Chp 5 - Rika : sous les étoiles mortes (1)
Je me réveillai le lendemain avec une sérieuse gueule de bois. Ma tête me faisait mal, j'avais visiblement bu trop de gwidth la veille. Ou un cru particulièrement fort. À tel point que je m'étais imaginé coucher avec Lathelennil... Je n'avais que des sentiments confus de ce rêve étrange. Je me souvenais d'une impuissance totale, une espèce de rêverie nébuleuse où je me voyais allongée sur le canapé, les bras en croix, à moitié endormie alors que l'ældien bicolore allait et venait au-dessus de moi, ses yeux obsidienne brillant dans le noir d'une lueur affamée. Mais, loin d'être un cauchemar, ce rêve bizarre m'avait laissé quelques impressions singulièrement sensuelles et difficilement imputables à Lathelennil. Un murmure cajolant, une odeur capiteuse de mâle ældien, des cheveux venant caresser ma peau. Et un tiraillement caractéristique dans le bas-ventre.
Ren a raison, me dis-je, entendant Caëlurín bâiller. C'est ce lieu, et le fait de se sentir – faussement, bien sûr – en sécurité pour la première fois depuis longtemps.
Cela dit, avoir fantasmé sur ce taré de Lathelennil – et l'avoir imaginé si bon amant – était problématique. Il allait falloir que j'y réfléchisse sérieusement.
Se séparer du dorśari s'avérera peut-être nécessaire, pensai-je en roulant sur le côté.
En lieu et place de mon fils que je pensais juste derrière moi, je me heurtai à un corps dénudé, le nez collé sur le poitrail nu et scarifié d'un ældien mâle qui dormait les yeux fermés, ses cheveux noirs, déversés sur le côté blanc, le faisant terriblement ressembler à Uriel. Son oreille pointue chargée d'anneaux tiqua un instant, mais il n'ouvrit pas les yeux.
Lathelennil.
Mais qu'est-ce qu'il fout là, celui-là ?
Horrifiée, je roulai sur le dos à nouveau et posai ma main sur mon front comme pour dissimuler ma honte aux yeux de spectateurs invisibles.
Putain de merde.
Ce n'était pas un cauchemar : j'avais bel et bien couché avec Lathelennil. Pourquoi, alors que j'étais convaincue que c'était la dernière chose dans l'univers dont j'avais envie ? Comment, alors que l'idée ne m'avait pas une seule fois traversé l'esprit, et que j'aimais profondément mon compagnon, ne désirant que lui ? Ren et moi ne nous étions même pas disputés. Et nos gamins étaient dans le canapé, eux aussi, depuis la veille. Si ça se trouve, ils avaient tout vu.
Je me tournai à nouveau sur le côté opposé, cherchant mes gosses du regard. Ils dormaient les uns sur les autres, comme une portée de chatons. Nínim se gratta le ventre et bailla, avec de retomber dans le sommeil. Cerin fronça le nez et rabattit sa petite queue contre elle. Caëlurín, lui, tétait la sienne, de loin la plus fournie et la plus spectaculaire des trois. Le petit Niśven dormait toujours dans son panier, respirant doucement.
Le bras de Lathelennil glissa insidieusement contre moi, me tétanisant comme un serpent. Dormait-il encore ? J'espérais que oui. Mais un baiser déposé de sa part sur ma nuque m'assura du contraire.
— Tu as bien dormi, ma douce ? roucoula-t-il dans mon cou.
Je bondis du lit comme si une bête venimeuse m'avait piquée. Lathelennil, toujours allongé, s'étira, avant de me regarder d'un air paresseux.
— Ne m'appelle jamais ainsi, le mis-je en garde.
— Pourquoi donc ? Pour moi, tu es ma bien-aimée, la moitié de mon cœur. Je ne t'oblige pas à me rendre la politesse... Quoique tu m'en as dit de belles, cette nuit ! eut-il l'audace de dire avec un sourire narquois.
— Je ne t'ai rien dit du tout. Tu m'as droguée avec ton gwidth de cuvée spéciale, qui devait être plein d'ayesh ou de champignons hallucinogènes, tout ça pour faire ton affaire, en profitant de ce que je te croyais passé à autre chose !
Lathelennil éclata de rire.
— Arrête, je ne suis pas petit joueur à ce point... ! C'est à un prince de Dorśa que tu parles. Pour toi ça ne veut rien dire, mais à nous autres Niśven, on prête un pouvoir particulier, même au sein des Cours... On appelle cela la « beauté qui tue », la fascination, le gleámsýni. Personne n'y résiste. Même pas toi, Rika, l'humaine qui n'a peur de rien ni personne, pas même de l'Aonaran... Du reste, j'avais dit que je t'aurais, et je t'ai eue. Un chasseur traque toujours sa proie jusqu'à la mise à mort !
La « mise à mort »... Comment avais-je pu être émoustillée par ces phrases d'accroche éculées ? Mais malheureusement, c'est ce qui s'était passé. Je m'étais jetée sur cet insupportable petit con comme la misère sur le monde, et je l'avais supplié de continuer, de mettre fin à mon attente. Quelle horreur. Pourquoi...
