Chp 12 - Isolda : Père et fils (2)
Ren les invita dans les pièces à vivre de son cair. Isolda, même si elle reconnut le vaisseau, le trouva changé. De fait, ses affaires comme celles des enfants, des filles, de Rika, de Círdan ou de Tanit ne s'y trouvaient plus. Tout était vide et fonctionnel. Et lorsque Śimrod mentionna ces noms, dépliant le dessin qu'avait fait Isolda, Ren prétendit ne pas les connaître.
— Mais enfin, insista Śimrod, sur le point de perdre à nouveau patience. Tu ne reconnais aucune de ces personnes ?
Il brandit à nouveau le dessin sous le nez de Ren.
— Non, dit ce dernier en secouant la tête. Je ne connais que Mana.
Śimrod étouffa un juron.
— Je ne vois qu'une explication, lâcha-t-il. Soit tu es sous le coup d'un puissant geis ou dwol, soit tomber dans cette cuve de minerai a rendu ton cerveau aussi troué qu'une passoire !
Ren le regarda d'un air entendu.
— Je suis insensible aux geas et aux dwol... Comme toi.
Śimrod échangea un regard avec lui.
— Oui, bon, je t'ai dit qu'on en parlera plus tard... Idiot ! répéta-t-il encore. Alors ? Tu n'as donc aucune idée ?
Ren secoua la tête.
— Aucune. Et je commence à me fatiguer de t'entendre me traiter d'idiot à tout bout de champ. Qu'est-ce que tu dirais si je te tirais du sommeil pour te dire que tu as une femelle humaine et une portée de perædhil ? Tu me rirais au nez, je pense.
— Je te dirais, bien vu, répliqua Śimrod avec un sourire carnassier. Et je te ferais confiance, parce qu'au fond de moi, perte de mémoire ou pas, je saurais que mon fils a raison. Mais toi, tu t'obstines à refuser de nous croire !
— Rien ne prouve que je suis ton fils, répliqua froidement Ren. On est originaires du même clan, certes. Mais tu l'as quitté du jour au lendemain, sans raison aucune, en me refilant un fardeau bien lourd à porter... Donc, je ne sais pas si je peux vraiment te faire confiance, Śimrod.
Le susnommé le regarda en silence, les yeux étincelants. Isolda songea, une fois de plus, que la situation était vraiment mauvaise.
— Ren, dit-elle enfin. D'après vous, pourquoi serais-je là ? Je ne suis qu'une humaine que vous et votre épouse avez secourue, qui ne se souvient même pas de son propre nom. En quoi le sort de ce petit semi-ældien et celui des autres me concernent-il, d'après vous ?
Ren la regarda.
— Parce que tu es la mère de ce petit, tenta-t-il.
Isolda, qui sentit le regard de Śimrod sur elle – ce dernier avait toujours un doute – secoua la tête.
— Ce petit est un perædhel noir, comme vous pouvez le voir. Vous portez cette robe tous les deux... Mana la porte également, ainsi que deux de ses filles. À part ceux que je viens de nommer, je n'ai jamais vu aucun ylfe à la peau noire, et je peux vous dire que ces derniers temps, j'en ai vu beaucoup. On m'a dit que vous étiez une espèce ældienne spéciale... des khari, ou sil-illthyrii.
Ren parut enfin réagir.
— Comment sais-tu cela ?
Isolda leva les yeux au ciel.
— Parce que cela fait de nombreux mois que je vogue avec vous, et m'occupe de vos enfants ! répéta-t-elle obstinément.
Ce que les ældiens pouvaient être durs à la comprenette ! Isolda regrettait vivement l'absence de cette pauvre Rika. Elle, au moins, aurait su trouver les mots pour convaincre ces êtres imbéciles et obstinés. Elle savait leur parler, trouver les concepts qu'ils comprenaient et appréciaient.
Ren, visiblement un peu remué, se leva.
— Il faut que je réfléchisse un peu de mon côté, leur dit-il. En attendant, faites comme chez vous sur mon cair. Vous êtes les bienvenus. Reposez-vous, sustentez-vous. La salle de bains...
— Je sais où elle se trouve, le coupa Isolda. Et Caëlurín le sait également. Il y est déjà allé, regardez-le !
Le petit semi-ældien, en effet, dormait en boule sur le lit de son père. Śimrod sortit alors une sorte de sac de son shynawil, dont il tira le panier, qu'il posa sur la couche, délicatement.
— Je ne sais pas ce qui s'est passé, Ren, dit-il pensivement, mais il y a une chose que je sais : nous devons absolument retrouver le reste de ta famille. Crois-moi, quand tu auras retrouvé la mémoire, si tes enfants sont morts pendant cette perte de conscience, tu le regretteras tout le restant de ta longue vie !
Isolda regarda Śimrod, songeant à ce qu'il lui avait confié précédemment, sur ses huit petits morts. Sur le sujet des regrets, le grand ylfe noir semblait en connaître un rayon.
Finalement, après une petite heure de réflexion, Ren revint leur dire que, s'il ne se souvenait toujours de rien, il leur laissait le bénéfice du doute.
— Je n'ai rien de particulier à faire, et je ne peux effectivement pas prendre le risque d'ignorer ce que vous me racontez, leur concéda-t-il. À défaut de meilleure piste, je vous propose donc de suivre celle de cette barde traître, cette Tanit. On verra bien qu'elle sera sa réaction en nous voyant, et ce qu'elle nous dira.
— Si c'est vraiment une filidh, du moins... soupira Śimrod
Ren lui jeta un regard coupant comme la glace.
— Mais tu connais bien le sujet, non ?
— Certes. Mais je suis comme toi : complètement ignorant de ce nouveau monde. J'ignore s'il reste encore des filidhean... ou si l'Aleanseelith existe encore.
Ren regarda pensivement son père.
— Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir. La Cour Exilée... Tu y as encore accès ?
Śimrod hocha pensivement la tête.
— Bien. Alors vas-y, et attends de voir si l'un des membres de la guilde se montre. Suis-le et trace son portail : on se servira de ses coordonnées pour infiltrer leur vaisseau. Et on l'interrogera sur cette Tanit.
— Malin, sourit Śimrod. Je n'y aurais pas pensé moi-même !
Ren lui jeta un regard entendu.
— Isolda, reprit l'ylfe noir, parle-lui de Rika, sa femelle.
— Elle était asiatique, plutôt petite et mince... Ren l'appelait « Baran », à cause de ses cheveux noirs. Il était très attaché à elle, très attentionné. Cela faisait chaud au cœur de les voir ensemble, elle et Ren.
Isolda regarda le susnommé, rapidement. Ce dernier la fixait, l'air rêveur, la bouche légèrement entrouverte.
— Elle savait également piloter le cair de Ren, ajouta Isolda, et toutes sortes de machines. En outre, elle parlait votre langue couramment, sans avoir eu besoin de manger aucune perle, justement. C'était une femme très capable, sans peur ni reproche, bonne et juste. Toutes les humaines, je pense, aimeraient lui ressembler.
Śimrod échangea un regard avec son fils.
— Et toi, tu la laisses sur le carreau et tu exploses la planète sur laquelle elle se trouve ? Idiot !
Cette fois, Ren, visiblement très ébranlé, réagit au quart de tour en portant un coup de griffe à son père. Selon toute évidence, cela avait été plus fort que lui. Śimrod intercepta son coup, et répliqua en tentant de lui donner un soufflon. La table valdingua sous la violence du choc, alors que les deux ældiens roulaient par terre, sous le regard las d'Isolda.
Elle les planta là et partit dans la chambre, rejoindre Caëlurín.
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