Part 3 Chp 1 - Tamyan : la femelle orc
Contre toute attente, le vaisseau d'Ilvar vole. Yvarna a négocié avec lui un chargement de carburant, parmi quelques menus agréments. Mais ce n'est pas tout. Elle nous a aussi collé un membre de sa secte, un de ses adeptes... qui est censé nous aider à trouver Śimrod.
Une femelle orcanide. Grande, musclée, la peau plus noire que mes cheveux. Ses crocs sont au moins aussi impressionnants que ceux de Rizhen.
— Allez les gars, vous allez pas rester plantés là ? nous apostrophe-t-elle le soir du décollage. On a du travail à faire !
Je reste immobile, les bras croisés, la fixe par en-dessous. Hésitant à la plaquer contre la paroi du sas pour lui apprendre la hiérarchie... sauf que je ne suis pas sûr de remporter le bras de fer, avec elle.
Et Rizhen est là. Et je veux le garder en bonnes dispositions : malmener une femelle est hors de propos. Même si l'orc en question est une guerrière qui fait la même taille que lui, et traîne une épée qui pourrait servir de banc à toute une compagnie.
— Je l'appelle le Hachoir, nous apprend-t-elle en tapotant le manche qui dépasse sur son dos. Pure mithrine volcanique, aussi lourde que les couilles que ton père. Et je sais m'en servir. À la moindre tentative d'un de vous d'eux... je lui tranche les bijoux de famille. C'est compris ?
— Tentative de quoi, au juste ? demandé-je pour la forme.
L'orc me fait un clin d'œil, puis me zyeute de haut en bas, rictus narquois et crocs apparents. Difficile de faire plus insolent que ce regard. C'est presque une provocation.
— Fais pas c'ui qu'a pas compris... Je sais comment sont les mâles. J'en ai deux à la maison !
Les pauvres.
— Tu as une famille, et tu pars dans une quête insensée avec deux ennemis héréditaires de ta race ?
Nouveau coup d'œil provocateur.
— Ordre d'Yvarna. Et à Urdaban, chéri, ce sont les femelles qui partent à l'aventure pour nourrir le cheptel. Pas comme chez vous les ylfes, avec vos dames à longues manches qui attendent le retour de leur prince en soupirant sur leurs griffes laquées !
— Les longues manches ne sont plus à la mode depuis la fin du règne de Tintannya, rétorque Rizhen, toujours aussi premier degré. Et il n'y a presque plus de dames à Ymmaril. Les ellith sont devenues rares, ces derniers millénaires.
— Elles en ont sûrement eu marre de vous ! s'esclaffe notre nouvelle coéquipière. M'est avis qu'elles se sont toutes barrées à Tyrn-an-nnagh. C'est ce que j'aurais fait, moi, si on m'avait entourée de pâles gringalets dans votre genre !
Je me force à garder l'air impassible. Mais j'ai failli rire : c'est un fait.
Il faut reconnaître que cette orc fait montre d'une grande force de travail. Elle charge les caisses à bord comme s'il ne s'agissait que de balles de soie kharie, les unes après les autres. Quand elle a fini, elle se précipite au poste de pilotage. Je l'arrête tout de suite.
— Faut que tu comprennes que c'est moi le commandant, ici. Rizhen est mon second. C'est donc moi qui va piloter – avec son assistance. C'est bon pour toi ? Je veux que tu intègres ça. Sinon, tu peux repartir et dire à Yvarna que je n'ai pas besoin de son aide. Ce qui est vrai : je n'en ai pas besoin.
— Ça va, grogne-t-elle, on m'a mis au parfum... Mais tu sais démarrer ça ? C'est un astronef de fabrication adannath.
— Ne t'inquiète pas pour moi, souris-je en réponse. J'ai l'habitude des adannath.
L'orc me balance un coup d'œil en biais.
— Ouais, c'est ce que j'ai cru comprendre... Qu'est-ce que vous leur trouvez, au juste, à ces demi-portions ?
— Des attraits que toi, tu n'auras jamais, répliqué-je avec un sourire méchant.
L'orc ne se laisse pas démonter. Elle me toise de haut en bas.
— Quand ton skryll pourra remplir la moitié de ma salle des fêtes, on en reparlera. En attendant, tu te le cales sous l'coude, vu que t'en as qu'un !
Cette fois, j'éclate de rire. Rizhen, derrière, a les oreilles écarlates.
— Qu'est-ce qu'elle est vulgaire... murmure-t-il en s'installant au poste de pilotage. On va vraiment devoir la supporter pendant toute cette quête ?