Le luith. Il en a usé contre quoi. Une tactique affreuse, déshonorable, que Ren n'aurait jamais utilisée.
Il fallait avouer que le luith de Lathelennil, c'était du très lourd. Étonnant, d'ailleurs. Comment une petite merde comme lui pouvait-il être aussi sexy ? J'avais côtoyé suffisamment d'ældiens pour faire la différence, maintenant. Lathé n'avait pas le corps sculptural de Śimrod, la robe magnifique de Círdan, le visage superbe de Ren. Il était grand et maigre, avec un corps tout en angles, un visage bizarre, taillé à la serpe, une grande bouche et des grandes oreilles, même pour un ældien. Des yeux effilés et tout noirs, avec une petite lueur hantée derrière, un air malade, malveillant et cruel. Son corps était couvert de scarifications, de piercings à des endroits saugrenus. Mon Dieu... il en avait même là, en bas. Plusieurs, même. Et pourtant... cette créature vicieuse respirait le sexe, était une ode au sexe.
Ou alors, c'est que j'ai ce genre de kinks, moi aussi. Anwë... ça doit être ça.
Je me repassai le film de la nuit dans ma tête. Le moment où il avait déchiré mes fringues. Qu'il m'avait pincé le téton avec sa griffe métallique, cette même griffe qu'il avait enfoncé sans vergogne dans mon intimité. Qu'il avait pris son aise, un peu partout, exactement comme il avait prévu – et déclaré – de le faire.
Mon Dieu. Quelle horreur.
Je l'entendais encore me murmurer à l'oreille, juste après que je m'étais agrippée à sa crinière, dévastée par l'orgasme :
« Qu'est-ce que ça te fait, Rika ? Qu'est-ce que ça te fait d'être baisée par celui qui a tué ton ex, ce pauvre mec qui t'avait humiliée et utilisée comme sa chose ? De tromper ton Ren, ce sidhe si généreux, moral et droit ? J'espère que tu aimes ça autant que moi. Pour moi, ça a le goût de la victoire. »
À un moment de la nuit, je l'avais frappé comme une folle. J'avais même tiré sur son bijou de téton, espérant lui faire très mal... Mais en voyant à quel point ça lui plaisait, j'avais arrêté.
Et maintenant, il pérorait... content d'avoir obtenu ce qu'il voulait.
Je vais l'ignorer. C'est un genre de chat. Un chat vicieux, qui joue avec moi. Si je veux l'atteindre, je dois arrêter de lui donner de l'attention.
Mais il m'avait eue, putain. Comme une débutante.
Il mérite que je laisse Ren le massacrer. Je pourrais aussi me plaindre à Śimrod... ce serait rigolo.
En même temps... j'avais trahi Ren, moi aussi. Est-ce que je pouvais vraiment le lui dire, venir pleurer dans son giron comme une petite fille ?
Furieuse contre moi-même, je m'empressai de récupérer mes vêtements, abandonnés là sur le sol, et me hâtai de les enfiler.
— Rhabille-toi, lui dis-je. Je ne veux pas que les petits – ou pire, Ren ! – te voient dans cet appareil.
Lathelennil poussa un soupir résigné.
— Et moi qui espérais remettre ça ce matin... se lamenta-t-il en passant ses doigts dans sa longue chevelure dénouée.
— Dans tes rêves, sifflai-je entre mes dents. Allez. Habille-toi.
Je ramassai sa chemise lie-de-vin et la lui lançai. Lathelennil l'attrapa, et se redressant, il fit malencontreusement tomber le plaid, m'obligeant à contempler son corps nu et à vérifier sa bichromie : son corps fin et musclé était couvert de taches basaltes, dont l'une couvrait son entrejambe. Je me hâtai de détourner le regard, mais je l'avais laissé trainer une seconde de trop : Lathelennil m'avait vu. Il me fixait, triomphal.
— Curieuse, hein ? me tança-t-il d'un ton moqueur. C'est ce qui vous perd toujours, vous, les humains !
Je lui jetai le reste de ses vêtements au visage, saisis mes mômes encore endormis et quittais la pièce sous le rire sardonique de Lathelennil. Il était diabolique. Les oreilles en feu, je l'entendais encore lorsqu'il fut couvert par une sirène assourdissante, une série de bruits stridents qui résonnaient par série de cinq, se taisaient avant de reprendre. Mes enfants se réveillèrent immédiatement, les yeux grands comme des billes, et Lathelennil, qui avait sauté du canapé tout habillé, bondit devant nous.
— Qu'est-ce que c'est ? grogna-t-il.
C'est alors que l'IA domestique fit son apparition.
— Ceci est un contrôle du SVGARD, nous annonça-t-elle très calmement. La compagnie vous présente toutes ses excuses pour ce désagrément, et vous demande de gagner la zone de rassemblement immédiatement.
***
Pas de chapitre au POV d'Isolda, donc ! Et ne me détestez pas pour cette scène hein ^^'
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