∅7 | Soldat
Je serai restée jusqu'à la fin de ma vie ici, dans cette cité qui bien qu'hostile, m'a bien reçue, avec Ukiyoe qui m'a si bien accueilli et qui me traitait comme son enfant, Ao qui était comme un petit frère, et Shiro aussi, que j'aimais malgré tout.
Dans ce jardin, ce magnifique jardin qui, contrairement au mien maladroitement planté suspendu aux parois grises de ma grotte, sortait directement du sol, s'allongeait, et venait s'agripper aux toits et l'ornait de ses couleurs d'automne.
Ce pays entier est un jardin d'automne surplombé d'un ciel d'un rouge fade si différent du rose accentué visible depuis le Crépuscule.
Mais tout a une fin. Cela me rappelle la phrase que mon porteur aimait répéter :
Les meilleurs jours sont des jours sans imprévus.
Un temps, une voix inconnue me réveilla. Elle venait de l'avant de la maison, là où Ukiyoe demeurait. Celui-ci justement ne se faisait pas entendre. Je pensais alors qu'un collègue de travail ou qu'un homme du gouverneur s'était invité. Pourtant l'heure tardive me fit me méfier, et d'instinct, je me faufilai dans le jardin pour voir par la fenêtre se qui se passais dans la chambre voisine.
Je passai sans bruit ma tête dans un coin du cadre, et ce que je fis me raidir de peur. Ukiyoe était entouré de plusieurs hommes en uniforme. Ce n'était pas ceux de la sécurité qui m'ont rendu visite au Crépuscule, mais bien d'un grade supérieur plus proche du gouverneur. Lui restait à terre, assis à genoux, les yeux à demi-clos, murmurant quelque chose d'inperceptible de temps en temps à voix basse et d'un ton de reproche.
On m'a donc découvert? Par quel artifice ? Qui aurait semé le doute ?
Peu importe. Fuis, me dicta une voix au fond de moi.
Je me dirigeais sans bruit vers la porte, mais celle-ci était gardée par d'autres personnes du même rang. Par crainte de me faire voir, je reculai, trébuchai contre quelque chose d'organique et tombai. Une voix somnolente articula derrière moi:
« - Mademoiselle, qu'est-ce qui se passe?
C'était Ao qui, réveillé sans doute par les voix, m'avais suivi. Sans attendre ma réponse, il s'avança vers la porte d'entrée, et alla vers la porte comme s'il n'avait pas vu les hommes postés devant. L'un d'eux l'attrapa :
« - Qui c'est ça ?, demanda-t-il à l'enfant en le soulevant de terre. D'où tu sors?
- Ukiyoe-san..., disait le petit garçon étourdi de sommeil.
- Ça doit être un de ses mômes. Tu n'es pas sensé dormir?, dit un autre.
- Lâchez-moi. Je dois voir Ukiyoe, continuait Ao d'une voix de pleurs mais sans se débattre.
- Je fais quoi?
- Rendors-le. Mais frappe pas trop fort.
Il le lâcha brusquement. Cet à ce moment que je remarquai qu'ils étaient tous armés. On allait l'assommer. Avant que quoi que se soit n'arrive, je courus me jeter sur lui pour le protéger. Le coup tomba sur mes côtes. Un cri déchira les murmures de la nuit :
- Arrêtez !
La porte d'entrée, entrouverte, céda, et Ukiyoe surgit un sabre à la main, et défigura d'un coup celui qui venait d'abattre son arme. il tomba. Ukiyoe fit un pas dehors, puis attaqua les autres, tandis que ceux restés à l'intérieur se démenaient pour sortir l'arrêter. Les voix entremêlées criaient, mais une les domina :
« - Lieutenant, arrêtez !
Ukiyoe se retourna vers lui, et le regarda du regard le plus noir qui soit. L'homme jeta son arme à terre et avança les deux mains levées. L'enseigne qui pendait à son uniforme montrait qu'il était supérieur aux autres hommes. Ce devait être le chef de ce groupe d'envoyés du gouverneur. Ukiyoe leva son arme à son approche :
- Toi! Je me souviens de toi!
- Ça suffit lieutenant.
- Ne m'appelle plus jamais comme ça. Je ne fais plus partie de cette bande de chiens tueurs d'enfants que vous êtes.
- Je suis désolé. Mais calmez-vous. Ce qui est arrivé était un accident qui ne se reproduira pas.
- Un accident dis-tu? Une balle perdue dans la tête d'un civil est un accident? Des vertèbres brisées par une arme c'est un accident ?
- Le coupable a été arrêté et puni.
- Et tu crois que ça va me les rendre vivants?
- C'est arrivé, monsieur. On ne peut rien y faire, à part vous assurer que cela ne se reproduira plus.
- Silence! vous n'êtes que de vulgaires perturbateurs qui ne pensent pas au mal qu'ils causent.
Le chef des gardes fit l'erreur de s'approcher.
- C'est du passé, tout cela, lieutenant !, retorqua-t-il non sans rigidité. Venez avec nous, maintenant.
À peine était-il rentré dans son aire que sa main vola, emportée par un coup de lame, suivie d'une trace de sang. Ledit chef tomba à genoux en râlant, tenant son bras.
« - Assez!, cria-t-il.
- Saissisez-vous de lui!, dit un autre.
Un cercle entoura Ukiyoe dont le regard ne différait pas tant d'une bête sauvage qu'on essayerait de dompter. Lentement, dans une respectueuse lourdeuse, il rengaina et s'assit en tailleur au milieu de ses assaillants.
