Chp 3 - Tamyan : elle me rend fou (1)
Pangu, monde humain
Nouveau siège du clan du Feu Noir (provisoire)
Une bonne nuit de chasse, suivie d'une douce étreinte avec ma femelle, notre petit dormant à côté. Que demander de plus ? Le pouvoir absolu et la vengeance, sans doute. Mais je suis obligé d'attendre. Cyann n'est pas assez grand. Ce serait dangereux de l'exposer maintenant.
Le jour est en train de tomber, laissant la place à une nouvelle nuit. J'entends déjà un bruit de casseroles dans la cuisine, et le chant guttural, si agréable et poétique, de Tymyr. J'aime qu'elle apprenne notre noble langue à mon fils, en lui contant les exploits guerriers de ma lignée. Lorsqu'il sera grand et qu'il conduira ses troupes sur le champ de bataille, il devra connaître tout cela.
Quand j'aurais percé le cœur pourri de Nazhrac, castré le perædhel qui a osé souiller ma femelle, et arraché sa couronne à Fornost-Aran. Alors, je pourrais déposer ces trophées devant Faël, et m'asseoir sur le trône que j'aurais gagné pour mon fils. Regarder en face le souvenir de mon père.
J'ai rarement été aussi proche du bonheur que depuis que je me suis installé ici, sur cette planète qui évoque le jardin originel. Mais mon voyage ne s'arrête pas ici. Ce n'est qu'une étape vers la gloire, la victoire totale.
Ma femelle s'agite sous mon bras. J'imagine qu'elle veut remettre ça. Je la serre plus fort contre moi. Cette fille me rend fou. Son odeur me rend fou. Ses cris, ses pleurs, son rire, sa façon de dormir, et même, de m'insulter. J'aime quand elle me dit qu'elle me hait. La haine est un sentiment fort, beaucoup plus intéressant qu'une vague tendresse tiède. Elle me conspue, aimerait me tuer, et pourtant, elle ne peut résister au plaisir que je lui procure. Cette lutte constante de sa part, et le tourment qu'elle m'inflige en me méprisant, est un pur délice.
— Tamyan, murmure-t-elle en faisant mine de me repousser. Tamyan...
J'ouvre un œil. Sa voix est troublée. Depuis qu'elle a donné naissance à notre fils, son moindre changement d'humeur a une incidence directe sur moi. Lorsqu'elle souffre, je souffre aussi. Quand elle est satisfaite, je le suis également. Je n'étais pas ignorant des effets du lien, dans notre lignée. Mais je ne me doutais pas que ce serait aussi fort.
— Que se passe-t-il, maïrea ?
— Où est Cyann ? réplique Faël, insensible à mon compliment.
Ah. Elle s'inquiète pour son petit, comme une bonne mère.
— Avec Tymyr, souris-je en me laissant retomber sur le lit. Elle est venue nous le prendre il y a une heure.
Oui, je devrais être le plus heureux des ædhil. Ma femelle, qui soi-disant ne le voulait pas, s'inquiète pour notre enfant. Si fort qu'elle fait battre mon cœur encore plus vite.
Heureusement, ce que je lui ai dit l'a rassuré. Sa respiration se fait plus calme, et par mimétisme, la mienne également.
— Tu ne dormais pas ? demande-t-elle.
— Comment pouvais-je dormir, alors que j'avais la responsabilité du sommeil de mon fils et de sa mère, les deux étoiles qui illuminent le ciel de mes nuits ?
Les deux êtres que j'aime le plus au monde. Bon, j'avoue que ces êtres se comptent sur les doigts d'une main amputée.
— Arrête de me chanter tes belles formules, Tamyan, réplique-t-elle avec amertume. J'ai du mal avec les sarcasmes au saut du lit.
Faël est si méfiante qu'elle prend mes déclarations pour des « sarcasmes ». Pourtant, je suis sincère.
— Ah, tu fais saigner ce qui me reste de cœur, dame de la glace et du givre. Comme l'indiquait la prophétie d'Alyz.
Elle secoue la tête et se lève, ignorant ma tentative pour la garder encore un peu contre moi, m'imprégner une dernière fois de son odeur et de sa chaleur. Lorsqu'elle quitte notre khangg, mes doigts glissent lentement sur son dos, y laissant une légère griffure. Tant mieux. Comme ça, ce Haroun de malheur verra à qui elle appartient, s'il approche son petit skryll trop près. J'attends qu'il me fournisse le premier prétexte pour l'éviscérer. Avec impatience.
Je rejoins Tymyr dans la cuisine. Une alléchante odeur de viande braisée parfume l'atmosphère. Un bon feu flambe dans le foyer, et le gwidth est déjà servi sur la grande table, de chaudes fourrures savamment disposées sur les bancs autour.
— Tymyr, tu es l'âme de ce foyer, lui dis-je. Et ta cuisine sent divinement bon.
Elle se rengorge, rougissant des oreilles.
— J'ai fait cuire un de ces trucs à cornes, ard-æl, m'apprend-elle. Tué fraichement ce matin. J'ai aussi attrapé un volatile dans le champ voisin, pour le pitchoune.
Rizhen est là aussi, et, comme d'habitude, affiche un air nerveux en présence de Faël, qui prend son enfant et part le nourrir dans une autre pièce.
— Ta femelle est incommodée par l'odeur de la viande, Tam, me glisse-t-il avec un air concerné.
