Chp 15 - Tamyan : je suis né prédateur (1)
Territoire du Feu Noir
Faël m'a tellement comblé cette nuit encore que je reste un moment éveillé, le souffle court, incapable de m'endormir. Pourtant, le jour est bien levé, et je suis épuisé. Elle vient juste de partir... son parfum si doux flotte encore dans la pièce, et, pris d'une frénésie soudaine, je déchire la chemise qu'elle m'a laissée, y enfouis mon nez et la mordille avec passion, de plus en plus excité. C'est trop pour moi. Cette attente, cette délicieuse tension. Elle joue avec moi, cette tigresse, cette wyrm en chaleur. Quand elle a posé ma propre lame sur mon pauvre cœur déjà meurtri par ses griffes, j'ai cru défaillir. J'ai dû faire appel à toute ma volonté pour ne pas lui sauter dessus. Ah, elle met ma patience à rude épreuve. Face à elle, je me sens comme un sidhe enchainé le jour de la parade, forcé à contempler les plus belles femelles sans pouvoir y toucher. Mon cœur bat si vite qu'il manque de sortir de ma poitrine. Faël va finir par me tuer, mais ce sera une mort magnifique, une apothéose de volupté.
Une fois le quart d'heure de folie passé, je m'endors, roulé en boule sur la charpie qui porte encore son odeur. Je sais que je vais rêver d'elle, comme chaque journée. Et j'attends la nuit avec impatience, cette nuit où elle va encore me revenir, et où je pourrais la posséder et être possédé par elle, encore et encore.
Dans mon demi-sommeil, je vois Tymyr entrer dans la chambre, et déposer mon fils sur mon lit, dans mes bras. Elle repart doucement, comme elle est entrée.
Cyann dort un peu, puis il se réveille, joue sur le lit. Se rendort à nouveau. Je l'entends et je le perçois à travers mes rêves, et le ramène contre moi lorsqu'il s'approche trop du rebord du khangg. Sa mère ne lui a pas fabriqué de panier, comme c'est la coutume pour les hënnil. Et elle n'a pas proposé d'apprendre auprès de Tymyr. Mais il dort avec nous, alors ce n'est pas vraiment un problème.
La journée s'écoule, longue et dolente. Tymyr repasse pour nourrir Cyann, lui donner son lait. Il s'endort contre moi à nouveau, et je ferme les yeux. Dans quelques heures, sa mère sera là.
— Atta ! Attar !
Papa.
Le piaillement de Cyann me parvient en nappe sonore, un peu lointain. J'ouvre les yeux. Il y a une silhouette dans la pièce. Une silhouette longue, encapuchonnée, les oreilles pointues...
Un ædhel.
Je me réveille d'un coup. L'inconnu fond sur le lit, lame en avant. J'ai juste le temps d'attraper Cyann et de le coller contre moi. Son sabre dentelé transperce le matelas, pile à l'endroit où mon fils se trouvait. Puis il avance, déterminé, son arme relevé devant son masque. Un masque neutre, qui ne représente aucun sældar, aucune guilde ou chasse connue.
— Qui es-tu ?
Sans répondre, il repart à l'attaque. J'évite ses frappes comme je peux. Entièrement nu, avec mon fils dans les bras, c'est difficile d'esquiver. Sa lame entaille mon avant-bras. Mon dos heurte le mur : il a réussi à m'acculer.
Il faut que je me sorte de là. Trouve une arme. Et surtout, un lieu sûr pour Cyann.
Je ne peux pas me battre en portant Cyann. Et je n'ai plus assez d'énergie pour faire une configuration. Ce n'est pas pour rien qu'on interdisait aux sidhes de gaspiller leur précieux luith...
— Rizhen ! Tymyr !
Le tueur me balance alors une mèche de cheveux dorés.
Rizhen... cet enfoiré l'a eu.
