Part 3 Chp 10 - Tamyan : infiltration
Porte de la Nouvelle Arkonna, orbite de Jupiter, système de Solaris
Debout devant la baie, je regarde la barge de sortie s'éloigner du vaisseau. Bientôt, elle est indiscernable à l'œil nu. Le portail, lui, est juste derrière nous. Et devant, au loin, se dessine le gigantesque globe orange de cette planète que les humains appellent Jupiter. La station de New Arkonna se découpe juste devant, minuscule cube noir.
Tout ce que font ces humains est si laid. Et pourtant...
— Vaisseau non identifié en approche, m'informe la voix du vaisseau.
Une personnalité électronique pré-enregistrée, ne comptant que quelques routines de comportement. Les navires adannath n'ont pas d'âme. Mais pour un ædhel, même comme moi, toute vie possède une forme d'énergie. Ce vaisseau y compris. Je m'y suis un peu attaché, mine de rien.
— Je te souhaite une bonne fin de voyage, murmuré-je en rabattant ma capuche sur ma tête. Puisses-tu atteindre les confins de l'espace.
Peut-être même que ce vaisseau trouvera Tyrn-ann-nagh.
Avec ce shynawil de camouflage, je me fonds dans n'importe quel environnement mal éclairé. Aux yeux limités des adannath, ça suffira.
Et évidemment, le vaisseau ne me répond pas.
*
Un choc sourd. Puis, quelques instants plus tard, les étincelles jaillissent, vertes et or, alors que les humains découpent la porte. Le couloir, comme le reste du vaisseau, est plongé dans le noir. Dissimulé par ma cape de camouflage, j'attends contre le mur, silencieux, les bras croisés. J'ai coupé tous les systèmes et la température est descendue à moins 150°, comme l'indique le petit thermomètre indépendant sur le sas. Il n'y a presque plus d'oxygène, ni de gravité artificielle.
La porte tombe lourdement. Des silhouettes flottantes s'engouffrent lentement : ils portent tous des armes et des torches.
— Il fait noir comme chez le diable, ici, grogne l'un d'eux dans son scaphandre. Amenez la grosse lampe !
Un soldat les précède, canon en avant. Je les observe en silence. Je peux rester un certain temps sans respirer, à condition d'économiser mes forces. Et bien sûr, le froid extrême n'est pas un problème, pour un dorśari. J'y suis habitué, et mon shynawil me protège.
Faudra pas que ça dure trop, quand même.
Mon shynawil, qui a connu des jours meilleurs, est troué.
Je les laisse explorer le vaisseau vide. Quand ils ont tous disparu dans le couloir, je m'engouffre dans leur sas. C'est difficile de progresser sans se dévoiler : j'accroche mes griffes sur les aspérités des parois, et cela fait un certain bruit. Heureusement, il n'y a plus personne pour l'entendre.
De l'autre côté, le sas est fermé. Je suis obligé d'attendre que ces hommes reviennent.
— Équipe d'exploration, revenez, entends-je crépiter sur le sas. On a trouvé quelque chose d'étrange sur la caméra thermique. Et les capteurs chimiques ont discerné une espèce de substance volatile inconnue.
Je tends l'oreille, soudain en alerte.
Rhach. Ils ont utilisé une caméra thermique...
Les hommes repassent en flottant devant moi.
— Qu'est-ce qui se passe ? On n'a rien trouvé, dans ce vaisseau. Il est complètement vide ! Vous parlez d'une menace d'ordre bactériologique ?
Un autre grommelle.
— Ouais, ça craint. Ça me fait penser à ces histoires de bâtiments réapparus de nulle part, entièrement vides... J'aime pas ça.
— Revenez, leur ordonne à nouveau la voix par le moniteur du sas. On va analyser tout ça.
— On dégage !
La porte métallique s'ouvre. Je me faufile dedans, emboîtant silencieusement le pas aux hommes.
*
Je n'attends pas de connaître le résultat de leurs analyses. De toute façon, je sens que leur vaisseau s'est déjà éloigné du mien : ils fuient comme des lâches, ce que j'avais anticipé (un chasseur ædhel se serait, lui, emparé du vaisseau.) Je pars dans la direction opposée et m'enfonce dans les entrailles de leur vaisseau, loin des quartiers d'habitation. Je vais rester planqué jusqu'au dockage à la station, puis descendre discrètement par la soute. Caché dans une alcôve de la salle des machines, à l'abri derrière une grille que j'ai retirée puis remise en place derrière moi, je rabaisse mon shynawil, le tasse pour m'en faire un oreiller. Il fait plus chaud, ici. Les machinent ronronnent, diffusant une douce tiédeur. Je me cale en boule contre l'une d'elles et m'endors.
