10. Alicia
17 Octobre 2020 – Ploërmel
Dire quelque chose sur moi. Comme l'a dit Vanessa avant moi, cela paraît si simple. Et pourtant... Qui suis-je? Je peux vous parler des heures durant de la femme aux mille et un projets que j'étais. Le rêve de vivre le grand amour, d'avoir des enfants, le travail de mes rêves. Tout semble si simple quand on ne fait que se projeter. Je voulais voyager autour du monde et mener une belle carrière. Je rêvais de devenir photographe professionnelle, vivre de ma passion. Mais ça, c'était avant.
Malgré tout, je n'ai pas à me plaindre. J'ai un mari génial qui porte à lui seul les finances de la famille, trois enfants merveilleux qui ne demandent qu'à grandir dans la joie et la bonne humeur, un toit au-dessus de ma tête et je vis le rêve de plusieurs centaines de parents travaillant: celui de pouvoir rester chez moi et voir ma marmaille grandir.
Ma vie aurait pu être bien pire. Je le sais. Mais je suis à bout. Quelque part entre les couches et les devoirs, je me suis perdue. Qui suis-je? Cette question me revient souvent en tête. La réponse est évidente. Je suis Alicia, épouse et mère dévouée. Oui, mais à part ça ? Suis-je destinée à n'être que ça ? Non. Je le sais bien. Mais dans ce cas, que suis-je d'autre ? Je n'ai pas encore trouvé de réponse à cette question.
Souvent, j'écoute les autres mères parler de leur vie si parfaite. Leurs enfants si obéissants, leur maison toujours impeccable, les repas, toujours plus exotiques les uns que les autres,ne se ressemblent jamais. De mon côté, j'ai fais quatre fois des pâtes cette semaine, une ratatouille qui nous a duré deux repas, un plat de lentilles parti dans la soirée, et j'ai emmené mes enfants au macdo et acheté des pizzas, par flemme de cuisiner.
Avant de tomber enceinte, j'avais des principes. Mes enfants ne regarderont pas la télé avant l'âge de cinq ans, ils ne mangeront pas de bonbons, je ne céderai jamais à leurs caprices, je ne crierai jamais pour rien, ne leur donnerai jamais de gifle ou de fessée... Ho oui ! Des principes, j'en avais des tonnes. Et puis Maxime est né. On a bataillé, mais force est de constaté que certaines guerres sont perdues d'avance. Les brocolis ont laissé la place aux pâtes, les jeux se sont espacés au profit de quelques minutes de télévision. Cette dernière a vu son temps d'utiliser s'agrandir au fil du temps. D'abord juste le temps de finir une tâche ménagère, puis en récompense face à une bonne action, et enfin le soir avant de lire l'histoire du couché.
Aujourd'hui, je connais les dialogues de Raiponce, l'âne Trotro et Petit Ours Brun par cœur. Je sais exactement ce qu'il va se passer dans Peppa Pig et je danse même sur le générique de mimi cracra. Mais parlez-moi de la Bourse, des conflits Israélo-palestiniens, ou même des dernières lois que notre gouvernement a fait passé, et là, vous pouvez être sûrs que je serai complètement larguée. Mais ce n'est pas très important. Après tout, ce n'est pas comme si j'avais grand monde avec qui parler de ces sujets.
De toute manière, un seul sujet intéresse mon entourage: les enfants. La première fois que Maxime a perdu une dent, Tom qui sait faire du vélo sans les petites roues, Léa qui monte les escaliers toute seule... Toutes ces petites choses que l'on n'a pas forcément envie de raconter, mais que l'on partage malgré tout par peur des reproches. Ne pas envoyer assez de photos, garder sa vie privée secrète....
Mais ne jamais pouvoir se plaindre. Je crois que c'est le plus difficile. Quand on te demande comment tu vas, et que la seule réponse possible est «Je vais très bien, je suis la personne la plus heureuse du monde.» Parce que dire que tu vas mal, que tu es fatiguée, que tu es à bout, que tu as besoin de souffler, de te retrouver, de ne pas avoir tes enfants sur les bras ne serait-ce qu'une journée, te fait passer aux yeux des autres pour la pire des mères.
Personne ne peut le comprendre. Ou peut-être que personne n'essaye tout simplement. Après tout, quand tu es mère au foyer, tu n'as pas le fardeau de devoir te coltiner une journée de travail. Non. Toi, tu as la chance d'être chez toi, de pouvoir faire ce que tu as à faire tranquillement, sans te presser, sans pression. Tu peux jouer, regarder la télévision, dormir. Tu n'as aucune contrainte, aucun stresse. Et en plus, tu as la chance de pouvoir avoir tes enfants auprès de toi.