Je sens mon sang bouillir, et je n'ai plus qu'une envie : me jeter sur lui en hurlant, toutes griffes dehors. Mais je dois protéger Cyann qui s'accroche à moi, paniqué. Son cœur bat vite, beaucoup trop vite. Et l'autre ne me donne pas une seconde de répit. Je me prends un deuxième coup de lame. Je ne vais pas pouvoir le protéger longtemps...
Tente-le. C'est le seul moyen.
Lorsque que le tueur me touche une troisième fois, la douleur et la rage me donne assez d'adrénaline pour ramasser un semblant de combustible dans mon centre. Comme j'en ai pris l'habitude, je visualise la forme du Veilleur, celui qui passait plus de temps à éventrer les ennemis de Mannu qu'à « veiller » du haut d'un rocher, justement.
L'assaillant est projeté en arrière par l'énergie dégagée par la configuration. Je me courbe sur Cyann pour le protéger, sentant les ailes se déployer dans mon dos. Trois. Je n'ai pas réussi à faire plus. Une sera suffisant pour entourer Cyann et lui servir de bouclier. Je la recourbe sur lui, comme je l'avais fait avec Faël, pour sortir de la station en perdition. Sans configuration, je n'aurais pas pu nous tirer de cet endroit, ce jour-là.
Sous cette forme, je suis quasiment invincible. L'énergie crépite dans mes veines, et mes cheveux se dressent comme une auréole. La lumière est si aveuglante que l'agresseur est obligé de lever la main pour se protéger les yeux. Il recule, manque de tomber, tandis que je m'avance vers lui, les griffes prêtes à le déchirer. Il tente de s'enfuir en traversant le mur, mais en deux battements d'ailes, je suis sur lui. Je le prends entre mes serres et l'emmène en haut, dans les nuages glacés sous la lune. Je vais le dépecer en vol, déguster son cœur sur les pics enneigés que je vois au loin et laisser tomber sa carcasse gelée pour qu'elle se brise au sol comme du verre. Ce sera bon. D'un cri féral, aussi ancien que la nuit, j'appelle mes frères et sœurs, pour qu'ils viennent chanter ma victoire et se repaître avec moi. Une fois la proie dévorée, nous retournerons chasser. Ces lumières dans la nuit... des proies. Plein de proies. J'ai si faim, si soif. Je ne vais pas les attendre. Je vais...
Une douleur fulgurante me fait hurler, de rage et de souffrance. Quelque chose... quelque chose vient de transpercer mon aile. Le temps de m'en apercevoir, de tenter de me rétablir, et c'est la chute. Je tombe comme une vrille. Le sol se rapproche... Je vois quelque chose, un paquet, une pierre, être éjecté de mon flanc, là où je tenais ma troisième aile repliée. Une chose qui tombe, encore plus vite que moi.
La conscience me revient, blanche et affreuse, plus coupante que la glace vive.
Cyann. C'est Cyann. Je l'avais dans les bras, et...
Le choc du retour au sol me fait hoqueter.
— Je l'ai, Riz ! rugit la grosse voix de Tymyr.
Mon orc-lige. Les genoux pliés pour absorber la chute, elle vient de rattraper Cyann dans ses bras. Au-dessus de moi, Rizhen s'avance, ses cheveux blonds coupés s'éparpillant dans tous les sens. D'un geste souple, il rattrape une immense lance filidh à la lame couverte de sang, qu'il fait tournoyer avec élégance, avant de la pointer sur moi.
— T'as repris tes esprits ? demande-t-il d'une voix dure.
Encore groggy, je passe ma langue sur mes lèvres. Elles ont un goût métallique.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Un assassin a profité de notre sommeil pour m'assommer. Un type de l'Aleanseelith, à voir le type d'arme qu'il utilise. Il m'a coupé les cheveux pour le sport, comme tu peux le voir... (Il grimace.) Mais sa cible, c'était toi, Tamyan. Toi et Cyann. Heureusement, Tymyr est rentrée de la chasse au bon moment !
L'Aleanseelith. Je me suis toujours méfié d'eux. À juste raison.
— Où est-il ? Il faut le faire parler.
