1∅ | Champ de bataille
Goryn me déposa devant un panneau qui indiquait La Ville Héros. Tout aux alentours était plat et vide. Pas âme qui vive.
« Où est-ce ici ?
- J'aurais aimé t'accompagner à l'intérieur mais je n'ai pas le droit, ce n'est pas sur mon chemin. Tu devras marcher seule jusqu'à trouver un bâtiment en bois peint. Tu le trouveras facilement. En attendant, tu devras marcher avec attention.
- Attends... Ce bâtiment, c'est quoi?
- C'est là où toutes les âmes perdues se retrouvent. Le maître des lieux est un bon gars. Tu y trouveras de l'aide.
Il me sourit et s'en alla. Je fis quelques pas et profitai pour regarder les environs. L'état des maisons m'étonna : la plupart avaient des toits brisés, le grenier découvert, les meubles cassés s'étalant à l'entrée. Tous les murs de cristal étaient en morceaux, émiettés sur le chemin. Je manquais d'y laisser mes chausses.
Peu à peu, des flaques rouges apparurent par endroit. Un liquide teignait le sol de son pourpre qui tirait vers le noir, et laissait une horrible effluve. La fumée du bois brûlé vint compléter le sinistre paysage de cette ville, première que je voyais du pays des neiges.
J'étais seule dans la rue.
Une funeste intuition apparut de mon esprit. Je venais d'en comprendre les éléments.
Un sifflement, suivis d'un impact tout près de moi, vint renforcer mon hypothèse. les restes d'une maison en face de moi éclatèrent. Un des débris me frappa. Un bourdonnement discret passa, puis plus rien, à part des pierres qui se fracassent.
Mon cerveau se glaça, et mes muscles refusèrent de me relever. La peur m'avais dominée. Mes besoins vitaux s'évacuèrent sur le sol. Tremblante, sale, couverte de poussière, je me mis à genoux. Je haletais. Dans ma tête, trois mots se répétaient :
. Sang . Champ de bataille . Guerre .
Je saisis ma tête. C'était impossible!
La guerre n'a quand même pas éclatée pendant mon voyage ?
Un cri, suivi d'une longue lamentation déchirante brisa le silence. Une vieille dame sortit d'en dessous des décombres. Elle avait une entaille peu profonde au front. Elle semblait essayer de sortir quelque chose de sous les pierres. Elle poussa en ma direction un cri que je ne compris pas. Je m'approchai. Elle voulait sans doute que je l'aide.
A deux, on finit par extirper le corps d'une petite fille. La vieille dame poussa un son rauque en la voyant. La fillette était inconsciente, le ventre ouvert, les boyaux à l'air, et les jambes en sang. A ce moment, mon instinct d'aide soigneur pris le dessus sur ma peur. Je pris son pouls, elle vivait encore. Je lui serrait une bandage en tissus pour soutenir ses entrailles, l'enveloppai dans une couverture, et la mit sur mon dos. Elle avait besoin d'être emmenée chez un soigneur en urgence. J'essayais de le faire comprendre à la vieille. Je ne sais ce qu'elle a compris, mais elle me poussa dans une direction, et me fit signe de me dépêcher. Nous courûmes sur le sol encombré en trébuchant à chaque pas. A chaque enjambée, je craignais le sifflement d'un autre projectile. Tous mes sens étaient en alerte. Le paysage me devint odieux et repoussant. J'admirais surtout le courage de la vieille, car c'est la seule chose qui lui permettait encore de marcher.
Un grand monolithe se dessina bientôt devant nous. Mais contrairement aux autres, il n'était ni gris, ni blanc. Il était peint de joli doré, de bleu brillant, de vert nature.
Un vrai bijou dans une marre de sang et de destruction. La dame me fit signe d'y entrer. À l'entrée même, un groupe de gens en veste blanche accoururent vers nous. Certains saisirent la fille et la firent disparaître derrière la porte d'entrée, les autres m'inspectaient et la dame, pour voir si l'état de nos blessures. On nous fis entrer aussi, et contrairement à ce que j'avais pensé, on ne monta pas en haut du monolithe, on descendit.
En bas, je découvris, au bout d'un long couloir, un centre de soigneurs entièrement aménagé sous terre. Dans une partie à ma gauche, des soigneurs se hâtaient pour aller assister à une opération. De l'autre, une salle fermée avec un feu rouge, montrant qu'une opération s'y déroulait. La fille devait être dans une d'entre elles. Je ne pensais qu'à elle en ce moment. Je voulais qu'elle survive.
On m'emmena aux sanitaires, où je me nettoyais et changeais de vêtements, le fin pagne de Ukiyoe que je portait étant en lambeaux.
Ensuite, une aide-soigneur m'examina. C'était une fille d'à peu près mon âge, elle aussi.
« - Vous avez les extrémités gelées. Regardez vos doigts. Ils sont bleus.
Je n'avais rien senti ; tout ce temps, je marchais sur des peaux mortes. Mon visage tiquait. Tout mon corps tremblait et devenait douloureux. Je ramenais mes pieds à ma poitrine et les entourait de mes bras, essayant de réchauffer mes lèvres et mon nez mauves par le froid et la peur.
Tant de temps après, un homme en tablier blanc spécifique des soigneurs-chefs passa la tête dans la chambre où j'étais.
« - est-ce qu'elle va bien?, lançai-je à tout hasard dans la langue commune.
Il me fit signe de le suivre. Nous empruntâmes ce même long couloir blanc éclairé de cristaux lumineux, et il me fit entrer dans une petite chambre. Celle-ci était bien plus chaleureuse que le reste. plusieurs petits lits y étaient posés, et les enfants qui les occupaient s'amusaient et jacassaient avec leurs voisins. Au fond, la petite fille de tout à l'heure dormait le visage paisible, et à ses côtés la vieille dame veillait sur elle.
« - elle va bien, murmurai-je.
Un irrésistible sanglot bloqué jusque là dans ma gorge, sortit enfin en silence. Je pleurai dans le pli de mon coude. Le soigneur-chef me réconforta de sa main sur mon épaule et me fit sortir. J'eus de la chance qu'il soit là, car aveuglée par mes larmes et suffoquée, je m'effondrai soudain sur le parquet, roulais dans les escaliers, et frappait ma tête contre un coin du mur.
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