— J'en ai bien peur, Rizhen, répondis-je, le doigt sur le bouton des rétrofusées.
Le moteur à plasma ronronne, bruyant et puant comme toute la technologie adannath. Mais il fonctionne : c'est le principal.
*
— Je pense que le plan serait meilleur si on allait d'abord chercher Faël, dit Rizhen devant la carte qui s'affiche devant nous, terriblement plate. Śimrod a disparu il y a plus de dix mille ans... Comment veux-tu qu'on le trouve ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
— Justement. Tu sais bien comment les humains nous arrêtaient, sur Ælba. En nous jetant un sac de millet en grain, ou une botte de foin.
Aucun ædhel ne résiste à l'impulsion de compter les petits objets. D'où cette manie venait, je l'ignore. Mais c'était une obsession bien connue des mères ældiennes, qui usaient volontiers de ce subterfuge pour occuper leurs petits turbulents... à l'époque où elles pouvaient en avoir, du moins.
Faël. Yvarna a dit qu'elle était enceinte... Cela me paraît incroyable. Quand je pense aux difficultés qu'on a eu avec Alyz pour donner naissance à un enfant mort-né... avec Faël, ça a marché du premier coup. La fertilité de ces humaines n'est donc pas une légende. C'est d'autant plus sidérant que les siens la disaient stérile.
Bah. Son corps n'était pas prêt à accueillir la semence de n'importe quel mâle insignifiant, c'est tout. Elle attendait son as-ellon. Moi, un prince ædhel, dernier descendant d'une noble et millénaire lignée.
Mais ce moment d'autosatisfaction ne dure pas. Quelque chose, dans cette suite de pensées, me tracasse. Qu'est-ce que ça peut bien être ? Je repasse tout en revue pour mettre le doigt dessus. Faël est enceinte de moi, mettant fin à une longue série de prétendants insignifiants. Elle attendait le bon mâle. Le bon mâle... le bon mâle.
Soudain, je réalise. Cela me frappe comme un éclair.
Faël aura besoin d'un mâle pour faire vivre sa portée. Si elle ne l'a pas déjà trouvé...
Je laisse Rizhen sur place et descend quatre à quatre dans la soute, en bondissant par-dessus la rampe de cet escalier si peu pratique. Dans ce vaisseau, tout est aux dimensions adannath : l'escalier, les couchettes, et les fauteuils.
— L'orc, lancé-je à notre nouvelle recrue. Tu as déjà eu des petits ?
— J'en ai eu un seul, il y a longtemps, grogne-t-elle, méfiante. Un fils, qui attend sagement mon retour avec son père. Pourquoi ?
Rizhen s'est rapproché en silence. Je le vois attendre au-dessus de la cage d'escalier, les oreilles dressées à l'écoute.
— Combien de temps as-tu attendu entre la première et la seconde insémination ?
— C'est personnel ! aboie-t-elle, soudain sur la défensive. Qu'est-ce qu'un mâle a besoin de savoir ça ?
— La femelle de l'ard-æl est enceinte, lâche Rizhen sans aucun respect pour ma vie privée, à moi. Il s'inquiète de ne pas arriver à temps pour la seconde insémination...
L'orcanide se détend tout de suite.
— Oh ! Il fallait le dire avant. Si ce n'est que ça... Pas de soucis à avoir : elle trouvera un autre mâle pour finir la portée. L'instinct de vie est fort, dans ces cas-là.
Je sens mes mâchoires se contracter. L'instinct de vie. Elle appelle ça comme ça... Je me souviens de l'empressement d'Alyz à s'offrir dans notre khangg, toutes les nuits, sa soif et son ardeur lors des ébats. Elle était insatiable.
— Tu penses qu'elle osera se donner à un autre ? grincé-je.
— Bien sûr. C'est la nature... qu'est-ce que vous croyez, vous, les ylfes ? Mannu a conçu les femelles pour qu'elles aient plusieurs mâles. Surtout celles qui en ont un qui court l'aventure partout, comme toi ! Que fais-tu ici, alors que ta femelle a besoin de toi ? Ne t'étonne pas si elle vient quérir les services d'un autre pendant que tu t'amuses dans l'Autremer. Les petits auront tous une robe différente, c'est tout. J'espère qu'au moins l'un d'eux tiendra encore de toi !
Mon poing ganté d'iridium s'écrase dans la paroi du vaisseau, il laissant une marque concave. Mais ça ne m'a pas calmée, et cette orc de malheur secoue la tête.
— Les mâles, murmure-t-elle avant de retourner à ses activités de déchargement. Tous les mêmes !
*
— Elshyn, ton frère de sang, lancé-je à mon second. Faut que tu le contactes. Il doit savoir, pour Śimrod, lui.
