Changement de plan
Un plan lui vient spontanément à l'esprit, comme si son cerveau savait qu'il serait trahi et qu'il avait réfléchit depuis le début à une autre solution. Après, n'est-ce pas Tenkar lui-même qui lui a dit « ne crois personne » ? Son idée est audacieuse et risquée. Elle marchera parce que les autres le prennent pour un trouillard, le dindon de la farce qui ne comprend pas pourquoi on veut tellement le mettre dans le four. Et bien ils vont voir...
Il n'a aucune mal à faire les préparatifs nécessaires pendant la nuit. Bien sûr, sa présence dans l'aile des nobles est parfaitement prohibée aussi tard, mais personne ne va empêcher un serviteur de travailler s'il a l'air d'avoir reçu des ordres. Kayel passe au nez et à la barbe des gardes, portant d'un endroit à l'autre pots de chambre et ordures nauséabondes qui enlèvent net l'envie de mettre le nez dans ses affaires.
Il met discrètement en place dans les couloirs, cachées dans les vases décoratifs, derrière les rideaux et les statues, quelques mottes de tourbe (pour brûler longtemps) saupoudrées de souffre (pour s'allumer vite) et de paille mouillée (pour faire beaucoup de fumée). Le but est de faire peur tout en étant sûr de ne pas faire flamber tout le palais. Tout le monde – parmi les serviteurs – est épuisé par le nombre de tâches à effectuer tous les jours, personne n'ira faire du zèle à nettoyer dans les coins avant un moment.
Le lendemain, Kayel n'a pas besoin d'être secoué pour se lever à l'aube : même une fois allongé dans la couche commune, il n'a pas réussit à s'endormir. Il était trop obsédé par son idée. Si elle réussit, il doublera Tenkar sur son propre terrain et se vengera en frappant là où ça fait mal : l'or. Et il gardera tout. Ainsi ses sœurs seront à l'abri du besoin pour le restant de leurs jours, même si elles décident de ne plus rien faire de leurs dix doigts, de ne jamais se marier et d'adopter encore une douzaine de nouvelles petites sœurs Orch. Au moins.
Il ne lui reste plus qu'à attendre le moment propice. Préparer le terrain. Poser les bonnes questions d'un air très innocent. Voler des allumettes. Mettre le feu. Partir avant que la fumée n'envahisse les couloirs.
Très vite les gens hurlent et courent dans l'affolement le plus complet. Les étages sont désertés. Peu à peu certains courageux bravent la fumée pour aller combattre l'incendie. De nouveaux foyers se déclenchent plus loin : la tourbe est un brasier à retardement quand on a l'habitude de s'en servir.
Pendant ce temps, juste au-dessus, Kayel est parfaitement seul pour actionner le mécanisme présent dans la chambre de Joyana. Leviers et engrenages jouent docilement sous ses doigts. La poignée se laisse tirer à fond sans un seul grincement. Le mécanisme du duc est tout aussi obéissant. Ne reste plus que celui du comte. L'instant de vérité. Le cœur de Kayel bat à tout rompre. Il croit avoir trouvé un moyen de découvrir le code par lui-même, mais s'il se trompe... Tout sera fini, il n'aura plus qu'à fuir avant de tomber dans le piège de Tenkar, sans épée, sans or, sans rien d'autre que ses jambes pour courir et ses yeux pour pleurer. Donc ça doit marcher.
Indifférent aux cris qui retentissent dans les couloirs plus bas, l'adolescent entre dans la dernière pièce. Il ouvre le coffre. Dire qu'à une époque découvrir ces coffres lui paraissait être un véritable défi... Comme toutes les évidences avant qu'on ne les découvre. Il lève la plaque de métal. Prie une dernière fois chaque démon potentiellement à son écoute. Et sort de sa poche une poignée de cendre plus fine que de la poussière. Lentement, presque grain par grain, il la souffle sur le métal brillant. Ce code a été actionné chaque jour par le comte qui n'avait aucune raison de porter des gants ni de passer un chiffon derrière lui. Donc...
Peu à peu de minuscules traces de doigts apparaissent sur le métal. Assez précises pour recomposer le code. Ce que Kayel fait, les mains légèrement tremblantes. Leviers et engrenages suivent docilement ses instructions. Peut-être ne les a-t-il pas utilisés dans l'ordre... mais l'ordre devrait être toujours identique... Il n'y a qu'un moyen de le savoir. Kayel tire de toutes ses forces la poignée. Elle cède avec une telle facilité qu'il en tombe presque à la renverse. Un grondement de pierre l'avertit qu'un pan de mur se dévoile. Il lève la tête. Là, juste devant lui, brille le plus fabuleux trésor qu'il soit capable d'imaginer.
Plus d'or qu'il n'en a jamais vu de sa vie entière. Assez d'or pour s'y noyer. Assez d'or pour noyer un cheval. Des bijoux, des armes précieusement ciselées et incrustées, des pièces de tissu ornées de pierres précieuses, de vieux parchemins protégés par des fourreaux d'or. Reflétant les flammes de la cheminé, le trésor parait émettre sa propre lueur qui bat doucement comme un cœur ému. Kayel s'avance. C'est si beau...
Il doit faire vite. Emporter les bijoux et autres pièces de maître serait suicidaire. Non, il saura se contenter du contenu des coffres qui, comme il le pensait, sont remplis de pièces d'or et d'argent tout à fait ordinaires – mis à part leur nombre – et parfaitement écoulables d'un bout à l'autre du royaume. Les trois coffres lui arrivent au genou et sont bien trop lourds pour qu'il les déplace seul. Ça tombe bien : il n'a pas du tout l'intention de les déplacer.
Quatre par quatre, il sort les sacs des coffres et les cache dans l'immense panier réservé aux lingères et aux couturières, là où le linge sale est rangé avant d'être descendu par monte-charge en lingerie, une pièce qui pour des raisons pratiques communique avec la rivière, la rivière d'où on peut facilement filer en barque même lourdement chargée... Kayel recouvre le trésor d'un manteau du comte qu'il déchire et orne d'un ruban violet volé en bas, un message que même la plus illettrée des servantes sait interpréter comme « seule la maitresse couturière a le droit de toucher à ce panier ou des têtes vont tomber ». Entre la fête et l'incendie, personne n'ira chercher plus loin.
Après quoi Kayel n'a plus qu'à remplir les coffres de buches et de charbon pour leur donner du poids et redescendre innocemment combattre 'l'incendie' avec les autres. Son cœur bat à tout rompre et il doit lutter contre son instinct qui lui dit de cacher une bourse d'or sous son manteau et de filer avec à toutes jambes. Non, il doit se montrer plus malin que ça, plus courageux, et il gagnera infiniment plus. Il ne lui reste plus qu'à attendre.
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