Comment pouvait-il l'envisager alors qu'il avait cru mourir de son absence ?
- C'est pas un endroit pour toi ici.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce que tu suis un traitement pour survivre alors que je suis en train de mourir.
Félix éclata dans un sanglot sonore qui s'ébroua partout autour d'eux et qui finit par mourir sur les murs de leur intimité. Jeongin garda ses yeux fins fixés sur la télévision éteinte pendant que Félix le maudissait d'être aussi froid alors qu'il espérait tant de sa chaleur.
- Me voir comme ça va entacher ton moral et donc ta guérison, tu dois changer de chambre.
À partir de ce moment-là, Félix ne dit plus un mot de plus. Il sécha ses larmes d'un revers rageux de la main tout en essuyant maladroitement la morve qui commençait à s'échapper de ses narines pour couler sur ses lèvres.
Énervé, et pourtant malgré tout si doux dans ses gestes, il souleva son oreiller et Jeongin le regarda faire, curieux. Il attendait une réponse, n'importe laquelle, mais sûrement pas son silence, lui qui parlait tant habituellement. À vrai dire, il était perdu, qu'était-il en train de faire ?
L'homme aux cheveux de neige sortir le bonnet noir caractéristique que portait toujours Jeongin de dessous son oreiller et il s'avança vers son lit avec tout son attirail qui le suivait en permanence, comme une propre extension de son corps.
Il déposa le bonnet sur le crâne dégarni de Jeongin en soulevant avec tendresse son dossier et quand ce dernier s'invectiva de son audace, Félix fut plus ferme qu'il n'avait jamais été avec quiconque.
- Être en train de mourir ou être malade ne te donne pas le droit d'être un connard avec les autres. Tu vas garder ta fausse bienveillance qui te permet juste de me tenir éloigné de toi et tu vas arrêter de bouger, j'arrive pas à te mettre ton bonnet et tu vas finir par encore dégueuler partout.
Jeongin était si en colère qu'il aurait pu en tuer quelqu'un. Comment osait-il ? Comment osait-il lui parler ainsi et l'humilier autant ? Comme s'il pouvait comprendre quoi que ce soit de sa situation ! Ses yeux se brunirent de rage et de rancœur quand sa bouche accumula une bile acide caractéristique à cette émotion, surtout lorsqu'elle restait contenue. Il se sentait si diminué qu'il aurait pu en décédé de honte et ce qui l'énervait le plus dans cette situation, c'était de se rendre compte que Félix avait raison et ça, il en prenait la toute mesure à cet instant. Félix avait su lire en lui, il avait su se saisir de son implicite, de son silence, de ses moqueries, de son sarcasme. Il l'avait pris pour qui il était et non pour ce qu'il laissait paraître et ça, c'était foutrement douloureux.
Félix ne l'observa pas dans les yeux et de ses mains tremblantes par l'émotion et la maladie, les yeux encore humides de son chagrin, mais également de son soulagement, il enroula le bonnet autour de la tête de son ami. Il souleva doucement sa nuque de ses mains froides et son corps tout entier s'électrisa. C'était la première fois qu'il pouvait véritablement le toucher, la première fois qu'ils étaient dans un tel moment de proximité physique. Félix tenta de ne pas le faire remarquer, mais les quelques secondes où son existence prit sens ne manqua pas de faire réagir Jeongin.
- Quoi ? Je suis répugnant à ce point là ?
- Non..., non, justement.
- Justement ?
- Je...
Felix continua de réajuster un bonnet déjà bien installé depuis un moment déjà et du bout de ses doigts il caressa distraitement la bordure de ce dernier, lui permettant de toucher quelques secondes de plus le front si lisse et doux de son interdit. Le contact fit frissonner Jeongin et ce dernier mit cela sur le compte de sa température corporelle, cela ne pouvait être autrement. Cela ne devait être autrement, ça et rien d'autre.
- Laisse tomber, je sais déjà ce que tout le monde pense.
- Je te trouve magnifique Jeongin.
Jeongin fixa son regard dans celui de Félix qu'il tentait pourtant vainement d'éviter. Ses joues roussir légèrement et Jeongin aura pu jurer voir Félix avaler avec difficulté sa confession. Sa pomme d'Adam se mouvait en de lents aller retour et Jeongin se surprit à apprécier cette vue. Ça y est, il était devenu fou. Maintenant que son corps avait presque fini de se consumer alors peut-être s'agissait-il ici de son esprit... Peut-être perdait-il la tête ? C'était normal avec une pathologie aussi avancée, n'est-ce pas ?
