39. Le Souverain
Note de la rédaction : Ce chapitre est écrit en complète participation avec le principal concerné
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"Le" Rédacteur ? Je n'arrive pas à comprendre cet homme face à moi. Il a l'attitude d'un vieux sage, mais il semble avoir un égo débordant, vu comment il veut se faire appeler. Même si je commence à m'inquiéter de mes amis, mon corps refuse de quitter ce fauteuil au confort incomparable, d'une douceur extrême pour mon dos et mon postérieur. Je n'arrive même pas à détourner mon regard du Souverain, surtout car j'ai beaucoup de questions sur cette situation.
— Qu'est-ce que tu veux dire par "rédacteur" ? Et d'ailleurs, pourquoi je me retrouve là ?
J'aurai bien voulu me contenter d'une seule question, mais vu comment j'imagine ce qui doit se passer ailleurs, je dois obtenir le plus d'informations. L'homme renforce son sourire amusé, tout en amenant deux livres flottants entre nous, ouverts.
— Comme je l'ai dit, je suis le rédacteur de multiples histoires qui existent réellement, qui ont leur propre monde matérialisé au sein du Néant. Dans cet Univers, de nombreux exilés sont mes personnages, et où je peux influer sur leur personnalité et leurs décisions depuis mon trône.
Il marque un léger silence, tout en fermant ses yeux vides.
— Pour ta deuxième question, et bien... Disons que c'est le toi en tant qu'Altéré qui m'intéresse. Ta personnalité de lecteur est intriguante, ce que n'a pas les Originels. Un écrivain et un lecteur ensemble, ne serait-ce pas une belle rencontre ?
— En quoi je peux vous aider ? Je n'ai rien d'intéressant pour vous.
Avec un geste de main, l'un des livres pivote pour orienter les pages vers l'avant. Une lumière d'un bleu cyan s'émane, affichant un écran holographique où l'elfe, une des Originelles, tient complètement tête à mes alliés.
— Peut-être que c'est une faible estime de soi, mais pour moi, tu es la meilleure personne que je puisse rencontrer. J'aurai quelques questions pour toi, cher lecteur, et en retour, je te libérerai.
Il est sérieux, ce type ? Sa réponse est tout sauf cohérente, et cela ne me donne que plus de doutes sur ses intentions.
— Libérer une personne sur qui vous avez un intérêt ? Vous semblez manquer de logique, Souverain.
Le sourire sur les lèvres du Seigneur de l'Éclipsia se détruit peu à peu. Il rouvre ses yeux vides à l'attention des miens.
— Tu es exactement comme je t'ai lu, tout le long de ton existence. Pour le moment, tu m'es d'une grande importance, et contrairement à d'autres humains, je ne jette pas ce qui m'a servi. Tu as suivi ton ami dans cette quête, mais ta place est chez toi, pas en Éclipsia. Si tu acceptes cette conversation, je te renverrai toi et tes amis dans votre chez-vous.
— Pourquoi me renvoyer chez moi ? Si je ne veux pas m'en aller, que ferez-vous ?
Au plus profond de ma conscience d'Exilé, je peux sentir l'atmosphère s'alourdir, et l'éclairage s'affaiblir. Les images du livres se multiplient, avec Youmi en train d'affronter l'Originel du Cauchemar tout seul, et Barakabo qui fait face à la dernière gardienne. Il faut que je trouve le moyen de les retrouver, mais visiblement, ma seule possibilité est de l'écouter. Le Souverain serre un peu plus sa main droite sur son accoudoir.
— Car ta place est là-bas. Vous avez commis une erreur colossale en entrant dans ce monde. Votre histoire ne se trouve pas ici, mais dans le monde que vous avez toujours protégé.
Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche, la main droite du Souverain se ferme pour frapper contre l'accoudoir, produisant un violent bruit. Visiblement, sa patience atteint une limite où j'arrive.
— Écoute-bien. Les Originels avaient prévu de vous tuer sur-le-champ, mais je refuse que toi et tes alliés deveniez des âmes de ce monde. Je ne te demande juste que quelques réponses, et j'obligerai les Originels à vous laissez repartir en vie.
Ce type reste un étranger pour moi, mais je suis incapable de m'échapper, vu les ténèbres autour de nous. Qui plus est, les images de mes amis en train de se battre me donnent envie d'en finir au plus vite. Je soupire et plaque mes mains sur les accoudoirs.
—...D'accord. Je vais t'écouter, mais tu as intérêt à respecter tes paroles.
Ma réponse laisse échapper un profond soupir de soulagement au Souverain, et l'atmosphère se détend de plus en plus.
— Merci. Je ne pensais pas que tu en serais à ce stade d'évolution personnelle.
Sa phrase a quelque chose de bizarre, mais je n'arrive pas à poser le doigt dessus. C'est comme s'il parlait à son propre fils devenu indépendant qu'il revoit après une période se comptant en année. Il ferme le livre qui présente les écrans des différents combats pour en amener un autre, effectuant le même procédé d'ouverture et de visualisation.