— C'est justement pour ça que je t'ai lancé cette hallebarde... grogne Rizhen en se massant l'épaule. Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait du lancer de javelot sur cible mouvante ! Mais c'était ça, où tu tuais notre seul informateur. Et Cyann aussi, par la même occasion. Il n'aurait pas résisté au froid.
Je ferme les yeux brièvement.
Cyann. J'ai failli tuer Cyann. Mon propre fils.
— Il est mort ? Le tueur de l'Aleanseelith.
— Non... Il a réussi à s'enfuir. Et vu que t'es pas en état pour lui courir – enfin, lui voler – après... Faut que t'arrêtes avec cette configuration, Tamyan. Tu n'as pas le mode de vie d'un sidhe, sa maîtrise. Un jour, tu perdras définitivement le contrôle, et tu resteras prisonnier de cette forme pour toujours !
— Pas si je t'ai toujours à mes côtés pour me ramener à la raison, souris-je.
Mais Rizhen ne rit pas à ma boutade.
— Je ne serais pas toujours là, Tam. Pense à ton fils. À Faël.
— C'est à eux que je pense, grogné-je en me relevant. Je ne pouvais pas le protéger. Il aurait pris un mauvais coup.
— Tu ne t'entraines pas assez, murmure Rizhen, les sourcils froncés. Tu te reposes trop sur tes habilités naturelles... ça va te jouer un mauvais tour. Et tu t'exposes trop ! Tu roupilles toute la journée et passe ton temps à te saouler de sang et de gwidth entre deux baises. À une époque, tu dormais en armure, Tamyan !
C'était avant de connaître Faël, pensé-je en jetant un regard mécontent à Rizhen.
Il m'a encore sauvé le derche, et on va l'entendre pendant un certain temps, maintenant.
— Ce que je fais de mes journées et de mes nuits de te regarde aucunement, Rizhen. En tout cas, on a la preuve que tes amis de l'Aleanseelith sont mal intentionnés à notre égard, maintenant, dis-je en baissant les yeux sur la lance. Je t'ai toujours dit qu'il fallait se méfier d'eux. Ils se louent au plus offrant... et mes cousins, sans compter Nazhrac, ont un paquet de pognon, avec les derniers raids.
— Les considérations pécuniaires n'ont jamais fait partie des motivations de l'Aleanseelith, réplique Rizhen. Si les Enfants de l'Amadán ont décidé que tu devais mourir, Tamyan, c'est pour une bonne raison. En outre, si c'est vraiment le cas, ils ne cesseront jamais de te traquer.
— Une bonne raison ? m'exclamé-je, outré. De quel côté es-tu, Rizhen ?
— Du tien. Mais peut-être que tes agissements derniers ont changé quelque chose à la prophétie, à la trame de ta destinée. Je ne sais pas. Mais je t'assure que Fornost-Aran lui-même ne pourrait pas forcer l'Aleanseelith à mettre un contrat sur ta tête, s'ils estimaient que cela allait à l'encontre de la prophétie d'Ardaxe.
Encore ces histoires de prophéties... quel ramassis de conneries ! Mais Rizhen y croit dur comme fer.
— Et un contrat sur un hënnel innocent ? craché-je. C'est mon oncle, ou « Ardaxe » qui en a décidé ? Lequel des deux, d'après toi ?
Ardaxe. Un ædhel mort depuis des millénaires, eunnuque et laid comme un orc, d'après la légende... mais dont le nom est synonyme de Messie pour beaucoup de gens y compris Rizhen, apparemment.
Cette fois, Rizhen ne trouve pas de contre-argument.
Tymyr se rapproche avec Cyann.
— Le petit s'inquiète, ard-æl.
Je le prends dans mes bras. Ses yeux sont mouillés. Il a pleuré... Je le regarde, fasciné. Mon fils qui pleure. Il a hérité de cette faculté de sa mère.
— Tamyan ! hurle celle-ci.
J'ai juste le temps de me retourner. Faël est sur moi, et m'arrache Cyann des mains. Féroce comme une mère wyrm défendant ses œufs... Je la dévore du regard. La lumière est revenue avec elle.
