Chp 10 - Faith : la glace et les ténèbres
Ynnaid Ithil, Neuvième Cour d'Ombre
Le temps, dans les royaumes ylfiques, ne s'écoule pas de la même façon que dans la réalité des humains. Sans Tamyan, sur Pangu, une nuit me paraissait dix ans. Mais ici, le soleil ne se lève jamais. Le temps s'étire, indolent, alors que je morfonds de celui qui m'est devenu aussi nécessaire que la lune ou le soleil, un soleil noir, qui hante mes nuits. J'ai besoin de lui, j'ai besoin de son sang, de sentir son parfum et de m'enfouir dans sa chevelure. C'est une nécessité vitale. Alors, je passe mes journées dans le lit immense, enroulée dans les draps de satins noirs, entre le rêve et le sommeil, à m'imaginer qu'il est là. À tel point qu'en voyant sa haute silhouette ailée apparaitre dans l'ogive sculptée de la fenêtre cette nuit-là, j'ai pensé à une hallucination.
Rizhen ne me quitte pas d'une semelle. Il dort même au pied de mon lit, enroulé dans son shynawil, son épée courbe prête à pourfendre le moindre agresseur... j'ai renoncé à le faire dormir ailleurs. Je dois accepter d'avoir cet ylfe immobile dans le velours de son manteau, ses longs cheveux blonds et l'argent de sa lame luisant faiblement à la lueur argentée de la lune – cette lune étrange que les ældiens semblaient avoir volé à la Terre.
Cette nuit, encore, Rizhen veille, dans cet état de semi-veille dans lequel les ældiens excellent. Et soudain, je vois son oreille pointue tiquer. Il est debout immédiatement, sa longue lance dans une main, son épée dans l'autre. Sous sa lame, la dague de Tamyan. Tout s'est passé si vite que je ne me suis pas aperçue que la silhouette ailée, ce mirage sombre, avait bougé... dans le silence, et le noir complet.
— Encore un peu, et tu éborgnais le prince de Dorśa, grogne Tamyan à son second.
Le « prince de Dorśa ». Notre fils... il l'a récupéré !
Rizhen recule, rengainant son sabre d'un geste souple et élégant.
— J'ai fait une erreur, ard-æl. Mais si tu ne rentrais pas chez toi comme un voleur...
— Justement, c'est chez moi, et je rentre comme je veux. Surtout sans wyrm, revenant directement d'Ymmaril.
— Par la fenêtre, donc, observe Rizhen, qui refuse de lâcher le morceau.
Tamyan n'a pas le temps de répondre. Je me suis déjà précipitée sur lui, et j'ai pris la forme qu'il porte contre lui, enroulée dans son shynawil.
Cyann. Mon bébé.
— Tamyan, soufflé-je. Tu l'as ramené !
— Je te l'avais promis, Faël, répond Tamyan. Et je n'ai qu'une parole.
Ses yeux félins luisent d'une fierté hautaine. Moi, je ne peux détacher les miens de mon fils. Il semble en pleine forme. Il ouvre ses billes azur, et les coins de ses paupières plissent de joie lorsqu'il me reconnait. Je le serre contre moi, le cœur débordant comme une fontaine.
Tamyan me regarde pleurer en silence. Laisser couler sa tristesse : une chose dont il est incapable, et dont la vue, je le sais, le réjouit grandement. Il a provoqué une émotion violente chez moi, dont il peut se repaître, la bouche légèrement entrouverte, les canines sorties d'anticipation, et les yeux brillant de cette effrayante fascination que ressentent les ylfes face à la faiblesse et la mortalité.
Pour ma part, j'ignore ce désir ténébreux que je sens monter chez Tamyan. Pour le moment. Je tâte mon fils, l'embrasse partout. Je ne peux pas croire ce que je vois.
— Sa queue, ses oreilles... tout a repoussé !
