Chp 11 - Faith : hasard et opportunités
Tribunal inquisitorial extraordinaire, orbite de Pangu
— ... et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous annonce que le tribunal inquisitorial vous condamne à la réclusion à perpétuité au pénitencier républicain d'Astantor, peine qui prend effet dès maintenant. Compte tenu du caractère particulièrement vicieux de votre affliction, et la manière perverse dont vous avez pratiqué charnellement cette hérésie, nous avons décidé de vous déposséder de votre corps biologique : seule votre personnalité résiduelle subira la peine, tandis que votre corps sera détruit. La séance est levée !
Le juge tape son marteau, qui sonne comme un glas.
Astantor. Comme Luvine.
Et je vais perdre mon corps. Ce corps qui m'a donné tant de douleurs, et tant de plaisirs. Plus jamais je ne connaîtrai le toucher des griffes de Tamyan sur ma peau, ni le goût de son sang. Caresses, parfums, sensations : tout cela va disparaitre pour toujours.
Gerald. Il n'est pas présent, lors du jugement.
*
Il y a une mouche sur le plafond de l'astronef. Comment cet insecte a-t-il pu se trouver ici ? D'où vient-il ? Il y avait des mouches sur Pangu. Pangu. La forêt. Le dernier endroit où j'ai vu mon fils. Comme ce temps me parait lointain, à présent. Des jours révolus, envolés. Seule reste cette mouche. Un témoin du temps passé, de la vie.
— Hey les gars... On a une dizaine d'heures de vol de prévu. Si on s'amusait un peu avec cette fille ?
— La sorcière ?
— Faut avouer qu'elle est plutôt bandante, avec ses cheveux blancs... On va pas tout laisser aux ylfes, non ? Et ils vont détruire son corps à Astantor dès qu'on sera arrivé.
— Si l'inquisiteur l'apprend, on aura des problèmes.
— Il ne l'apprendra pas. Singh l'a convoqué pour coordonner l'attaque sur le nid exomorphe.
Je suis sanglée sur cette table de transport, un collier d'insonorisation posé sur mes cordes vocales. Je ne peux rien faire, même pas dire à ces hommes de me laisser. Je les entends rire grassement, se monter la tête sur mes perversions. Pour eux, je ne suis plus qu'un bout de viande, totalement déshumanisé.
— ... elle trouvera ta bite trop petite, par rapport à son monstre, Jyn.
— On s'en fout ! Et si elle est trop large, je la prendrai dans le cul. C'est qu'une sorcière, une hérétique. Habituée à se faire prendre par tous les trous par du gros calibre exo... Elle kiffe ça !
— Il la prenait dans le cul aussi.
— Merde... saloperie !
Des rires gras, méprisants, qui résonnent comme des billes d'acier rebondissant sur la carlingue. Mes mains, sanglées le long de mon corps, se tordent et se retordent.
Cette discussion que j'ai eue avec Tamyan. Une nuit où, dans le bain, allongée contre son torse, la tête sur son épaule, je regardais les étoiles. C'était une nuit calme et belle, un autre monde que cette boîte de métal puante dans laquelle je me trouve aujourd'hui. J'étais bien, mais je ne me rendais pas encore compte à quel point. Je voulais provoquer Tamyan, obtenir quelque chose de lui. Quoi ? Des excuses ? Un aveu ? Je lui ai demandé pourquoi on l'appelait « le boucher », et pourquoi c'était si important pour lui d'être un chef de guerre sans pitié.
Tamyan, lui aussi, regardait les étoiles, qui se reflétaient dans ses yeux abyssaux. Sa longue chevelure de jais était plaquée sur son crâne et son dos, dévoilant ses grandes oreilles pointues, ses tempes rasées et même la trace de brûlure sur sa joue. Mais je ne l'ai jamais trouvé aussi beau que cette nuit-là, avec le parfum de la forêt, le bruit lointain des animaux derrière nous et les astres qui pulsaient au-dessus du faîte des sapins, avec le crépitement du feu non loin. Je menais une vie simple et sauvage, et je croyais détester cela. Pourtant, je ne pouvais pas détacher mes yeux du visage princier et ténébreux de Tamyan, celui que je pensais être mon bourreau, ma damnation, et que pourtant, j'aimais désespérément.