Jeongin détailla les contours de sa mâchoire avec minutie et il prit le risque de relever ses yeux jusque ses lèvres. Elles étaient encore pleines, meurtries par les morsures qu'il s'était infligées ces derniers jours. Douloureux, Jeongin leva son bras et comme pris par la fureur de son hypothermie, il toucha du bout des doigts les lèvres de Félix. Ce dernier retint sa respiration et son corps tout entier cessa de bouger.
- Pourquoi te fais-tu autant de mal ? Tu ne souffres déjà pas assez ?
- J'étais stressé, j'ai du mal à ne pas le faire quand je suis anxieux.
Jeongin n'ajouta rien et il finit de caresser avec lenteur et douceur la lèvre inférieure de son compagnon d'infortune avant de remettre son bras sous la couverture, surpris lui-même par son audace et son geste. Il pouvait déjà sentir ses oreilles chauffer, il savait qu'il avait été déplacé et son visage blême devint tout à coup bien plus coloré.
- Tu as le droit de me toucher.
- Je ne te touchais pas, je regardais juste tes lèvres.
- Heureusement qu'on regarde avec les doigts et qu'on attrape avec les yeux.
Jeongin sourit légèrement à son sarcasme quand Félix rit plus franchement. Essayait-il d'adopter son langage ? Les yeux du blond commençaient déjà à se faire plus secs, moins encombrés et il arrêta à son tour de faire semblant de mettre un bonnet déjà bien en place pour prolonger leur proximité avant de regagner enfin son lit. Jeongin ne le capta pas de suite, mais il lui semblait avoir encore plus froid qu'auparavant.
- Je vais dormir un peu.
- Bien sûr, de toute manière j'ai le groupe de parole. Je repasse plus tard.
Félix attrapa son petit pull de laine beige avant de tirer avec lui sa perche encombrée d'une poche qui semblait toujours remplie. Le liquide jaunâtre continuait chaque jour de s'infiltrer en lui, espérant accomplir des miracles, pendant qu'il passait devant le lit de Jeongin en silence.
Avant de sortir, il abaissa les volets électriques et éteignit la lumière principale. Il s'approcha de la salle de bain et alluma le luminaire de cette dernière dont il ne ferma pas totalement la porte. Jeongin semblait surpris, il le regarda faire d'un œil étonné.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Dorotha fais toujours ça avant de te dire bonne nuit, je suppose que tu as peur du noir.
- C'est ridicule !
- Alors disons que c'est moi qui préfère un peu de lumière pour quand je reviendrais et qu'il fera probablement déjà nuit.
Jeongin ne répondit pas et Félix lui sourit, de ces sourires qui remontaient jusque ses yeux et qui donnaient à Jeongin le sentiment d'exister, d'exister vraiment. Il aurait tellement aimé avoir plus de temps...
Maintenant qu'il s'était habitué à son sourire, à son rire, il aurait pu faire n'importe quoi pour s'accrocher au temps. Juste un peu plus de temps, quelques minutes, quelques secondes, quelle importance du moment qu'il pouvait contempler, sans l'ombre d'un doute, ce qui lui était destiné.
Félix se retourna et ouvra la porte qui menait au couloir pour sortir avant que Jeongin ne se retourne douloureusement dans son lit pour se mettre dos à lui. Il appuya une fois de plus sur sa pompe à morphine et souffla, comme un murmure,
- Félix... est-ce que tu as dormi avec mon bonnet ?
Félix aurait presque cru rêver, pourtant il savait au fond de lui qu'il n'en était rien.
- Oui..., chaque nuit.
Ce dernier n'ajouta rien et sortit de la chambre, le cœur battant et la respiration saccadée par ses propres émotions. C'était donc de cela que parlaient les livres de romance ou encore de poésie ? La prise de conscience de la perte face au silence ? De la présence invasive dans l'absence ?
Une fois la porte fermée, il fallut un moment à Félix pour reprendre son souffle. Il laissa de nouveau quelques larmes couler le long de ses joues et personne n'osa lui demander pourquoi ou s'il avait besoin de quoi que se soit. Il n'était de toute manière pas rare de voir dans ce type de service des personnes craquer émotionnellement. Familles, patients, amis, et parfois même, soignants... Assis par terre, Félix termina silencieusement de pleurer son chagrin qu'il savait dès maintenant intarissable et cela pour les années à venir.
De son côté, Jeongin retira difficilement son bonnet, il le pressa tout contre son cœur et dans la noirceur quasi totale de la pièce il inspira à plein poumon une odeur qu'il espérait ne pas être la sienne, ni celle des produits aseptisés... Pour la première fois, quelqu'un l'avait attendu, et dans son cas, cela lui avait donné quelque chose d'encore plus dangereux que l'attachement, cela lui avait donné de l'espoir.
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Me détestez pas, y'a encore le temps pour ça..
Love,
M.
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