— La puissance du sang Niśven, commente Tamyan en posant un regard satisfait sur son fils. Le pouvoir de ma lignée est fort en lui. Ce sera un mâle redoutable, aussi beau et létal que la nuit. Un conquérant, un chasseur.
Je relève les yeux vers Tamyan, brutalisée comme toujours par ses traits ciselés dans une sombre perfection.
— Comme son père, en somme, raillé-je.
La distance et le sarcasme. La seule protection – bien maigre, et combien dérisoire par rapport aux armes terribles qu'il emploie – que je peux brandir contre lui.
Tamyan ne saisit pas le reproche dans ma voix. Pour lui, tout est simple : les obstacles, les ennemis et les femelles sont conquis, ou en passe de l'être.
— Si c'est ainsi que tu me perçois, bien-aimée, je suis le plus heureux des ædhil, dit-il en retroussant sa bouche cruelle et arrogante. Es-tu contente d'avoir récupéré ton enfant ?
Quelle question. Mais je sais qu'elle n'est pas rhétorique pour Tamyan. Il s'imagine devoir constamment me prouver sa valeur guerrière en relevant des défis de plus en plus ardus, et compte probablement le sauvetage de notre fils dans le lot. Sans oublier que jusqu'à récemment, il doutait de mon amour pour Cyann. Et moi-même considérais qu'il me l'avait imposé.
Plus maintenant.
— Oui. C'est le plus beau cadeau que tu m'as fait, Tamyan.
Tamyan passe son bras autour de nous, son fils et sa femme, et déplie son immense aile noire. Il la referme sur moi, protecteur, m'enfermant sous le manteau de ces plumes si douces.
— Rizhen, laisse-nous, ordonne-t-il à son second de sa voix à la fois chaude et polaire. J'ai promis une deuxième chose à ma Dame, avant de partir en guerre.
Ce soir. Ce soir, maïrea, je te montrerai à nouveau le prix que j'attache au fil indéfectible qui nous lie.
C'est ce qu'il m'avait dit ce matin-là, avant de s'envoler sur son wyrm.
Mes joues rougissent, mon corps sachant avant mon esprit ce qui m'attend. J'enfouis mon visage dans sa fourrure, un peu honteuse. Le pire, c'est que je le suis de moins en moins.
Rizhen va pouvoir passer une vraie nuit, ce soir.
*
Le lendemain, au réveil, Tamyan n'est pas dans mon lit. Une pâle créature aux yeux rouges se trouve à sa place... avec mon bébé qui babille dans ses bras.
— Votre Altesse, murmure-t-elle à mon attention en ployant le genou.
Je lui arrache mon petit des mains. Que fait-elle là ? C'est alors que je remarque sa poitrine blême, dénudée, avec le mamelon minuscule qui pointe dessus comme une fraise douloureuse, et le sang qui coule sur le menton de mon fils qui baille, repu.
Faisant écho aux sombres besoins de son père, dont je revois le visage entre mes cuisses alors qu'il me mordait férocement le pubis cette nuit... et aux miens, lorsque j'ai avalé sa queue, son sperme, et son sang, tout en même temps.
Cyann se nourrit de sang comme de lait. J'avais espéré que cela lui passerait... mais en réalité, il semble encore plus vorace qu'avant.
— Je suis la nouvelle nourrice de sang, m'annonce la blanche créature. Notre Seigneur m'a ordonné de vous servir, vous et Sa Grâce.
Une nourrice de sang. Le terme est ignoble... mais approprié.
— Sa Grâce ?
— Le prince héritier, bien sûr.
Encore cette appellation... elle me désole, car je trouve que Tamyan va trop vite en besogne. Et cela m'inquiète. À vouloir vendre la peau de l'ours...
Je reporte mon regard vers la nourrice. Ses cheveux sont blancs comme les miens. On dirait que Tamyan s'est efforcé de trouver une fynasi qui me ressemble... peut-être pour me servir de doublure, ou rassurer Cyann.
— Où est Tamyan ? lui demandé-je.
