Juste après le départ des Lames de Célestia, j'ai ordonné aux autres de se tenir prêt pour une réunion le lendemain, dans les bureaux de la compagnie, afin de leur laisser le temps de réfléchir sur leur désir ou non d'accompagner Youmi.

Ce lendemain, c'est maintenant qu'il a lieu. Regroupés autour de plusieurs tables rangées en forme carré, chacun de nous occupant un côté, un silence pesant envahit la pièce uniquement ornés de ces meubles et d'un grand tableau derrière moi.

On s'échange tous un regard jugeur, prêt à dégainer au moment où la première personne ouvrira la bouche, et en tant que la cheffe de la compagnie, c'est mon devoir.

— Bien. Tout le monde est là. J'imagine que vous connaissez déjà le sujet de cette réunion.

Je plaque mes deux mains contre le bureau face à moi et me relève pour partir vers le tableau. Avec ma magie, je fais briller ma main droite et commence à écrire sur le tableau le mot "Éclipsia" en majuscule. Une fois cela fait, je me réinstalle en poursuivant mon discours.

— Pour vous faire un résumé. Malgré notre tentative de le dissuader par la force, Youmi est déterminé à aller détruire l'Éclipsia afin de libérer les corps et âmes des défunts pour de bon. Hors, il nous a laissé le choix de l'accompagner ou non, et que, peu importe notre décision, il partira quand même.

A la fin de ma phrase, je m'assois sur mon siège et plaque mes coudes sur le bureau. Je fais joindre mes mains pour poser mon menton sur la masse formée par mes doigts.

— Nous avons toujours promulgué l'entraide, où nous irons n'importe où ensemble. Youmi ne s'est jamais considéré comme un des nôtres, mais pour nous, sauf si vous voyez une objection, il a toujours été un membre de notre groupe. Mais compte tenu de cette situation exceptionnelle, et selon la conclusion de la réunion, cette règle prend le risque d'être transgressée.

Les regards que mes amies m'envoient me mettent un poids supplémentaire sur l'épaule. Vu de l'extérieur, on dirait une banale réunion du CSE, mais c'est seulement pour ceux qui ne connaissent pas l'existence des êtres qui ont abandonné leur monde natal.

— Je n'imposerai pas une décision unanime. Chacun sera libre de rester dans ce monde ou d'aller rejoindre Youmi. Lors de ce débat, je ne demanderai pas une réponse définitive, mais plutôt que nous partageons nos points de vue sur la situation. Quant à savoir qui en fera partie, on verra le dernier jour.

Je lance un regard à Louve, celle qui est la plus proche de l'ange, qui est légèrement contrariée. Elle se lève la première et prend la parole.

— Comme l'a dit Espoir, tout dépend de si on pense tous que l'ange bleu est un des nôtres ou pas. Si nous pensons unanimement que oui, alors nous n'aurons pas à bafouer notre code d'honneur. S'il fallait se poser une seule question, ce serait plutôt : Peut-on vraiment affronter tout un monde ? Même avec les alliés de Youmi.

— On ne parle pas de n'importe quel monde, on parle d'un monde qui récupère l'âme et le corps de ceux qui meurent au lieu de les laisser se reposer. Cette attaque revient à défier la Mort elle-même. enchaîne Neo.

L'ange et le lecteur se fusillent du regard. Cependant, Louve me donne son regard fermé.

— Cheffe, vous nous avez fait venir, mais comme vous l'avez dit, chacun est libre de sa décision. Le mieux aurait juste été que chacun reste dans son coin et réfléchisse personnellement. Nous avoir rassemblé ici était tout sauf utile.

La dernière phrase de Louve résonne quatre fois dans mes oreilles, me provoquant une respiration lente en plus de me faire serrer les mains entre elles. Je révèle mes yeux de dragons à l'attention de la responsable de sécurité.

— Cette situation n'a rien de courant, ange de la météo. Si depuis le tout début, je vous laissais faire selon votre guise sans ses réunions entre Ascendants, on en serait pas là aujourd'hui.

— Peut-être, mais là, il n'est pas vraiment question de "nous" en général ! elle tend son bras vers le côté en pointant du doigt dans la direction. De base, on devait empêcher cette tête de mule d'aller droit vers une mort plus que probable ! Et maintenant on se retrouve à choisir entre le laisser crever tout seul où tomber avec lui !

— Non. renchérit le lecteur sur un ton froid.

