Le restaurant ou avait lieu la réunion était l'un des deux seuls actifs de la ville, il avait été ouvert il y a une vingtaine d'années par les parents d'Alban et ceux de Liam qui avaient eu ce projet depuis leur entrer au lycée. L'adolescent laissa son vélo contre la devanture et entra. Il y avait du monde ce soir-là, sa mère installait une femme enceinte sur une chaise un peu plus confortable que les autres.

‑ Vous en êtes à combien de mois ?

‑ C'est le huitième.

‑ Il ne fallait pas vous déplacer !

Alban alla s'asseoir à côté de Liam, de Matt et de son petit frère. Laura s'approcha d'eux et claqua sa main sur la table.

‑ Vous voulez quelque chose ?

‑ Tu pourrais être plus aimable, fit Alban.

‑ Je le serais si toi et Liam veniez nous aider en cuisine !

Quelques clients rigolèrent.

‑ Ne cause pas de problèmes à ta sœur, elle est venue se reposer pendant ses études.

Laura croisa les bras et prit un air important.

‑ Tout à fait. J'ai passé trois semaines sur un navire, moi.

‑ Si t'es pas contente, lança son frère, tu n'avais qu'à pas faire des études d'océanologie.

‑ Je suis contente !

La porte d'entrée tinta, Marie venait d'arrivée. Alban lui fit un signe de main et la femme s'assit en face de lui. Les discussions allaient bon train, la bonne humeur aussi. Puis subitement, le père de Matt éleva la voix.

‑ Ça ne peut plus continuer ! J'élève seul mes deux fils et la pêche est mon seul revenu. Ça marche, vous le savez aussi bien que moi, mais vous savez aussi que je ramène la moitié du stock habituel en ce moment. Les poissons se barrent parce qu'ils sentent le danger.

‑ On sait tous ce qu'il faut faire, fit un vieil homme.

‑ Des conneries, ça, lança quelqu'un d'autre.

‑ J'étais trop jeune pour me souvenir, il se passe quoi lors de cette fête ? demanda le père d'Alban.

L'un des anciens répondit :

‑ C'est une journée où on nourrit les poissons, où on s'amuse avec les dauphins pour les remercier, où on dépollue les eaux...

‑ Comme d'habitude, quoi, fit Laura.

‑ Laisse-moi finir ! Le plus important arrive. Au coucher du soleil, le messager entre dans l'eau, ou vogue dessus, peu importe, et chante une chanson d'une langue oubliée depuis longtemps, elle apaise les Dieux, les remercie et nous fait vivre en harmonie avec eux. Seulement, cette année, le messager est inconnu. Il y a cinquante ans, il s'agissait de Fernand, le grand-père de Marie, il n'y a eu personne pour lui succéder. Il a bien fait apprendre la chanson à son fils mais il s'en fichait, et puis...

Il y eut un silence. Cela faisait deux ans que les parents de Marie étaient décédés dans un accident de voiture alors qu'ils se dirigeaient vers la grande ville. Cela avait été un choc pour tout le monde et particulièrement pour leur fille qui ne voulait à présent sortir de la ville portuaire sous aucun prétexte.

‑ Mais ça marche vraiment, tout ça ? s'enquit une femme entre deux âges.

Un homme qui s'appuyait sur sa canne hocha vigoureusement la tête.

‑ Et comment que ça marche ! On en ressent les effets tout de suite. Le vent cesse tout à coup, la mer devient calme et les bancs de poissons reviennent.

Quelque chose fit tilt dans la tête d'Alban.

‑ Marie ! s'écria-t-il.

Tout le monde se tourna vers lui.

‑ Ce matin, elle chantait face à la mer, le vent s'est calmé et il y avait moins de vagues.

‑ C'est vrai que c'était une journée plutôt tranquille, aujourd'hui, lança la femme qui s'occupait de la boutique de fleurs.

Ils fixèrent tous Marie qui aurait bien aimé se cacher dans un trou.

‑ La petite fille de Fernand..., fit l'un des anciens, oui, ça peut le faire.

‑ Attendez ! Je... enfin...

‑ Où est le texte de cette chanson ? demanda le père d'Alban.

‑ Au musée, répondit la sœur de Liam qui y travaillait. Si je me souviens bien, il se trouve dans un livre, on l'a numérisé il y a quelques années pour le protéger.

‑ Vous verrez ça demain.

‑ On va pouvoir faire la cérémonie, déclara un ancien.

Un vent de panique souffla sur Marie.

‑ Je peux venir avec vous ? demanda Alban.

‑ Demain au musée dix-sept heures, alors, répondit Fannie, la sœur de Liam.

Marie se sentir défaillir.