— Le maître se trouve actuellement dans la salle des armes. Je peux vous y conduire, si vous le désirez, Altesse.
Mes yeux tombent sur le collier qu'elle porte.
— Tu étais avec lui ce matin ? m'enquis-je, prise d'un sombre pressentiment.
— Bien sûr, Altesse. En votre absence, j'ai eu l'honneur de servir de petit-déjeuner à notre maître.
Il l'a mordue. Tamyan. C'est pourquoi elle porte ce collier. Et la raison pour laquelle Tamyan l'a voulu pâle et blanche comme une morte. Pour me ressembler.
— Conduis-moi à lui.
— Vous ne désirez pas vous apprêter d'abord ? ose me demander cette garce.
— Non. Emmène-moi. Tout de suite.
Je suis la silhouette éthérée dans les couloirs, vêtue de ma seule robe de chambre en soie noire. Elle ouvre une lourde porte sculptée, qui est celle du sanctuaire de Naeheicnë du palais de Tamyan, là où se trouve un portail défectueux, envahi par le lierre et les roses noires comme sur son cair, et me conduit sur une petite terrasse surélevée permettant d'assister à la scène qui se déroule devant nos yeux. Tamyan affronte deux ylfes à l'épée sur le sol dallé noir et rouge. Il est pieds nus, et ne porte pour tout vêtement qu'un pantalon moulant et un plastron en cuir laissant son ventre sans protection. Je détourne les yeux, les bras croisés. Rizhen vient me rejoindre.
— Pourquoi ne porte-t-il pas d'armure ?
— C'est la règle, dans les arènes. Les combattants doivent prouver leur engagement en n'utilisant qu'une lame et leurs armes naturelles, comme aux temps anciens.
— Est-ce qu'il a droit aux configurations, au moins ?
— Oui. Mais peu d'entre nous y arrivent, dans la fièvre du combat : cela demande beaucoup de concentration, et c'est rare que les adversaires donnent le temps nécessaire. Mais ne t'en fais pas : Tam est très fort au corps à corps.
Je peux vérifier que c'est le cas. Il domine ses adversaires. J'essaie de rester focalisée sur ma colère et ma jalousie, mais c'est difficile en voyant les muscles de ses abdominaux contractés, ses biceps bandés et sa longue crinière de soie noire virevolter comme un nuage de ténèbres. Un spectacle qui m'est d'ordinaire réservé, puisque l'étiquette ældienne n'autorise aux mâles de ne porter leur chevelure détachée que pour deux actes : la guerre, et l'amour.
Tamyan remarque ma présence. Je le vois me lancer un regard rapide, ce qui permet à l'un des gladiateurs qu'il affronte de faire glisser sa lame sur son aine. Il esquive et coince son bras sur le sien, lui déboitant vicieusement l'épaule en retour, mais il est blessé, et le sang perle sur sa peau pâle.
Il ne faudra pas que je le déconcentre lors de son combat contre Nazhrac, réalisé-je.
Les deux ældiens sont rapidement mis hors de combat. Tamyan parade nonchalamment sur l'échiquier, jonglant d'une main avec sa dague comme il affectionne souvent de le faire tout en discutant avec Nazhrac, qui a sauté le parapet pour le rejoindre sitôt son combat terminé. Il feint de m'ignorer, tout en prenant soin de mettre son corps sculptural en valeur sous un rayon de lumière lunaire, ou en passant régulièrement la main dans ses cheveux pour les ébouriffer.
Tout ça alors qu'il a bu à la gorge d'une esclave ce matin.
Il ne me laisse que le rôle d'admiratrice, de mère de ses enfants et de réchauffe-lit, m'indigné-je, la température montant dans mes veines.
En bas, les deux guerriers qu'il vient d'envoyer au tapis pansent leurs plaies d'un air morne. Il leur a mis une sacré raclée, mais je sais qu'il aurait pu faire pire. Cela doit être des chasseurs à lui : depuis qu'il est revenu à Dorśa, il a récupéré des hommes, parmi les guerriers d'Uriel.