*
— Il parait que tu me ressembles comme si tu étais mon propre fils. Mais je n'ai pas de fils. Que des frères, des cousins, et des neveux, comme toi. Autant de wurgs aux dents longues qui convoitent ma place.
Fornost-Aran est immense. La légende dit qu'il est la réincarnation d'Adhamu, d'Asvgal, et de tous les Niśven les plus glorieux, à l'exception, peut-être, de Naryl-Crinière-Noire, trop réformateur pour être populaire à Ymmaril. C'est la première fois que je vois notre roi sans le terrible masque qui nous dissimule sa face. Je ne trouve pas que je lui ressemble. Son visage est entièrement brûlé, sous son masque d'airain. Je commets l'erreur de le lui dire. Mon père me le disait, avant sa disgrâce : « Tu as toujours été trop franc pour ton propre bien, mon fils. »
La voix grave et rauque du tyran résonne dans l'immense pièce, jusqu'aux voûtes qui s'élancent vers le ciel noir et rouge d'Ymmaril.
— Non ? Mais tu me ressembleras, enfant de traitre. Lorsque le feu des wyrms aura emporté ta ténébreuse beauté, tu me ressembleras. Aucun mâle ne peut outrepasser l'Ombre du Síd. Même pas toi, Tamyan, fils d'Uhran dont bientôt, tous auront oublié le nom.
*
— Attention... il ouvre les yeux !
Des humains. Toute une escouade, devant moi. Je fronce à peine les sourcils que le métal froid d'un collisionneur à neutrons vient me percuter le nez.
— Bouge pas, l'ylfe ! hurle la voix du troufion qui me met en joue. Sors de ton trou doucement !
Je ne peux qu'obéir. Lentement, je m'extirpe de ma cachette. Je déplie ma haute silhouette, le regard posé sur ces faibles créatures, ces inférieurs. Ils ressemblent à des enfants étonnés, qui me regardent avec stupeur, la bouche ouverte. Sauf les quelques soldats. L'un d'eux fait presque ma taille. Un légionnaire.
— Colle-toi contre le mur ! Si t'oses bouger une des tes sales oreilles pointues, je te bute !
Rhach. Comment ai-je pu me faire avoir à ce point ?
Ils ont deviné ma présence. Sûrement à cause des capteurs thermiques. Et des trous dans mon shynawil. Normalement, le manteau de camouflage fait écran à tout : température, intempéries, vision. Mais le mien, au terme de toutes ces péripéties, est très abimé.
Il m'en faudra vraiment un autre... si je sors d'ici.
D'une pression de son arme sur mon épaule, le soldat me force à me mettre à genoux.
— Docile, l'ylfe. Tu es notre prisonnier. Si tu te tiens tranquille, on n'aura pas à te faire plus de mal que prévu.
Du mal ? Il me ferait presque rire.
Sans bouger, je lui coule un regard oblique. L'un des soldats grimace.
— P'tain, ce regard tout noir... il me fait froid dans le dos !
— Surveille ce que tu dis devant lui, le tance son collègue, un peu moins idiot.
— Y comprend pas notre langue ! C'est qu'un alien, une créature exogène.
— On n'en sait rien. Il a peut-être appris le Commun avec l'un de leurs captifs. Les survivants de Padma ont raconté que ces saletés savaient prononcer quelques mots.
Oh oui. « Jure allégeance à ton nouveau maître », et « à quatre pattes, esclave » : tous mes chasseurs savaient le dire.
— Les saloperies ! crache l'homme. Ce qu'ils ont fait à ces putains de malheureux, là-bas... Faudrait tous les éliminer !
— Je crois que c'est prévu. Allez, on va l'entraver.
Lorsqu'il fait mine de me passer un vil collier, je ne peux pas m'empêcher de gronder. C'est plus fort que moi. Personne ne m'attachera. Plus jamais.
— Rentre tes crocs, le monstre ! aboie le soldat en me donnant un coup avec son arme.
La patience n'a jamais été ton fort, Tam, disait Rizhen.
Il avait raison.
Je me jette sur cet humain impudent. Tout ça pour être mis hors d'état de nuire, immédiatement. Au moment où le soldat me sort de l'arène d'une seule impulsion électromagnétique, je suis trop stupéfait pour penser.
Depuis quand les humains sont-ils devenus une telle menace ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro