Chp 9 - Tamyan : les défis d'un ard-æl (1)
Territoire du nouveau clan du Feu Noir (possibilité d'établissement permanent)
Fäel doute de moi. Elle doute de la puissance de mes sentiments, de ma détermination à lui offrir le meilleur, de mon talent à la surprendre. Bien entendu, elle va s'en repentir, mais pour l'instant, je dois me rendre à l'évidence. Je n'ai pas été à la hauteur. Il faut que je m'engage encore plus : c'est sans doute ce qu'a voulu dire Rizhen, lorsqu'il m'a conseillé, avec son insolence coutumière, de trouver un moyen de lui « faire plaisir ».
Je veux lui faire un gros cadeau. Un présent prestigieux. Mais quoi ? Faël m'a subtilement suggéré de lui offrir la mort des 5000 humains vivants ici, sur ce territoire. Elle m'a défié en mettant en doute mes capacités à tous les massacrer en moins d'une semaine, sans arme. Je pourrais lui prouver que je suis toujours un redoutable chasseur, d'autant plus qu'elle a douté de mon passé de combattant professionnel. Les femelles aiment les cadeaux, et Faël est particulièrement assoiffée de sang. Des bijoux, ou une belle demeure, ne la satisferont pas. Il lui faut plus. Quelque chose d'ultime. Une partie de moi, peut-être. Oui, ça ne peut être que ça. Sa façon de me répéter, les yeux brûlant de ce feu inextinguible, qu'elle me déteste, tout en me chevauchant comme une guerrière sur son wyrm... Ah, cette seule pensée fait bouillir mon sang. Faël est tellement férale. Je dois me montrer digne d'elle. Si seulement j'avais encore mon panache à lui offrir... Je sais qu'elle l'aurait porté avec fierté. Ou qu'elle aurait pris plaisir à m'humilier en refusant de le faire. Qu'importe : dans les deux cas, cela m'aurait beaucoup stimulé.
En attendant de trouver un moyen de lui prouver de manière irrévocable la ferveur de mes sentiments, je vais relever l'un de ses petits défis. Faël a mis en doute mes capacités à lui préparer un plat qui lui plairait. Cette nuit, donc, j'ai laissé Tymyr et Rizhen chasser tous seuls. Je vais rester à la maison et préparer un festin adannath, en attendant le retour de ma femelle. J'ai hâte de voir l'expression de son joli visage lorsqu'elle découvrira ce que je lui ai préparé. Je sais qu'elle sera surprise. Elle ne se doute pas de ce que je lui réserve.
*
— Il n'y a personne ?
La voix de Faël. J'ai senti son odeur depuis quelques minutes déjà, entendu son pas alors qu'elle remontait notre jardin. Mais je ne suis pas allé au-devant d'elle. Je veux voir sa réaction, lorsqu'elle verra tout ce que j'ai installé pour elle.
J'ai déjà préparé un festin pour une femelle. Alyz, qui, comme il se doit, s'est montrée très difficile à conquérir. À l'époque, les adannath sollicitaient volontiers nos talents guerriers pour leurs petits conflits entre roitelets. Alyz avait lancé sa terrible chasse sur les ennemis de l'un d'eux, en échange d'un paiement particulier : le fils de ce roi à sacrifier en échange de la petite vie que nous tentions de mettre au monde. Les règles sont claires, dans les Cours : une mort pour une vie, et vice-versa. Alyz pensait que prendre celle de ce jeune prince était juste, et auspicieux. Mais le roi a refusé, il n'a pas tenu sa promesse. Pour consoler Alyz, si triste de donner à nouveau naissance à un petit mort-né, j'ai capturé ce roi avec ma chasse, dans sa propre forêt... et l'ai offert à ma Dame, dépecé sur ma table. Nous l'avons dégusté à deux, puis nous avons fait l'amour sur sa peau. Ce fut exquis.
L'humain nommé Haroun, je n'ai pas eu besoin de le chasser. Il m'a suffi de venir le voir directement : il m'a reconnu, m'a ouvert sa porte. Et je lui ai tout volé. Son arme ultime, son sourire, son charme. Ce qui faisait de lui un concurrent redoutable.
Oui, Faël va être surprise. J'ai hâte de voir l'expression qu'elle aura à ce moment-là. Va-t-elle pleurer, de joie, de tristesse, de nostalgie ?
Dissimulé dans l'ombre, j'attends. Je me délecte d'avance de sa réaction. Elle entre dans la maison, pose son manteau. Libère sa chevelure couleur de lait de ce mouvement de la tête qui me plaît tant. Je suis déjà dur, prêt à la prendre. Mais ce sera pour plus tard, en deuxième partie de soirée. D'abord, le festin. Et nous avons toute la nuit pour le savourer...
— Qu'est-ce que c'est ?