Avec Louve, je donne mon attention à l'Altéré qui croise les bras devant lui.

— J'ai compris une chose dans la mentalité de notre ami. Quand il nous a sauvé de Caelus, ce n'était pas pour nous sauver nous, mais eux ainsi que leur monde en leur faisant décrocher leur idéologie. Quand je l'ai retrouvé à Célestia, il avait un but complètement personnel, lié à l'Éclipsia. Il se concentre que sur ses intérêts personnels en évitant d'y mêler ses proches. Cette situation est similaire : il nous laisse le choix, mais en vérité, il ne veut pas que nous nous en mêlons.

— Refuser de mêler ses proches en formant une armée personnelle sur des Exilés avec pour seul point commun de détruire le tombeau des Exilés ? C'est pas un peu tiré par les cheveux ? questionne subitement Louve.

— Avoir une valeur ou un objectif commun permet de compenser l'inconnu entre deux personnes. C'est bien notre cas, non ? Nous sommes membres du CSE d'une compagnie tout en étant des existences extérieures à ici, et pourtant, on ne se connait pas véritablement sur le plan personnel. en répliquant à sa suite.

Louve se lève subitement et nous fait dos, croisant les bras devant elle.

— De toute façon, j'avais déjà prévenu Youmi quand on se faisait face. S'il décide d'y aller, il va devoir supporter ma présence. Je ne le laisserai pas tomber.

— Tu négliges un problème, Louve. On ignore à quoi ressemble ce monde. Il est plus que probable que le terrain ne soit pas à ton avantage, et de nous, tu es celle qui dépend le plus de son environnement. en renchérissant à son attention.

Louve pouffe sans grande discrétion, en plus de me faire un regard de côté.

— Ce n'est pas comme si je ne pouvais pas adapter mon environnement. Je ne suis pas un sorcier qui se repose exclusivement sur ce qui l'entoure, non plus.

Un nouveau silence se pose dans la salle, que Neo brise après plusieurs secondes.

— Nous ignorons les connaissances des Lames, surtout de Barakabo qui a pu s'en échapper. Le mieux aurait été qu'ils nous informent de ce qu'il compte faire.

— Tu oublies qui est leur chef ? Être prudent, c'est sa signature. enchaîne la responsable de sécurité.

Sans signes annonciateurs, un violent coup frappe une table, produisant une onde qui souffle la pièce. La personne responsable, c'est Athis, qui nous coupe tous les mots. J'ignore si tout le monde à ce détail qui leur revient : Elle faisait partie de Némésis, qui a déjà défié l'Éclipsia.

— Vous ne savez même pas de quoi vous parlez ! s'écria la faucheuse aux papillons, nous lançant un regard glacial.

Elle se lève d'un coup, beaucoup plus violemment que Louve en remettant un coup sur la table.

— De tous les mondes que j'ai connu avec Némésis, l'Éclipsia est le seul où nous avons été obligés de fuir ! Les Trois Originels sont les Exilés les plus puissants qui existent, sans même parler de leur Souverain !

Aucun de nous n'ose répliquer, car celle qui a pris la parole est la personne qui connaît le mieux la destination de notre ami. Fermant ses poings, elle fait un mouvement de tête sur le côté.

— Quand Némésis était dans son âge d'or, Zeleph a tenté de prendre d'assaut l'Éclipsia... L'Originel du Cercle du Cauchemar s'est présenté à nous, un mage-guerrier qui excelle dans la matérialisation d'armes de mêlée et dans les attaques enchantées. Sa particularité est qu'à chaque ennemi tué, il vole leur signature pour se l'approprier

— Voler des signatures ? Comme Caelus ? demande subitement Louve.

— Oui, et cela lui confère une réserve de magie impossible à définir. Il ne peut pas hériter des pouvoirs de ces victimes, mais seulement de la quantité de magie présentée dedans. Il peut même sacrifier les signatures volées pour augmenter exponentiellement la puissance de ces attaques, au prix de la perdre pour de bon.

Athis coupe une nouvelle fois ses mots, serrant deux fois ses poings.

— Némésis n'a rien pu faire contre lui, mais étonnamment, il n'a pas du tout cherché à nous tuer, mais à nous écraser avec sa puissance. C'est le premier Originel à nous bloquer la route, et cela nous a obligé à fuir.

— J'imagine que tu n'as aucune information sur les deux autres ? en questionnant la faucheuse.