« Survivre, et grimper au sommet, à coups de griffes et de crocs. C'est la loi du Peuple. Celle que ma famille protège depuis des millénaires. Ne jamais tolérer aucun maître que celui qu'on pourra un jour remplacer. Si ma liberté demande que je sois un boucher, alors je serais un boucher. Et la pitié est une faiblesse que je ne veux apporter à aucun ennemi. Je sais que tu me reproches ce que j'ai fait aux tiens. Mais je ne regrette pas, pas une seule seconde. Parce que sinon, je n'aurais pas pu te trouver. Du hasard le plus malheureux naissent les plus belles opportunités : c'est tout ce que je peux te dire. »
En dépit du caractère révoltant de ce discours, je m'étais accrochée à son cou et l'avais embrassé, impatiente de l'avoir encore contre moi, en moi. Je n'étais jamais rassasiée de lui. Jamais. Il m'a souri, le feu dans ses yeux noirs, comme toujours ravi de me voir succomber à ses facettes les plus sombres. Ses griffes ont empoigné mes fesses, me plaquant contre lui. Et j'ai coulissé sur le pal de sa queue, lentement, haletante de désir, le regard vissé dans le sien. Savourant chaque centimètres de sa peau, de son odeur, de sa somptueuse vision. J'accusais Tamyan d'être anthropophage, mais moi aussi, je voulais le dévorer.
Du hasard le plus malheureux naissent les plus belles opportunités. Sur le coup, comme la moitié de ce que me disait Tamyan, et cela en dépit de son Commun parfait, je n'avais pas compris.
Du hasard le plus malheureux naissent les plus belles opportunités.
*
Un homme apparait au-dessus de moi. Il me regarde avec une concupiscence affreuse, frottant son menton mal rasé. Sa main courre le long de ma cuisse, par-dessus la sangle et le tissu.
— Je vais te faire jouir une dernière fois avant qu'on te sépare le cerveau de ton corps, poupée, murmure-t-il. Les autres diront rien : c'est moi qui suis de quart.
Du hasard le plus malheureux naissent les plus belles opportunités.
Il ouvre sa combinaison, fébrilement. Sort son sexe rabougri, le frotte dans sa main deux ou trois fois. Puis il m'enjambe et se frotte sur moi, se penche pour m'embrasser.
Hasard. Opportunité.
Depuis le temps que je la secoue, seule dans la carlingue, mon entrave gauche est devenue encore plus lâche.
Hasard.
Lorsque le type glisse sa langue dans ma bouche, je le mords de toute mes forces.
Opportunité.
Il hurle, se redresse, les deux mains sur sa bouche en sang. Sans attendre, je lui donne un coup de tête. Alors qu'il s'écroule, je dégage ma main, et la referme sur son arme. Un coup, deux. Il tombe.
J'ai tué un homme.
Hasard.
Je finis de me détacher, en pilote automatique. Puis, l'arme en avant, je marche vers le cockpit.
Opportunité.
Le co-pilote dort dans la cabine : je la verrouille sur lui. Le troisième homme de mon escorte est aux commandes, me tournant le dos. Je pointe le flingue sur sa nuque.
— Bouge pas.
— Que...
— Met le cap sur Pangu, immédiatement !
Il secoua la tête, vert de peur.
— Je peux pas. L'itinéraire est verrouillé !
Je lui tire dans la jambe. Il hurle, je réarme.
— D'accord, d'accord !
— Dépêche-toi.
Il charge la carte holographique, et entre les nouvelles coordonnées. Je le surveille, tout le long du processus.
— Lorsqu'ils ne nous verront pas arriver, ils...
— Ferme-là et pilote.
Astantor est à plus de 150 h de vol. Pangu, d'où nous venons, nettement moins.
Et de toute façon, à ce stade, je n'ai plus qu'une obsession : retrouver mon fils. Avant Gerald.
Du hasard le plus malheureux naissent les plus belles opportunités.
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