Elle relève son beau visage, incrédule, me cherche du regard. Oui, je suis devenu son seul repère. Quand elle a un problème, vraiment besoin de quelque chose, quand elle souffre... c'est mon nom qu'elle prononce. Tamyan. Lorsqu'elle était enfermée derrière cette grille, sur Arkonna : Tamyan. Lorsqu'elle se tordait, sublimée par la douleur, en proie aux affres de l'accouchement : Tamyan. Et lorsque le plaisir la consume, qu'elle n'en peut plus de moi, que mon membre la transperce comme une lame, l'emplit et l'écartèle, et que je déverse mon luith en elle, la marquant de mes griffes et de mes dents, que je la fais mienne : Tamyan, Tamyan, Tamyan. Oui, elle ne m'a jamais donné de surnom. Les surnoms approprient, associent. Lorsqu'elle me baptisera enfin, je serai complètement à elle. Pour l'instant, elle me laisse au seuil, refusant de s'emparer de mon offrande. Cela viendra en temps voulu. Et pour l'instant, je suis juste – et entièrement – Tamyan.
Cela va changer. Bientôt. Lorsqu'elle comprendra à quel point je l'aime, jusqu'où je suis prêt à aller pour elle.
Je sors de l'ombre, alors, et m'avance dans la lumière des bougies. J'en ai mis partout, car les humains aiment la lumière. Je sais que ces lueurs éparses me mettent à mon avantage, qu'elles subliment ma crinière, soigneusement brossée, et donnent de l'éclat à mon regard. J'ai enfilé l'un des rares vêtements dignes de ce nom que nous avons, offerts par Yvarna en guise de cadeau porte-chance : une tunique en velours noir brodée d'argent et un pantalon en cuir de daurilim, noir lui aussi. J'ai laissé les cordons fermant la tunique déliés, la gardant ouverte sur mon torse, arborant la première marque que Faël a consenti à mettre sur moi : quatre lacérations profondes comme des griffures de femelle ældienne, posées là comme un étendard. L'étrille en os m'a enfin marqué comme sien, et j'ose espérer qu'un jour...
— Tamyan, qu'as-tu fait ? résonne sa voix, plus faible que d'habitude.
Elle est émue. Comment ne le serait-elle pas ?
— C'est pour toi, Faël, ma beauté. Tu te plaignais de ne pas manger ce que tu aimais... et tu m'as mis au défi de te préparer quelque chose. Pour un ard-æl, les désirs profonds, même inavoués, de sa femelle sont des ordres. J'ai beaucoup réfléchi et deviné ton désir secret. C'est ce que tu voulais, n'est-ce pas ?
Les larmes perlent à ses yeux comme des diamants, scintillant à la lueur des bougies. Elle est si belle... je sens mon cœur chavirer. Mon premier élan est de me précipiter vers elle, alors qu'elle tombe à genoux, pose ses yeux mouillés sur le superbe festin que je lui ai préparé.
— C'était difficile, tu sais ? D'autant plus qu'Haroun, finalement, est très sympathique. Mais il le fallait. Ton plaisir passe avant toute autre considération. Sa mère sera sûrement fâchée, même triste, en apprenant ce que j'ai fait... mais enfin. La victoire appartient au plus audacieux.
— Mais enfin Tamyan, c'est...
Elle n'a pas les mots.
— Installe-toi, ma lune. Je vais te servir du gwidth. Tu devrais commencer par ce plat : il est chaud. Les boulettes m'ont posé un problème. Et la sauce. Mais la viande était de première qualité, je dois l'admettre.
L'émotion de Faël gonfle mon cœur d'une telle façon que ç'en est douloureux. Avec le lien que nous partageons, je ressens toutes ces émotions. Toutes. Elle est tellement bouleversée... je sens que des souvenirs remontent à la surface, des souvenirs d'enfance, de fêtes. De famille. Instinctivement, mes pensées se tournent vers Tymyr et Rizhen, qui sont séparés de leurs moitiés. Pour eux, notamment, j'ai hâte de repartir en guerre. Mais je dois avouer que je suis heureux, ici, avec Faël.
— Alors ? Tu aimes mon cadeau ?
Faël relève ses yeux gris sur moi.
— Tamyan... espèce de cachotier. Tu sais faire le couscous ! Je n'en ai pas mangé depuis... depuis... C'est mon plat préféré ! Très peu de gens savaient le faire, sur New Eden...
Je lui souris. Bien sûr, j'ai volé son secret à Haroun, le grand cuisinier. Et surtout à sa mère. Mais qu'importe. Je leur ai aussi volé la recette d'autres plats.
— Je peux manger ? Je suis affamée !
— Vas-y.
Je me ressers un verre de gwidth et la regarde se jeter sur le plat (emprunté aux Massazief). C'est la première fois que je vois Faël manger avec autant d'appétit. Cela fait plaisir, en un sens.
Elle s'interrompt et relève les yeux.
— Tu ne manges pas ?
Je secoue la tête.
— Non. C'est pour toi. Trop de légumes cuits.
— Tu peux manger les boulettes...
— La plupart sont végétariennes. Je te les laisse. Celles à la viande sont pour Cyann. Je les lui donnerais quand il sera réveillé. Qu'il connaisse aussi les goûts de sa mère...
Faël s'empare du plat.
— Tu lui mettras un peu de semoule et de pois chiches, aussi. Mais pas trop de piment... Oh ! Tu as trouvé des raisins secs, Tamyan ?
— Rien n'est impossible à un prince de Dorśa, lui dis-je en appuyant mon menton dans ma paume.
Faël me regarde et... elle me sourit.
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