L'image présentée est celle d'un décor enneigé, avec une meute de trois loups en train de se promener dans une plaine ensevelie sous la neige. Malheureusement, celui en tête rencontre une surface glissante qui l'amène droit dans un cratère. Les deux autres ont eu le temps d'arrêter leur pas, mais ont été témoin de la chute de leur camarade.
— Selon toi, qu'est-ce qu'un "cliché" ?
C'est ce genre de questions qu'il veut me poser ? Je peux lui accorder le mérite de soulever le sujet, et en tant que lecteur dans le corps et la tête, mais j'ai besoin de plonger dans mes réflexions. Après quelques secondes, je lui donne ma réponse.
— A mes yeux, un cliché, c'est une méthode qui marche beaucoup trop bien, au point que tout le monde l'utilise sans se revendiquer être leur possession, jusqu'à ce que cela devienne récurrent et constamment vu.
Il ne me répond pas directement, présentant la scène du loup qui tombe dans un cratère, tandis que ses deux amis sont encore debout en train de l'observer.
— En regardant cette scène entre trois loups. Qu'est-ce que tu aurais fait pour rendre cette scène originale ? Sans rentrer dans quelque chose de vu et revu, pour reprendre tes mots.
Honnêtement, s'il compte me poser de telles questions, il me tarde de trouver une idée pour lui couper la tête au moment où il s'y attendra le moins. Je guide ma main vers mon menton pour observer la scène en détail, mais aucune idée me vient. En vérité, pourquoi devrais-je faire son sale boulot pendant que mes amis se démènent pour survivre ?
— Pourquoi je devrais modifier une histoire dont je ne connais qu'un faible segment de la surface, sans les enjeux ni les informations qui ont mené à cela ?
Une nouvelle fois, le regard du Souverain s'assombrit, accompagné de sa main qui dégage l'écran.
— Bonne réponse... Pour l'instant.
Un autre livre se détache du cercle qui nous entoure, s'ouvrant pour refaire la manipulation de l'écran de présentation. Une histoire classique d'un héros avec une particularité dont il aura besoin pour sauver son monde. C'est le typique des "shonens", mais dans un univers qui mélange les époques, cela donne une touche intéressante.
— Est-ce que pour toi, ce qui se présente face à toi est une histoire ?
— Le terme d'histoire est beaucoup trop large pour imposer des restrictions. Mais pour te répondre, cela en fait partie.
Sans répondre de vive voix, le Rédacteur effectue un geste de main qui ferme le livre à distance. La première de couverture m'est visible, avec le titre : "Ce n'est pas une histoire."
— Alors comment interprètes-tu ceci ?
D'un coup, la situation devient beaucoup plus délicate, mais en vérité, une autre questions plus importante traverse ma conscience : cherche-t-il une vraie réponse à travers mes mots ? Ou bien a-t-il déjà prévu de me tuer quand notre discussion sera terminée ?
En me replongeant dedans, j'arrive à émettre une déduction.
— L'auteur semble avoir une idée derrière la tête, pour avoir nommé son livre comme ceci. Un titre qui entre en contradiction avec ce qui est proposé pour le lecteur. Il a admis que son écrit n'est pas une histoire, alors que pour les lecteurs, s'en est une.
— Alors, pour reprendre tes précédents mots, sur le fait que le mot "histoire" était trop vague pour être limité, en te basant sur le livre... On peut se permettre de poser la question suivante...
Son regard s'assombrit, accompagné par l'atmosphère et le poids de l'air qui est de plus en plus pesant.
— Qu'est-ce qu'une véritable histoire ?
J'ai l'impression de revivre mes cours de philosophie pendant que mes amis doivent être en train de souffrir à l'extérieur. Si seulement je pouvais trouver un personnage suffisamment puissant pour tuer immédiatement le Souverain.... Mais si un tel personnage était dans ma bibliothèque, il serait sans doute trop grand pour mes propres capacités, et ce n'est clairement pas le moment de tenter des choses absurdes.
— Il est impossible d'avoir une véritable réponse à votre question. C'est beaucoup trop abstrait et subjectif pour espérer différencier une vraie histoire d'une fausse.
Un nouveau silence s'installe. Le livre qui nous sépare disparaît, ainsi que tous les autres, à l'exception de trois. Chacun présente un combat : Youmi contre l'épéiste blanc. Barakabo contre une jeune fille, et mes amies contre une elfe qui n'utilise aucune technique magique.
— Avec ta réponse, une ultime question m'est venue... Si tu y réponds, je te libérerai.
— {...}
Calmement, l'homme plaque ses mains sur ses accoudoirs et se relève, le regard abaissé pour partir sur le côté, me tournant le dos.
— Ecrire une histoire sur un écrivain célèbre... Peut-il se demander "et si j'étais moi-même le personnage d'un auteur ?"
Sa question me provoque un nœud au cerveau. De quoi il parle ? Et puis c'est quoi cette ultime question ? Le temps de formuler ma question dans ma tête, l'homme reprend.
— A force d'écrire toutes ces histoires qui se sont matérialisées dans la réalité, devenant indépendantes de ma plume mais où j'ai également la possibilité d'intervenir à ma guise... Je me suis posé cette question : Et si, au travers de mes nombreuses créations, j'en étais moi aussi une ?