L'un d'eux ramasse son arme qui trainait sur le sol, une longue lance de guerre à fanion. Il la soupèse d'un geste leste, puis l'arme au-dessus de son épaule, comme un javelot. Je ne comprends que trop tard que c'est dans notre direction, à Cyann et moi.
Je n'ai pas le temps de hurler. Le trait fuse à une vitesse impossible, pour être intercepté par Tamyan juste devant mon nez.
Ce dernier déploie sa haute silhouette devant moi, le sourire conquérant. Dans une main, il tient la lance, et dans l'autre, le meurtrier. Qui, en moins d'une seconde, ne font plus qu'un.
— Qu'as-tu pensé de mon combat ? susurre-t-il tout en achevant d'étrangler le malheureux qui agonise, transpercé par sa propre lance. As-tu aimé ?
Je déglutis, encore sonnée. Comment fait Tamyan pour être aussi rapide ? Je ne l'ai même pas vu sortir ses ailes, qu'il est déjà en train de replier.
Je jette un œil à l'esclave, qui, les mains jointes en adoration, n'a d'yeux que pour lui, éperdue.
Une rivale folle de lui, comme l'étaient Dasma et les autres. Et qui m'oblige à jouer serré.
— J'ai adoré, seigneur de mes nuits, réponds-je avec un sourire sarcastique. Sauf la fin, quand on a essayé de me tuer.
Tamyan rejette le corps loin de lui, sans même le regarder. Rizhen accourt et lui met une serviette dans les mains.
— C'est le signe que tu deviens importante, m'explique Tamyan avec nonchalance, en épongeant ses pectoraux éclaboussés de sang. Les puissants sont sans cesse la cible d'attaques de ce genre. Quand je vivais à Ymmaril, j'étais la cible d'une tentative d'assassinat chaque jour.
Je laisse mes yeux trainer sur la musculature superbe de Tamyan. J'ai l'impression que cela fait une éternité que je ne l'ai pas vue, alors que quelques heures à peine encore, j'avais cette œuvre d'art sous les yeux.
Ne le laisse pas te charmer. Tu es en colère contre lui. Il ne peut pas tout avoir.
— Charmant... j'espère que cela n'arrivera pas à notre fils.
Tamyan détourne le regard, soudain ennuyé. Il jette la serviette par terre d'un air agacé, manquant de bousculer le sluagh qui se précipite pour la ramasser.
— Je vous protégerai, comme je l'ai fait aujourd'hui. Et je te l'ai déjà dit : quand j'aurais atteint le sommet du pouvoir, tu ne craindras plus rien ni personne, Faël.
— J'espère que tu dis vrai.
D'un bout de son index, il relève mon menton vers lui.
— Tu ne devrais pas douter de moi, maïrea. J'ai toujours tenu ma parole.
— Presque, murmuré-je du bout des lèvres.
Je ne voulais pas que ça sorte. Mais je l'ai dit.
— Presque ? demande-t-il en levant un sourcil.
Il est contrarié. Je le sens à la tension qui vient d'emplir l'air entre nous, plus coupante encore que quand il combattait, ou égorgeait cet assassin.
— Mila, dis-je en vissant mon regard dans le sien. Tu m'avais promis que tu la sauverais.
Tamyan me fixe en silence, d'un air si sombre que je sens les cheveux sur ma nuque se hérisser. Il n'aime pas que je lui rappelle ses échecs.
— Si tu ne t'étais pas enfuie, cette fois-là... je t'aurais offert Mila. Si mes chasseurs ne s'étaient pas rebellés, j'aurais été en position de force pour négocier.
— Mais tu m'aurais tuée, Tamyan.
— Non, jamais, Faël. Je t'aurais faite mienne, oui. Tu aurais été un joyau chéri, une rose noire traitée avec les meilleurs égards. Ma possession la plus précieuse. Comme lorsque tu seras reine.
