Varma se prépara à reprendre ses passionnants entretiens avec l'ældien. Ce Ren faisait montre d'une intelligence et d'une subtilité étonnante pour un organisme aussi éloigné de l'humain.

Le grand moment était venu. Cette fois, elle l'avait fait attendre des heures, tout en mettant à sa disposition une grande piscine d'eau chaude, dans laquelle flottait une luxuriante végétation aquatique. Les tempêtes faisaient toujours rage dehors, laissant de grandes traînées de glace teintées de chlorure de sodium sur les bâtiments qui évoquaient les reliques de quelque gigantesque bataille céleste. L'intérieur de l'habitacle, lui, était chaud, doux et rouge comme un utérus, pulsant d'une vie propre.

— Unissez-vous avec moi, annonça-t-elle tout de go en venant se planter devant l'ældien. Faites de moi une immortelle.

Ce dernier ouvrit ses paupières nictitantes. Une fois de plus, son regard opalescent foudroya Varma, qui baissa les yeux sur la peau couleur d'espace qui macérait dans l'eau chaude. Comme prévu, Ren n'avait pas résisté : il s'était plongé dans la piscine dans laquelle il reposait, détendu.

— Ces mots, bien des hommes les ont prononcés, au cours des éons passés, observa-t-il simplement.

— Alors je serais la première femme, fit Varma en commençant à dégrafer sa combinaison.

L'ældien, lui, était déjà nu. Sous le miroir déformant de l'eau, elle pouvait deviner les lignes de son corps puissant, si immense, si différent et semblable à la fois. On disait que ce qui rendait les ældiens effrayants aux yeux humains tenait justement à cette proximité avec l'Homme, cette image réfractée de l'humanité qu'ils renvoyaient. Le vertige qui vous prenait en les contemplant s'apparentait à celui qu'on ressentait face à un cadavre, ou une poupée : cette impression de vertige et de malaise que la philosophe antique Donna Harraway avait théorisé sous le concept de la Vallée de l'Étrange. Si proche et si autre à la fois.

— Que me donnez-vous en échange ? s'enquit Ren, les bras toujours étendus contre la paroi du bassin. Vous ne pouvez ignorer que ce sont les termes du marché, selon les anciennes lois. Vous devez me donner quelque chose.

C'était donc cela, une vulgaire transaction ? Mais la récompense était une union cosmique, qui lui donnerait accès à tous les pouvoirs, ainsi qu'à l'immortalité. Alors, elle accepterait de payer n'importe quel prix.

— Tout ce que vous voudrez, évidemment ! grogna Varma sans pouvoir cacher son impatience.

— Je veux la citoyenneté pour ce qui reste de mon peuple. Ainsi que leur réintégration dans la galaxie.

— De combien d'individus parlons-nous au juste ? objecta Varma. J'imagine que vous ne comptez pas les unseelie dans le lot.

— Plus viendront. Mon retour a amorcé un mouvement chez les miens. Un réveil.

Cette information – que l'ældien s'était bien gardé de lui donner jusqu'ici – alluma un petit signal d'alarme dans le cerveau de l'Amirale. Cependant, la créature qui attendait nonchalamment, tentatrice, brouillait ses sens. Bientôt, elle pourrait poser ses mains bioniques sur ce corps superbe. Elle serait à égalité avec lui, et ne craindrait aucun mal. Plus que tout, il lui donnerait du plaisir, une jouissance qui lui ferait atteindre des sphères célestes, la sublimerait. Une union sacrée... entre un phénix de métal et un dragon de feu.

— Très bien. Je vous donne la citoyenneté, Ren. À vous et votre famille.

— Je veux que cette promesse soit tenue. Faites-la inscrire dans votre Réseau. Immédiatement.

Varma transmit l'information, parlant à voix haute pour assurer à l'ældien que la transaction avait bien été effectuée.

— C'est fait. Maintenant, à vous de tenir votre part du marché.

L'ældien se leva. L'Amirale baissa les yeux sur lui. Il était d'une beauté inhumaine, terrifiante et magnétique. Il leva l'une de ses cuisses puissantes et prit appui sur l'eau comme sur une marche. Il glissait dessus, à la manière de l'antique Messie !

Varma tomba à genoux. Un sentiment de vénération sans bornes envahit son cœur artificiel et, sans même y penser, elle joignit les mains en prière devant elle. Un geste vieux comme le monde, qui lui aurait valu une condamnation pour hérésie immédiate si un agent du SVGARD avait été présent.

Lorsque la créature s'arrêta devant elle, l'Amirale ferma les yeux. Elle était prête. Prête à recevoir le volumineux appendice dans sa bouche ou ailleurs, s'il fallait en passer par là.

— Relevez-vous, lui ordonna Ren.

Varma s'exécuta. Stupéfaite, elle expérimenta une sensation nouvelle et étrange entre ses jambes, longtemps oubliée. L'opération avait fonctionné au-delà de ses espérances.