— Dans ces cas-là, toutes les histoires que vous avez écrites seraient en vérité l'œuvre de votre créateur ?
Le Souverain lève lentement la tête, l'atmosphère s'adoucit, mais en même temps, devient de plus en plus pesante. Mes poils commencent à se dresser, et ma gorge commence à me faire mal.
— Si tu étais un personnage d'un livre, où toutes tes rencontres, ta personnalité, tes blessures, était ce qu'avait prévu cet auteur d'une autre réalité... Qu'aimerais-tu lui dire ?
Est-ce sa véritable question ? Si j'étais un personnage et que je voulais laisser un message à celui qui m'a créé ? Mon cerveau n'arrive pas à imaginer cela, car cela voudrait dire que même ma pensée est dirigée par cette personne.... Bordel, tout cela commence à me donner mal à la tête. J'arrive à ouvrir la bouche pour lui répondre
— Si nous sommes tous les deux les personnages d'un même auteur, alors il avait prévu depuis longtemps que nous nous poserions cette question... C'est comme briser volontairement le quatrième mur, et que si des personnes nous observent à travers des mots, se poseraient également la question suivante : "Que pourraient penser ces personnages de moi ?"
— C'est comme si on était des pantins qui connaissons les coulisses, mais que nous ne pouvons rien faire face à ce qui a été prévu... Dans ce cas, si nous sommes des personnages, alors le destin est écrit à l'avance... renchérit le Souverain.
Je n'arrive même plus à exprimer quoi que ce soit, tellement sa question m'a chamboulé. Et si c'était vrai ? Si, peu importe où je regardais, j'étais observé par des spectateurs invisibles de ce que j'ai vécu, de ce que je vis et de ce que je subirai.
Un livre passe à côté de moi, et dont j'ai eu la possibilité de lire rapidement le titre : "Le récit des Ascendants". Une minute, est-ce que cela parle de moi et de mes amis ? Le bouquin s'arrête à côté du Souverain qui lève une main, invoquant une plume entre ses doigts qu'il saisit.
— Tu as tort sur une chose, Neo le Lecteur...
[Pov Souverain]
— Même s'il s'avère que nous sommes les personnages d'une même personne...
Mon ouïe perçoit le son de pas qui ont pris appui sur le sol, accompagné d'une impulsion redoutable. Je lance un regard sur le côté, apercevant le lecteur qui s'est lié avec un personnage de sa bibliothèque. Il invoque une épée d'obsidienne, prête à me pourfendre, mais...
— Le livre des Ascendants est également une de mes créations.
Alors que la distance entre nous deux a diminué de moitié, ma main écrivait à une vitesse telle que j'ai eu le temps d'écrire tout un paragraphe.
"Le Lecteur comprit la vérité sur sa propre existence après avoir été témoin du titre du livre à côté du maître de ce monde : Il était la création de cet homme, de toute pièce. L'élancée produite était pour lui un moyen de faire face à son destin, mais malheureusement, le choc psychologique de la conversation, couplé à cette nouvelle vérité perturbe sa concentration, et par extension, son pouvoir."
La Symbiose de Neo se coupe brusquement, en harmonie avec son corps qui s'écroule au sol, mais dont ses genoux permettent d'amortir l'impact. Il se met à respirer fortement, les yeux écarquillés, comme s'ils sortait d'un cauchemar. Après tout, il reste un personnage qui a abandonné son propre livre pour se rendre dans un autre.
— Lecteur qui se vantait que ta vitesse de lecture était rapide...
Ma main écrit, à la suite du paragraphe, si rapidement que la pointe de ma plume disparaît.
— La main de ton créateur reste ton épée de damoclès.
"Le cœur du lecteur s'emballe avec ses pensées internes. "Suis-je un personnage de deux auteurs ?" "Est-ce que tout cela était prévu ?" "Pourquoi le Souverain voulait discuter avec un de ses propres êtres fabriqués à travers son encre ?" "Pourquoi a-t-il laissé les personnages d'un de ses livres se rendre dans le monde où il réside ?"
"Cette avalanche de questions qui ne connaîtront jamais de réponses contractent le cœur du lecteur, qui amène ses deux mains vers sa poitrine en se tordant de douleur. Il ne faut que quelques secondes pour que la crise cardiaque opère, avec la mort de l'Ascendant le plus puissant qui ait vu le jour dans son livre."
Sous mon regard de marbre, la vie du lecteur s'éteint devant moi, son corps couché au sol cessant tout mouvement. Depuis sa bouche, ses oreilles et son nez, une vapeur magique se dégage, celle de son pouvoir qui s'évade pour retrouver sa liberté. Dire que j'ai créé un tel pouvoir envers cette personne, cela en est presque effrayant.
— Merci pour cette conversation.
Le livre des Ascendants se referme pour être remplacé par trois autres. Chacun présente ce que vit actuellement un des Originels, eux qui sont en plein conflit avec ces envahisseurs. Je me réinstalle dans mon siège et contemple le spectacle, bien que, même sans que j'intervienne, je connaisse déjà la finalité.
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