Faël sert son fils contre elle, le couvre de baisers, le rassure.
— Là, je suis là, mon chéri, mon petit ange.
Je ne peux pas quitter ce spectacle des yeux. Je ne l'ai jamais vue comme ça avec Cyann... en partie parce que c'est souvent Tymyr qui l'a quand on est ensemble. Trop occupés à « baiser », comme le dit si élégamment Rizhen... Mais le fait est là. Faël est bouleversée.
Elle l'aime. Elle aime notre fils.
Son regard de manticore tombe sur moi.
— Qu'est-ce que tu fais encore, Tamyan, tout nu et couvert de sang ?
— On a essayé de tuer notre enfant, Faith, lui dis-je gravement.
Un sourire contrarié tente de faire sa place sur un coin de sa bouche, tandis que l'autre s'affaisse. Trop d'injonctions contradictoires en même temps. « Faith ». « Tuer notre enfant ».
— Tuer Cyann ? souffle-t-elle. Mais pourquoi, mon Dieu ?
— C'est ce que je j'aimerais bien savoir, grogné-je. En attendant, il y a une chose dont je suis sûr : nous ne sommes plus en sécurité ici.
— Mais...
— Je ne peux pas rester ici et attendre le couteau de l'assassin comme une vulgaire proie ! grincé-je. Je suis né prédateur, et c'est à moi de mener la chasse. Nazhrac veut en découdre avec moi... je vais aller au-devant de ses désirs.
Faël serre plus fort son fils dans ses bras.
— Qu'est-ce que tu es en train de me dire, Tamyan ? Que tu t'en vas ? Je t'interdis d'emmener Cyann à Dorśa ! Moi vivante, cela n'arrivera jamais.
Je plisse les yeux.
Pourtant, il le faudra. Quand tu prendras ta place sur le trône à mes côtés.
— Tymyr va rentrer à Urdaban, et elle le cachera dans sa harde. Avec toi. Riz et moi, on retourne à Ymmaril récupérer enfin ce qui est à nous !
Tymyr s'est avancée.
— Que... quoi ? rugit-elle. Je pars au combat avec toi, Tamyan, tu es mon ard-æl ! Comment revenir à Urdaban la tête haute, sinon ? Je serais la risée de tout le monde, mon clan me bannira, Kharwar me répudiera !
— Pas si tu agis sur mon ordre, pour protéger ma femelle et mon petit. Fais ce que je te dis ! Tu es restée trop longtemps loin des tiens. Tu pars cette nuit.
Lourdement, Tymyr pose un genou à terre.
— Tes désirs sont des ordres, ard-æl, grogne-t-elle. Je vais préparer le sac du petit. Mon paquetage est déjà prêt.
Un vrai soldat, cette Tymyr.
Rizhen a déjà filé dans la maison emballer ses trucs. Le problème, c'est Faël.
— Tu ne peux pas faire ça, Tamyan, proteste-t-elle. M'envoyer je ne sais où chez les orcs !
— Tu cours trop de risques ici. Je ne serais plus là pour te protéger.
— Je ne courrais aucun risque s'il n'y a plus aucun ældien autour de moi, dit-elle froidement. C'est facile de te repérer... mais une mère et son enfant, il y en a des milliers ! Ces tueurs ne savent même pas à quoi je ressemble. Quant à Cyann, je lui teindrai les cheveux.
Elle a raison. L'Aleanseelith est bien implantée à Urdaban : c'est leur bastion, leur temple mère, l'endroit où Ardaxe a eu sa révélation, à genoux dans le sable imbibé de sang des arènes.
— D'accord. Tu restes là. Mais pas dans la maison.
— Où, alors ?
— Chez... chez Haroun, lâché-je après une courte hésitation.
— Haroun ? répète Faël. Tu en as parlé avec lui ?
Il semblerait que je vienne de dire une énormité. C'est peut être le cas.
— Non. Mais j'y vais, tout de suite. (Je baisse les yeux sur mon corps nu.) Dès que je suis habillé.
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