« - Je me suis emporté, dit-il calmement. Je ne vaux pas mieux que vous, donc au fond je vous compends un peu. Mais il est clair pour moi maintenant : la paix est une guerre. Cet état des choses n'est gardé qu'au prix d'opprimants silences et de terreur. Ce n'est pas la vraie paix... De toute façon, nous ne la méritons pas,... La vraie paix... Je ne la mérite pas. Vous ne la méritez pas, car personne n'est innocent dans cette affaire, et on ne peux rebâtir sans détruire....Camarade, appela-t-il en se tournant vers le chef, tu as tout à fait le droit de faire de moi le monstre de l'histoire. Je te le permets. Je te l'ordonne même. Tu es connu pour tes solutions qui mettent tout le monde d'accord. Je laisse cela entre tes mains. Ne me désobéit pas.
Le chef blessé se leva sur un genou, et, plein de respect, il s'inclina difficilement :
- Je ferai de mon mieux pour ne pas vous décevoir !, scanda-t-il.
Mais quand il releva la tête, il constata qu'Ukiyoe ne l'écoutait plus. Sa tête était levée vers le ciel dans un angle démesurément droit, et ses yeux immobiles semblaient fixer sa teinte rouge accablante. Une larme en avait coulé. Tous la suivirent solennellement descendre et contourner son visage avant de s'écraser sur le sol ensanglanté. Maintenant, plus rien ne bougeait dans cet homme. Il avait cessé de vivre.
Le groupe de soldats se transforma vite en cortège funèbre qui fit sonner ses armes et escorter le défunt après l'ensevelissement.
Personne n'assista à l'enterrement, si ce n'est les deux frères, moi, et le chef de la brigade. L'austérité et la solitude du lieu m'attrista bien plus désolation de l'événement.
J'étais triste, mais je pensais à trop de choses pour pleurer.
« - Ukiyoe était dans l'armée plus jeune, me dit son camarade avec qui j'avais entamé une timide conversation. À la fin de la guerre, on ne paya pas les soldats ayant participé, ni remboursé les familles des morts. On nous oublia tout simplement, car on était des monstres avides de guerre. Tout le monde s'emporta, et une résistance fut montée. Rien de très imposant, juste des manifestations et des turbulences ça et là. Sauf que Ukiyoe, qui entre temps, s'est fait une amie, avait renoué avec sa famille et a porté un enfant, était contre. Et lors d'une manifestation où il était malencontreusement présent, il y eût un choc entre l'armée et les rebelles, avec des civils pris dans la mêlée. Puis... une balle avait frappé sa sœur, et la foule fuyante avait piétiné et enterré son enfant vivant. Depuis, il nous voue de la haine et du mépris, et c'est, à vrai dire, tout ce qu'on méritait.
- Non. Ce n'est pas votre faute, ni celle de personne. Ça ne devait pas arriver.
- Non. C'est arrivé et on ne peut rien y faire.
- C'est de la faute de la guerre.
- Ah! Cette bonne vieille fichue guerre ! Il est facile de tout lui coller sur le dos, n'est-ce pas ?
Il m'apprit également que les deux enfants furent pris sous la tutelle du gouverneur qui tenait un endroit spécial pour ceux sans parents ni tuteurs. Ukiyoe avait tout prévu pour eux.
« - Qu'allez-vous faire maintenant ?, me demanda-t-il.
- Partir ailleurs, je suppose.
Oui, c'est ça. Fuir l'illusoire danger. Fuir de la scène. Fuir la vérité. Fuir la vie. C'est tout ce que je savais faire. Je me sentis subitement inutile et insignifiante. Le résidu d'un monde que je fuyais.
Je ne pouvais toujours pas faire face à rien de ce qui m'entoure, car je n'ai rien fait. J'ai été neutre aux événements. Je n'ai rien tenté. Je ne les subis même pas. Je suis juste un spectateur stupide qui s'étonne sans saisir. Je suis toujours la même enfant peureuse et ignorante qui était venue trouver refuge.
Et il n'y avait pas de quoi s'entêter à rester. Sans Ukiyoe, la cité avait repris son attitude hostile dans mon esprit. Plus rien ne me retenais, à part peut-être Ao qui était venu me dire adieu, et me confier sa peur de l'inconnu.
« - Je ne peux pas venir avec vous?, me demanda-t-il.
- Tu sais bien que tu dois rester ici avec ton frère.
- Ce n'est pas mon frère.
- C'est ta cité ici. Tu y sera bien. Tous les gens ne sont pas si mauvais.
Je lui caressait la tête, et il se jeta contre ma poitrine et fondit en larmes. Je lui tapotait le dos. Si maigre, si petit face au reste. Au fond, je comprends sa peine : il vient de perdre son tuteur. Et pourtant, il arrive à me sourire encore.
Non, cet enfant est bien plus fort que moi, à bien des aspects.
A force de câlins, il finit par rire faiblement, et sauta encore une fois dans mes bras. Je le caressais machinalement, avec le plus d'affection qu'il m'était possible d'y mettre.
Je recitai ensuite cette myriade de termes réconfortants, puis m'en allais. Je ne croyais pas à un mot de ce que j'avais dis, mais il fallait bien redonner courage et espoir aux autres. C'est le rôle de tout soigneur et aide-soigneur, et c'est tout ce que je savais faire.
- Quand tu seras grand tu comprendra, avais-je finis par dire. En attendant, vis. Tu es assez fort pour ça.
Au fond, je me sentais coupable de penser autant à moi, mais c'est comme ça : Pendant tout ce long discours, je ne pensais qu'à où j'allais partir et quel chemin prendre.
Je quittai donc la cité rapidement en me répétant :
Le meilleur jour est un jour sans imprévu.
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