On est toujours en orbite du portail d'Urdaban. Il nous faut plus d'infos avant de choisir de l'emprunter à nouveau, ou pas.
— J'y avais pensé, murmure Rizhen en réponse.
— Alors pourquoi ne l'as-tu pas proposé d'entrée de jeu ?
— Je pensais que tu n'aimais pas les filidhean...
— La donne a changé. Contacte-le.
C'est vrai que je me suis toujours méfié de ces bardes-assassins. On ne peut pas vraiment compter sur eux. Ils sont reçus dans toutes les Cours, amies ou ennemies, indistinctement.
— Chaud devant !
L'orc arrive, une énorme marmite dans les bras. Elle la pose lourdement sur la table.
— Fricassée de gibier aux pommes de cactus, avec leurs épines, annonce-t-elle. Une de mes spécialités ! Vous m'en direz des nouvelles.
— Qui t'a ordonné de faire la cuisine ? demandé-je en levant un sourcil.
Je me tourne vers Rizhen. Il secoue la tête, très vite.
— Personne, répond l'orc. Mais je me doute bien que c'est pas deux culs princiers comme vous qui la ferez... et moi, j'aime manger. Dépêchez-vous, ça va refroidir. À moins que vous préfériez que je vous serve comme le faisait môman ?
— Riz n'a pas connu sa mère, rétorqué-je froidement. Quant à la mienne, elle m'a poussé dans un lac de sulfure pour m'apprendre à nager.
— Pauvre petits, ricane la cuisinière. Bon alors, qui je sers en premier ? Le chef, ou son second ?
Je fais un geste vers Rizhen. Je n'ai pas faim, et cette popotte aux remugles grasses ne me dit rien qui vaille.
— C'est quel sorte de gibier ? demande Rizhen en tendant son assiette.
Je le trouve bien confiant.
— Rien que t'aie envie de savoir, mon grand. Mais ça va te requinquer, tu vas voir. Dans une lune, tu seras épais comme un jeune orc !
Un ragout doré tombe dans l'écuelle de Rizhen. De la vaisselle humaine, qui se trouvait sur le vaisseau. Il se trouvait également quelques rations adannath à bord : finalement, Yvarna a été bien inspirée en nous envoyant cette guerrière orc et les provisions qu'elle a chargées.
— Toi aussi chef, faut que tu manges.
Je lève la main pour l'arrêter, le menton toujours posé sur mon poing.
— Non merci.
— Fais pas le sale garnement. Quand mon fils voulait pas grailler, je lui enfonçais la tête dans le chaudron. C'est ce que tu veux ?
Je lui jette un regard noir. Elle insiste encore :
— T'es pâle comme un cul, et tout maigre... les femelles, mêmes humaines, aiment les mâles forts, en bonne santé. Qu'est-ce qu'elle va penser ta chérie, si t'es incapable de tenir la durée ? Je te rappelle que faudra l'inséminer presque tous les jours.
Je finis par céder en soupirant. Ce n'est que je suis sensible à ses arguments, mais je veux qu'elle la ferme.
Cela dit, sa cuisine n'est pas mauvaise. Un peu grasse et osseuse, mais pas mauvaise. Réconfortante, et relevée comme il faut.
Une fois qu'on a terminé – Rizhen s'est même resservi -, elle débarrasse.
— Voilà. Ce soir, vous aurez du gwidth avec. Cuvée maison ! Macéré dans la bouche, à l'ancienne.
Rizhen me jette un regard alarmé. Normalement, le gwidth traditionnel est préparé dans la bouche fraîche et pure de jolies femelles vierges.
Mais il ne proteste pas. Au fond de lui, il est sûr et certain que ce gwidth sera exceptionnel, comme moi.
*
Quelques heures plus tard, Rizhen vient me trouver. Je suis toujours assis sur le fauteuil du commandant, mes bottes sur le tableau de bord et les yeux rivés sur les profondeurs de l'espace. Que fait Faël en ce moment ? Voit-elle les mêmes constellations que moi ?
Le sas s'ouvre avec un chuintement métallique.
— Elshyn a répondu, m'annonce Rizhen.
Je le laisse développer.
— Il est d'accord pour nous rencontrer, en terrain neutre.
— C'est-à-dire ?
— Son vaisseau.
Rizhen me fixe, dans l'expectative. En effet, l'idée ne m'enchante guère. Me rendre, presque seul et désarmé, dans le repaire des assassins les plus redoutés des Vingt-et-un Royaumes... Si l'un de mes cousins a mis un contrat sur moi, ce sera forcément l'un de ces bardes-tueurs qui aura reçu la commande.