Je sais parfaitement qu'il m'aurait vidée de mon sang. Il refuse de le reconnaître. Mais c'est du passé, et il y a plus urgent.
— Ta « possession »... tu continues à utiliser ce mot pour qualifier notre relation.
— Nous sommes liés par les chaines de la possession. Pourquoi refuser de le reconnaître ? Il me serait insupportable de te partager avec un autre, comme ce... Ger-ald, que j'ai massacré... (Sa lèvre se retrousse sur ses canines ivoirines.) Et toi, tu ne supporterais pas plus de me partager avec une autre femelle. Ai-je tort ?
— Non. Tu as raison. Tout comme je ne supporte pas que tu boives le sang d'une autre femme que moi, qu'elle soit fynasí, ou autre.
Tamyan sourit. C'est ce qu'il avait envie d'entendre.
— Es-tu jalouse, maïrea ?
— Non. C'est juste que je ne veux pas que tu me rejoues l'acte I, l'époque où tu saignais une concubine différente par nuit, sous mon nez, en m'imposant ensuite de les soigner, et qu'elles me contaient par le menu détail le plaisir inouï qu'elles avaient soi-disant ressenti dans tes bras, alors que tu les tuais à petit feu.
Tamyan arque un sourcil.
— Soi-disant ?
— Ne joue pas sur les mots, répliqué-je durement. Tu sais parfaitement l'effet que cela fait à une proie intoxiquée par ton luith lorsque tu la vides de son sang. Elles jouissent comme des folles.
Il baisse les yeux et sourit, ses longs doigts jouant dangereusement avec les bouches de mes cheveux.
— Tu me flattes... Es-tu nue, là-dessous ?
— Non, je t'ai piqué une côte de maille en mithrine. Justement pour éviter que tu en profites comme tu le fais présentement.
Le carillon sombre de son rire ricoche sous les arcades en marbre.
— Je pourrais te prendre ici même, devant Rizhen, tous ces chasseurs qui attendent leur tour au fond du temple, et devant cette aslith insignifiante que tu jalouses tant... chuchote-t-il à mon oreille, sa main glissant sous la soie de mon caftan. Tu joues avec le feu, Faël. Tu ne sais pas à quel point la fièvre du combat enflamme mon sang. J'ai toujours envie d'une femelle, après avoir tué un rival.
— Un rival ? demandé-je, ma voix tremblant malgré moi.
Mon entrejambe est trempée. Je me hais d'avoir autant envie de lui, et surtout, qu'il le sache et en joue aussi effrontément.
— Oui, un rival, ronronne-t-il en plongeant sa main entre mes cuisses moites. Comme Haroun, comme Ger-ald. Un ennemi présomptueux qui veut atteindre à mes possessions. Alors que tu es à moi, Faël. Rien qu'à moi. Et que je peux faire ce que je veux de toi. Te baiser sauvagement sur cette rambarde, après avoir ordonné à cette esclave de se tenir à genoux, prête à te servir. J'aurais aimé te saillir devant Ger-ald, pour bien lui rappeler sa juste place, mais il est mort, malheureusement.
Ses crocs sont complètement sortis de leur gaine de chair. Je sais qu'il est dur, également. Je le connais tellement... rien ne l'excite plus que la perspective qu'un autre lui ravisse sa proie, et la domination incontestable qu'il exerce sur elle.
En l'occurrence, moi.
— Ah, Faël... murmure-t-il en effleurant le creux de mes reins. Si tu savais... tous les soirs, je prenais ces femelles dans ma couche en me consumant de désir pour toi. Mais je refusais de le reconnaître. Et toi, tu jouais si habilement avec mes sentiments, déjà ! Une véritable petite louve, qui se découvrait des griffes fort longues...
— J'essayais juste de survivre, Tamyan, réponds-je, la gorge sèche.
— Mais moi aussi. Tous les jours, Faël... embrasse-moi.