Mais tu n'as pas le droit à l'erreur. Car oui, tu es chez toi toute la journée. Alors, ta maison doit être nickel, les repas doivent toujours être prêts et succulents, tes enfants propres et obéissants, et tu dois rayonner de bonheur. Car oui, tu es la matriarche. Tu es celle qui gère sa maison d'une main de fer. Tu as choisi cette vie, alors tu dois t'y plier.
Mais ai-je vraiment eu le choix? Ai-je vraiment choisi cette vie de A à Z? A quelle moment ai-je remplacé mes projets professionnels par des lundis ressemblant au dimanche et des dimanche aussi épuisant que des jeudis? Est-ce véritablement ce à quoi j'aspire ? Bien sûr, certains jours sont plus sympathique que d'autres. Et ces jours-là, je me dis que j'ai effectivement la vie belle, mais à quel prix ? Combien d'amis me restent-ils désormais ? Pourquoi ai-je perdu mon temps dans des diplômes pour en arriver là ? Que faisais-je avant tout ça ? Qui étais-je ? Qui suis-je désormais ?
J'ai peur. Peur de ce que je suis en train de devenir. Peur de faire quelque chose qui bousculerai tout ce quotidien. Et si je me trouvais un travail, mais que finalement, je me rendais compte que j'aimais le train de vie que je mène actuellement? Il n'y aura plus de retour en arrière possible. Et puis, à quoi bon? De toute manière, je n'arrive plus à parler aux gens. Le seul fait de me retrouver face à d'autres adultes m'angoisse. Je n'arrive pas à regarder les gens en face, j'ai des sueurs froides et dés que je dis quelque chose, j'en ai le souffle court et la gorge serrée de peur. Peur de dire une bêtise qui me ferai passer pour la dernière des demeurées. Peur de me ridiculiser.
Et pourtant, je suis mère désormais. Une mère est censée être adulte et mature. Une mère ne devrait pas avoir peur de ce genre de choses. Une mère doit être forte, souriante, et épanouie pour le bien être de ses enfants. Parce qu'ils sont ma priorité, et qu'ils passeront toujours en première position. Et, même si c'est dur, même si parfois je craque, que j'imagine ce qu'aurait été ma vie sans eux, je n'ose imaginer ne plus les avoir. Ils sont ma vie, et si ils venaient à disparaître, alors ils m'emporteront avec eux. Parce que je suis leur mère, qu'ils font parti de moi, et que je les aime, plus que tout au monde.
Relevant la tête, Alicia essuya du revers de la main les quelques larmes qui coulaient sur ses joues. Les mains tremblantes, elle referma le cahier et regarda l'horloge. Il était déjà l'heure de goûter. Émotionnellement vidée, la jeune femme alla réveiller ses enfants.Tandis que ses chenapans mettaient plus de chocolat sur leur visage que dans leur estomac, la mère les regardait avec tendresse.
Après le repas, ils retournèrent au parc. Alicia posa le cahier sur le banc à ses côtés et regarda ses petits monstres se disputer. Ils n'arrêtaient vraiment jamais. Mais au fond d'elle-même, elle savait que si ils devenaient subitement sage du jour au lendemain, c'est là qu'elle serait vraiment inquiète pour eux.
Les premières gouttes tombèrent alors qu'ils étaient là depuis seulement une dizaine de minutes. D'abord légère, ce fut rapidement une pluie torrentielle qui s'abattit sur la petite famille.
-Les enfants ! Cria Alicia en récupérant précipitamment son sac à main, venez ici, on rentre !
Leurs pas précipités claquèrent sur le bitume trempé jusqu'à s'estomper tandis qu'ils quittaient le parc, trempés jusqu'aux os. De retour chez elle, Alicia allait devoir leur faire prendre une douche bien chaude...Et nettoyer une fois de plus sa maison souillée par la boue.
Pendant ce temps, dans le parc inondé par la pluie, un chat traversa précipitamment l'air de jeux. Trempé jusqu'à l'os, il alla se réfugier derrière un banc, à l'abri des feuillages. Un bout de carton rempli de feuilles blanches attira son attention. Il le renifla avant de se rouler en boule dessus, le maintenant au chaud. Son matelas improvisé avait subit quelques dégâts à cause de la pluie, mais il restait confortable et d'une sécheresse correcte pour le poilu. Le chat ne mit pas longtemps à s'endormir, la tête posée sur cet oreiller de fortune d'une jolie couleur bleue.
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