Mais on n'a pas le choix. Les filidhean sont toujours au courant de tous. S'il y en a qui ont une petite idée de qui est Śimrod, ce seront eux. A fortiori si Śimrod est vraiment l'Aonaran.
— Donne-lui nos coordonnées, murmuré-je. De toute façon, on n'a plus rien à perdre.
Rizhen hoche la tête. Puis il repart, se heurtant au passage à la haute silhouette de la femelle orc.
— Śimrod ? Vous avez bien dit Śimrod ? demande-t-elle, un torchon dans ses grosses mains.
Je fais pivoter mon fauteuil dans sa direction.
— Tu le connais ?
— Tous les orcs le connaissent, répond-elle, renfrognée. C'est une légende, chez nous.
— Yvarna pense qu'il est l'Aonaran. D'ailleurs, elle pensait que tu nous aiderais à le trouver. Mais, comme je l'avais pensé, tu ne sais pas où il est.
L'orc secoue la tête.
— Tout le monde raconte qu'après la trahison de Tintannya, il a quitté ce monde pour Tyr-an-nnagh. Il n'est plus ici. Personne ne peut le trouver. Et il n'est plus Aonaran. Il a brisé son masque.
— Plus Aonaran ? C'est possible, de se débarrasser de cette charge ?
— À condition de trouver un remplaçant, oui. C'est difficile, parce que personne ne veut prendre ce rôle. Et il ne peut être porté que par des êtres au cœur très pur, très disciplinés. Qui doivent aussi posséder les plus grands talents martiaux.
— Mmh... encore une aiguille dans une botte de foin. Tu sais quand il a passé la main ?
— Oh, il y a très longtemps. C'est que ma mère racontait... et sa mère avant elle, et ainsi de suite.
Des rumeurs, donc. On n'est pas plus avancés qu'avant.
— En tout cas, conclut l'orc, vous ne pourrez jamais trouver Śimrod. S'il était encore parmi nous, les orcs se seraient rebellés. Et il n'aurait pas laissé le monde s'effondrer comme ça. Śimrod, c'est un symbole. Le symbole de notre liberté.
Śimrod. Et son fils Silivren... des agents du chaos, du changement. Sur lesquels il est impossible de mettre la main.
L'orc me tourne le dos, faisant mine de repartir. Je l'arrête dans son élan.
— J'ai une dernière question.
Elle me jette un regard peu amène par-dessus l'épaule.
— Quoi ?
— Ton nom. Je ne le connais pas.
Son visage se détend tout de suite. Lorsqu'elle sourit, elle est presque belle.
— Par les couilles d'airain de Naeheicnë ! Je me demandais quand est-ce que tu me le demanderais.
— Je te le demande, maintenant, plaisanté-je, la joue appuyée sur le dos de ma main.
L'orc met un genoux au sol.
— Je m'appelle Tymyr, du clan des Hurleurs de Lune. À ton service, ard-æl !
— Tamyan As-Vyr Niśven. Mais ça, je suppose que tu le savais déjà.
— Niśven, oui. Impossible de se tromper avec cette chevelure. Mais je ne savais pas que tu avais un second prénom aussi sexy. Si tu es sage, je t'autoriserai peut-être à venir dormir dans ma couche, de temps en temps ! Juste, ne le dis pas à mon gros balourd de Kharwar. Il est susceptible, depuis qu'il a perdu dans l'arène. Il a récolté une sale blessure, et peut plus travailler... ça l'embête un peu que je sois obligée de le faire, même s'il se sent aussi redevable à Yvarna. C'est grâce à elle qu'il a pas crevé au charnier !
Triste histoire, débitée sur le ton de la rigolade. On ne verra jamais un orc s'apitoyer sur lui-même... Je la prends au jeu, pour voir.
— Kharwar ne sait pas qu'il est normal de servir son ard-æl ?
— Pour un ylfe, il dira peut-être rien ! s'amuse Tymyr.
— Bon. J'y penserai, à l'avenir.
— Te gêne pas. Vous pouvez y aller à deux, avec ton petit second. Il est mignon, dans le genre coincé !
— Je lui passerai le message, réponds-je, le sourire large.
Tymyr éclate de rire et repart dans le couloir, son torchon sur l'épaule. On a vu plus féminin. Mais je commence à bien l'apprécier, cette femelle orc.
***
(Comme vous le voyez, je n'ai pas pu résister, et je continue d'updater... bon, on va dire que plus vite je l'aurais fini, plus vite je pourrais me concentrer sur les tâches obligatoires ! ^^')
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