Je me laisse tomber sur mon fauteuil. Tymyr arrive et pose une assiette devant moi.
— Je lui garde sa part, ou pas ? Faudrait qu'elle grossisse un peu. Le p'tiot va rester malingre, sinon !
Rizhen s'assoit à son tour.
— Elle va s'enfuir, si tu ne trouves pas un moyen de bien l'intégrer au clan, lâche-t-il d'un ton réprobateur.
Ça fait beaucoup d'injonctions au réveil. Surtout venant de la part de Rizhen. La vibration du couteau que je plante dans ma viande l'informe sur mon état d'esprit.
— Je ne vais tout de même pas l'enchaîner à mon fauteuil... ! Elle est encore affaiblie par l'accouchement. Elle n'en tirera aucune jouissance.
Pour l'instant.
— Essaie de te montrer plus persuasif, alors. Renseigne-toi sur les mœurs adannath, essaie de t'y conformer. Trouve quelque chose pour lui faire plaisir, par Anwë !
— Je lui fais déjà plaisir, ne puis-je m'empêcher de dire, pas peu fier.
Ça, tout le monde est au courant. Je n'ai jamais forcé une femelle, jamais. Et c'est toujours Faël qui vient me chercher. C'est plus fort qu'elle.
Tymyr lève les yeux au ciel et intervient, les poings sur les hanches.
— Mais de quoi elle se plaint ! C'est l'as-ellyn du drughi le plus puissant de ce coin de galaxie. Un prince de sang Niśven ! Qui chasse pour elle, la nourrit, se plie à tous ses caprices, et n'honore qu'elle. Il la laisse même fricoter avec ce mâle humain, là-bas, au village, et je peux dire que j'ai jamais vu un ard-æl autoriser ça, de mémoire d'orc ! Bon, je reconnais que le coin manque un peu d'animation, de baston. Mais pour une mère qui élève son enfant, que demander de plus ? La couronne et le trône de Fornost-Aran ? Même ça, Tamyan a proposé de le lui servir sur un plateau ! Mais madame refuse d'aller vivre dans la cité millénaire d'Ymmaril, le joyau des Cours d'Ombre !
— C'est plus compliqué que ça, grogne Rizhen en relevant ses yeux azur sur elle. Faël est une humaine. Elle a des besoins humains... elle doit en avoir marre de vivre la nuit, de voir des zubrons entiers être grillés dans sa cheminée tous les soirs et de boire des litrons de sang. Et elle n'a certainement pas envie de déménager dans un endroit pris dans les glaces éternelles, où il fait moins 50 toute l'année, sujet à des tremblements de terre et des éruptions, avec des gens qui ne pensent qu'à s'étriper dans les couloirs !
— Mais c'est ça, que je comprends pas ! hurle Tymyr. C'est pas la belle vie, ça ? De l'animation, des bastons, du sang et des mâles forts !
— Pour une orc comme toi ! Mais pas pour une humaine. Même moi, je trouve ça limite ! rugit Rizhen en retour.
— Si tu trouves ça « limite », alors, tu n'as rien à faire dans cette compagnie ! Ard-æl ! Dis-moi que j'ai raison ! gronde Tymyr en me prenant à partie.
Je les ai laissé se bouffer le nez sans rien dire. En fait, je pense que Rizhen n'a pas tort. Faël est malheureuse. Et, comme l'a rappelé Tymyr, elle « fricote » avec Haroun.
Elle est encore amoureuse de lui. C'est évident. Je pensais bêtement que le danger viendrait du perædhel... mais en fait, mon rival est un banal mortel.
Ce Haroun n'est pas beau, il n'est pas fort. Ce n'est ni un grand chasseur, ni un grand chef de guerre. Ce n'est même pas un guerrier... et c'est sûrement un piètre amant. Il n'a pas une belle voix, il ne sent pas bon. Il ne sait pas fabriquer de jolis objets, accommoder une viande, monter un camp, inventer des jeux amusants ou réciter de la poésie. En tant que mâle, il n'a aucun intérêt, et jamais une ældienne ne l'aurait regardé. Je suis presque certain qu'il n'a même pas bon goût... Mais c'est avec lui que Faël passe toutes ses nuits. Elle rentre au petit matin toute imprégnée de son odeur... que font-ils, là-bas, au village humain ? Qu'on ne me fasse pas croire qu'ils passent leur temps à retaper des adannath. Les humains ont une biologie simple, qui se répare facilement. Non, ils doivent forniquer. Je ne vois que ça. Comme si je ne lui suffisais pas...
Je secoue la tête.
Rhach. Elle me rend fou.
— Si elle veut partir, elle part, finis-je par dire en mâchonnant ma viande. Je ne vais pas la retenir. Mais elle me laissera Cyann.
Rizhen plisse les yeux.
— Tu serais prêt à la laisser partir, Tamyan ? Et le muil, t'y a pensé ? T'es même pas guéri. Faël est la seule qui te maintient en bon état !
Sauf que je suis trop fier pour la supplier.
— Je ne veux pas d'esclaves. Je préfère qu'on me suive librement : c'est comme ça qu'on mesure un bon ard-æl !
Quant au muil... tant que Faël continuera à me haïr et me mépriser, la béance dans mon cœur ne guérira pas. Mais Alyz m'avait prévenu : c'est une femelle aux cheveux blancs qui va me mettre à genoux. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est que j'y prendrais un tel plaisir.
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