Un baiser en public... nous sommes sur son fief, certes, mais je sais qu'il s'agit d'une grave entrave à l'étiquette dorśari. Une marque de faiblesse, ou au contraire, de toute puissance. Je ne crains rien ni personne, car vous êtes trop faibles pour m'atteindre. Voilà le message qu'il veut renvoyer.
Tamyan pose son front contre le mien.
— Pas le temps de retourner dans notre chambre, murmure-t-il. J'ai très envie de jouer un autre jeu avec toi. Quand tu m'as appelé « seigneur de tes nuits »... ça a éveillé quelque chose en moi. Quelque chose d'ancien et d'affamé.
Il ne me laisse pas le loisir de m'interroger sur ce qu'il a en tête. Déjà, Cyann est remis dans les bras de la « nourrice de sang », et l'instant d'après, je suis soulevée de terre, transportée sous les arches monumentales du temple par Tamyan. Alors que la perspective se renverse, j'aperçois Rizhen qui fait mine de ne rien voir, tout en sachant pertinemment ce qui va se passer. Pour ma part, j'en suis moins sûre. Où Tamyan m'emmène-t-il ? Que compte-t-il faire ? Lorsqu'il passe l'immense terrasse ouverte sur le glacier, je laisse échapper un cri de terreur. Mais il resserre sa prise autour de ma taille, me collant étroitement contre lui. En sentant des serres plus épaisses et impitoyables encore que ses griffes habituelles presser ma chair, je me rends compte qu'il a changé de forme, à nouveau. Une fourrure dense couvre son bas-ventre, noire comme ses cheveux. Les oreilles pointant hors de sa chevelure bleutée me paraissent encore plus effilées. Ses yeux sont écarlates, sans pupille. Ses crocs sortis dépassent sur sa lèvre inférieure, comme deux crochets de perle sur un velours rouge et sensuel. Tamyan est devenu une stryge superbe et monstrueuse, comme cette fois où il a attaqué Gerald, justement.
Et il s'envole de plus en plus haut, au-dessus des montagnes enneigées et des pics vertigineux, jusqu'aux étoiles qui luisent sur le dais nocturne comme des rubis.
Il me serre plus étroitement contre ses hanches et son ventre nu, aussi dur et blanc que du marbre. Quelque chose vient s'enrouler autour de ma cheville, forçant ma jambe à s'ouvrir. Une longue queue fine et noire, comme un lasso. L'une de ses mains noires aux longues griffes saisit mes fesses, les pétrissant et les ramenant à l'endroit qui l'agrée. Et je sens bientôt sa verge dressée et enduite de luith à l'entrée de ma fente, elle aussi trempée et ouverte pour lui.
— Crie pour moi, murmure Tamyan du ton le plus sombre et rauque qu'il a en magasin. Ici, personne ne peut nous entendre.
Sous cette forme, sa voix a un éclat sépulcral qui fait froid dans le dos. Mais ce timbre râpeux et cassé m'a toujours fait un effet monstrueux. Tout comme l'instrument vivant qui l'émet. Même sous cette forme... presque plussous cette forme, oserai-je dire.
Puis soudain, je sens la morsure de sa pénétration... et celle de ses dents, conjointement. Il me transperce, et me mords, tout cela en volant à une hauteur impossible.
Mais la jouissance annihile toute ma peur. L'écho de ses sensations inouïes se répercute le long des pics muets, dans l'immensité du vide : tranchantes comme le froid qui brûle ma peau, chaude et douce comme la fourrure qui me protège du gel immédiat, brûlante comme sa double morsure, ses crocs qui fouillent ma veine et le pal d'acier du sceptre de chair qui m'écartèle. Des sons évoquant le craquement des glaciers et la magie noire. L'union de la glace et des ténèbres, de la sorcière insatiable, assoiffée de sexe et de sang que je suis devenue, et du démon ténébreux qui me fournit mon poison.
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