Dans le couloir, je tombe sur Unila, la première épée de Lathelennil. Je m'avance vers elle, bien décidé à savoir où se cache mon cousin. Même si Lathelennil est en train de se faire sucer par l'intendante d'Uriel, la dénommée « Tithiniel », je suis déterminé à le déloger de sa cachette.

— Unila, où est ton ard-æl ?

L'ex-gladiatrice tourne un regard glacial sur moi. Ses yeux sont rougis, creusés et fatigués. Elle a perdu cet air hautain, féroce et cruel qu'elle arbore habituellement, et la pointe de ses oreilles est basse, comme un carcadann déprimé.

Il y a quelque chose qui ne va pas, deviné-je.

— Qu'est-ce qui se passe, Unila ?

Je la sens hésiter. Toute une palette de sentiments passe sur son visage ingrat : la haine, le dégoût, l'envie, la tristesse... Elle ne m'a jamais porté dans son cœur, mais aujourd'hui, on dirait qu'elle a envie de se confier.

— C'est Ennil. Il m'a repoussée cette nuit, alors que je venais le chercher pour fêter sa victoire décisive...

Mmh. Elle a donc franchi le pas. Plusieurs siècles qu'elle attend...

— Sa victoire décisive ? Victoire sur quoi ?

Elle croise les bras, gratte le dos de ses mains de ses griffes.

— Il a accompli une action risquée pour s'emparer de trophées avant la chasse des Sœurs du Rouge d'Urdaban. Des trophées convoités par le prince Uriel, son frère... grâce à cela, Lathelennil est rentré dans ses bonnes grâces, et il... il...

Je me penche sur elle, soudain inquiet.

Lathelennil... qu'a-t-il fait, encore ?

— Il a fait quoi ?

Elle baisse le nez, comme si elle s'apprêtait à avouer une défaite particulièrement honteuse.

— Il est parti avec le trophée qu'il convoitait le plus, l'esclave intendante d'Uriel, une humaine ambitieuse qui a gravi les échelons de la hiérarchie plus rapidement encore que Khror... !

— Tithiniel, c'est ça ? Uriel m'a parlé d'elle, brièvement.

— Tous les chasseurs sont fous d'elle, crache Unila. L'humaine qui appartenait à l'As sidhe d'Æriban ! Qu'est-ce que vous avez tous, vous les mâles, à vous enticher de ces pathétiques adannath ?

Rika Srsen. C'est donc elle, Tithiniel... et elle se trouve ici, sur le bord d'Uriel. La femelle de Silivren...

Les ramifications possibles d'un plan commencent à se former dans ma tête. Mais Lathelennil...

— Mon cousin a conquis cette femelle, cette Rika Srsen ?

— Pas encore, renifle Unila. Mais ça ne saurait tarder. Elle est intriguée par lui, sensible à son charme. Comment résister à ton cousin, en même temps ! C'est fou qu'elle ne lui ait pas déjà écarté les cuisses... cette petite face de grenouille a l'outrecuidance de faire attendre un prince d'Ombre !

Fou, en effet. Mais si cette Rika Srsen est aussi maligne qu'on le dit...

— Et les fièvres d'Ennil doivent commencer cette nuit, ajoute Unila, la pointe des oreilles écarlate. Cela faisait tant de lunes que j'attendais ce moment... elle m'a doublé, elle... je vais l'étriper cette guenon, je te jure !

Je lui tapote le dos, pensif.

Lathelennil qui courtise la femelle de l'As sidhe... c'est bien digne de mon cousin, ça.

Unila s'écroule sur moi, enfonçant ses griffes dans mon épaule.

— Elle ne le mérite tellement pas... elle passe son temps à l'humilier, à l'insulter, même... ! Ça fait bouillir mon sang dans mes veines. Quelle insolence, pour une pitoyable humaine !

— Mais tu sais que c'est en résistant de toutes ses forces qu'on gagne le cœur d'un seigneur d'Ombre, Unila. Et Lathelennil aime le challenge plus que n'importe qui d'autre.

— Mais pourquoi elle ? aboie Unila en dardant ses crocs. Ça fait des millénaires que j'attends un signe de lui ! Je suis une femelle de sa race, et de noble sang...

— Il fallait être plus agressive, audacieuse. Ne pas attendre son bon vouloir. Le provoquer, lui montrer ton intérêt. À dire vrai, Lathelennil m'a toujours dit que tu le méprisais. Il le pensait vraiment !

Même si je savais, moi, que tu étais folle de lui. Certains signes ne trompent pas.

— C'est faux ! glapit Unila. Mais si je lui avais montré mes sentiments, il les aurait foulés aux pieds !

— C'était un risque à prendre. Mais tu connais la devise de notre famille. Braver les flèches de l'infortune. Ne craindre ni la corde, ni le feu. Jouer le plus grand des jeux. Gagner quel qu'en soit le prix...

— Se rire des vicissitudes du destin, marmonne Unila. Et conquérir enfin la clé...

— ... qui ouvrira le neuvième royaume. Maintenant, je sais que des Ténèbres vient la Lumière, récité-je. Voilà, tu as ta solution ! Si tu veux mon cousin, il va falloir te battre.

Unila se redresse, forte d'une nouvelle motivation. Elle a échappé au muil... pour l'instant.

Allez, sois audacieux, toi aussi. Joue ton atout. T'as une belle ouverture.

— Uriel m'a confié son ost, pour aller poursuivre une proie qui a échappé aux griffes de sa belle. On a sa signature vaisseau... tu veux venir avec moi ? Ça te changera les idées.

La chasseresse flaire le mensonge. Elle se redresse, méfiante.

— Je n'ai rien entendu de tel... et Lathelennil ne m'a pas donné l'ordre de convoquer la chasse...

— Et alors ? Tu vas continuer à lui obéir comme un wurg nouveau-né, alors qu'il est parti vivre sa lune de miel avec la femelle de l'As sidhe ? Prends ta destinée en main, Unila. Tu es une grande guerrière, descendante d'une lignée prestigieuse.

— Parfois, je me dis que j'aurais aimé avoir un ard-æl comme toi, Tamyan, grommelle Unila en me regardant de travers. Mais parfois aussi, je me dis que je comprends pourquoi tes chasseurs t'ont destitué. Tu donnes trop de liberté à tes guerriers. Et en même temps, tu les fais suivre un chemin très dur. Un main de fer dans un gant de velours...

— C'est plutôt le contraire, je pense. Une main de velours dans un gant de fer, dans mon cas. Mais assez tergiversé. Je pars, car j'ai moi aussi ma propre quête à mener. Si tu veux venir et joindre l'ost de ton ard-æl à la nôtre, tu es la bienvenue, Unila.

— Mais quelle ost, Tamyan... ? Tu n'as plus de cair, plus de chasseurs !

Bien vu. C'est le moment de la convaincre de me prêter celle de Lathelennil...

C'est alors qu'un hurlement terrifiant nous fige sur place, les sens en alerte.

Uriel. C'était sa voix.