— Est-ce que cela va... faire mal ? murmura-t-elle en jetant un œil éloquent sur l'organe de l'ældien, proportionnel à la taille de l'être qui le possédait.

— Oui, mais cela ne durera qu'un instant. Ensuite, tous vos vœux seront exaucés.

Lorsque Ren posa ses grandes mains sur elle, Varma ferma les yeux. Le moment était venu. L'union cosmique. La jouissance ultime !

Mais l'ældien se contenta de la presser contre lui. Elle se retrouva collée contre cette poitrine noire et, soudain, au milieu de cette musculature glorieuse, une fente s'ouvrit.

Un œil. Un quatrième œil, caché en plein milieu du sternum ! Il la fixait, énorme et rouge, comme un globe saignant au milieu de cette obscurité.

— Qu'est-ce que...

L'Amirale n'eut pas le temps d'en dire plus. La parole, le souffle lui fut volé. Une force d'attraction irrésistible se saisissait de quelque chose tout au fond d'elle, comme si on délitait son corps entier. Elle décolla, traversa le plafond de la pièce, flotta dans l'espace et fusionna avec les étoiles. Un être immense, à mille ramifications, prit possession d'elle. Elle montait, brûlait. On la mettait en pièces. Et soudain, le plaisir jaillit. Indescriptible, glorieux. Cosmique. L'extase. Elle hurla, un long cri silencieux qui se perdit dans les abîmes et le fracas des astres. En un flash sidérant, elle vécut mille ans. Sa vie – presque un siècle – se rembobina en accéléré, jusqu'au jour de sa naissance. Un souffle, à peine... Puis elle connut ce qu'elle était avant. Et avant cela encore. Jusqu'aux débuts des temps. Jusqu'à errer, infime particule, dans le néant.

*

Lorsque Varma ouvrit les yeux, Ren était retourné dans son bain. Il se prélassait, l'air indifférent. Sourd et aveugle à elle, ce qu'elle était, ce qu'elle avait vécu... Une illusion ? Mais déjà, elle oubliait. Elle se redressa, sa chevelure synthétique collée par l'eau en travers de son visage. Elle se sentit aussi défaite que si l'ældien avait effectivement usé d'elle.

— Vous ne m'avez pas...

Les mots s'éteignirent dans sa bouche.

— Vous ne faites qu'un avec moi, désormais, lui apprit Ren. Lorsque votre corps mourra, votre principe subtil, votre essence, vivra éternellement dans la mémoire de mon vaisseau, prêt à être réincarné. Elle m'accompagnera dans mes voyages en me nourrissant, comme tous les êtres qui se sont offerts à moi au cours des millénaires passés.

Horrifiée, Varma contempla la créature sans dire un mot. Des êtres vicieux, avec qui il ne fallait jamais marchander... L'Inquisition l'avait pourtant mise en garde !

Mais elle ne pouvait rien faire. C'était trop tard. L'ældien l'avait roulée. Au lieu de l'épiphanie promise, il lui offrait des miettes, de la monnaie de singe. Au prix de l'humiliation et d'une quasi-damnation.

— En demandant une union, parvint à bafouiller Varma, je parlais d'union charnelle ! J'étais même prête à me laisser féconder par vous. Je ne demandais pas à être sauvegardée sur un vaisseau alien...

Le rire glacial de l'ældien résonna, plus vif et coupant que le blizzard qui sévissait dehors.

— Charnelle ? Mais vous n'avez pas de chair. Pensiez-vous vraiment qu'un orifice en polymère régénératif suffirait à me transformer en bête assoiffée de sexe ? Quant à la fécondation... Je ne suis même pas au bon moment de mon cycle !

Varma garda le silence. Elle n'avait pas pris ce paramètre en compte.

La créature plongea sous l'eau, le halo blanc de sa chevelure trainant à sa suite dans le liquide bleuté comme la queue d'une comète. Il réapparut de l'autre côté et verrouilla son regard sur l'Amirale.

— Vous êtes déçue, vous désiriez un coït avec un être exotique à vos yeux. Je vous ai offert mieux que ça. La connaissance. La réunification avec ce que vous étiez, êtes et serez sur d'autres plans de la réalité. Et l'immortalité, oui. Pas dans la chair, certes... mais la chair n'est qu'un état, comme je vous l'ai dit. Prenez mon cadeau et faites-en ce que ça vous chante.

L'odieuse créature fit encore quelque brasses, puis elle revint sur le bord. Varma le trouva soudain repoussant.

— Vous le regretterez, Ren, siffla-t-elle entre ses dents. Vous regretterez de vous être joué de moi !

— Je ne me suis pas joué de vous. Maintenant, laissez-moi seul. La prochaine fois que nous nous parlerons en tête à tête, ce sera par l'holocom de nos vaisseaux respectifs.