— Vaguement. L'Originel du Triangle de la Sagesse serait une fille d'apparence enfantine, qui n'a aucune force physique, mais dont sa spécialité est la création de mondes alternatifs. Du moins, ce ne sont que des rumeurs.

— Un guerrier magique et une créatrice de décor. J'ai hâte de connaître le dernier.

Un nouveau silence s'installe de la part d'Athis.

— Le Carré de l'Équilibre... Je n'ai aucune info sur son gardien...

Subitement, Neo se lève de sa chaise, la repoussant en arrière et faisant frotter les pieds de cette dernière contre le sol. Cela a suffi à attirer l'attention de tout le monde.

— Barakabo le sait ! Il a dit avoir défié ce gardien avant que l'on confronte Youmi ! On a toutes les infos sur nos ennemis !

— Il en manque un. renchérit la faucheuse.

Une nouvelle fois, Athis attire toute notre attention, mais ce coup-ci, son corps se met à trembler.

— Le Souverain... Il ne s'est jamais présenté... On ne connaît que sa voix... Écrasante... Profonde... Mais en même temps... Apaisante.

— Je pense que l'on peut clôturer la réunion ici. en enchaînant après la faucheuse.

Je reçois l'attention générale de tout le monde, tandis que je quitte mon bureau, non sans ajouter un dernier détail.

— Comme je l'ai dit au début, vous prendrez chacun votre propre décision, mais vous ne devrez jamais en informer les autres pour ne pas fausser leur jugement. Le dernier jour, ceux qui ont refusé de participer, on se retrouve dans cette pièce. Cela vous convient ?

Tout le monde hoche la tête, puis un par, on quitte la salle de réunion.

[Pov Tempête]

Les jours ont passé depuis la rencontre entre mon groupe et celui des Ascendants. Dès demain, c'est le grand final. L'objectif de ce groupe formé par notre commandant va avoir lieu. Ma faux en main, je me promène dans les couloirs du vaisseau en direction de la salle de commandement. La grande porte s'ouvre toute seule devant moi, me révélant Youmi de dos, faisant face à des écrans holographiques devant lui étalé en demi-cercle, en compagnie des jumeaux Caelus et Stelle.

Ces derniers remarquent ma présence, et il ne faut pas longtemps pour que l'ange des étoiles me remarque aussi. Il abandonne ses écrans et me fait face pendant que je me rapproche pour poser un genou au sol, plaquant mon poing contre mon cœur.

— Commandant. Tous les préparatifs sont terminés. Nos soldats sont prêts pour demain, tout comme les autres capitaines.

— Parfait. D'ailleurs, Tempête...

Je relève la tête à l'attention de mon chef, qui se met à ma hauteur avec un regard tendre.

— Qu'en est-il des Ascendants ?

— Aucune information les concernant ne m'a été relevée, ni par les autres capitaines. Vos soldats attendent votre ultime discours sur le terrain d'entraînement.

[Pov Youmi]

— {Même Louve s'est désistée... Si elle n'est pas là, alors surtout pas les autres...}

Tandis qu'avec Tempête et les pionniers, on se dirige vers la sortie du vaisseau, je ne peux m'empêcher d'éprouver une certaine déception. Louve m'a clairement dit à la fin de notre duel que peu importe où j'irai, elle sera là pour m'accompagner et me surveiller, mais elle a changé d'avis ? Cela ne lui ressemble pas.

Sur la plateforme, j'enclenche la descente de cette dernière grâce à un pupitre, qui nous ramène à l'extérieur, devant deux rangées de soldats, l'une avec Gavric en tête, et la seconde qui attend Tempête. Barakabo quant à lui, est tout à droite, qui se fait rejoindre par Stelle et Caelus.

— Bien. Je suis ravi de vous voir tous réunis, fidèle à votre engagement dès lors que vous avez rejoint les Lames.

Derrière moi, j'entends la plateforme du vaisseau se relever, mais en même temps, je ressens une présence qui n'appartient pas à mon groupe. Avant même que j'ai le temps de tourner la tête, une voix rompt le silence.

— Tu nous a oublié ? sur un ton blagueur.

Lentement, mon regard s'étend un peu plus sur le côté, jusqu'à apercevoir la personne dont provenait cette voix si sûre d'elle et avec ce ton moqueur. J'esquisse un faible sourire amusé.

— Sacrée surprise.