Je sens mon corps se faire secouer, et je reprends conscience, ouvrant lentement les yeux. Face à moi, mon capitaine aborde un air inquiet qui passe au soulagement en croisant son regard.

- Commandante, vous allez bien ! Je pensais que vous aviez succombé de la lame de l'épéiste !

- {L'épé... iste ? Il m'a pas... ?}

Alors que je me relève, ma main droite se plaque contre mon front. La dernière chose dont je me souviens était l'étranger me bloquait au sol avec son pied contre ma gorge. A quel moment m'a-t-il assommé ?

- Capitaine Willy, faites-moi un résumé de ce dont vous avez été témoin.

- J'ai vu l'épéiste vous assommer d'un coup de pied. Il m'a ensuite adressé un regard qui aurait pu me geler sur place, mais il a fini par quitter la ville. Nous sommes les derniers survivants, et j'ai dû vous porter en dehors de la ville à cause de forces ennemies qui arrivaient pour reprendre la ville.

Sa dernière phrase m'intrigue. Je regarde autour de moi, et on se trouve à l'entrée d'une forêt à proximité de la ville.

- Où est parti l'épéiste ?

- Quand je l'ai aperçu, il se rendait vers Pogrus.

Pendant un instant, mon esprit se coupe. Pogrus, la région que protège Youmi ? Pourtant, la logique aurait voulu qu'il parte pour Uchar qui est juste à côté et plus proche, surveillée par Louve.

- {C'est quoi ce bordel ?}

- Au fait commandante.

Je redonne mon attention à mon capitaine, tout en me relevant.

- Un problème ?

- Oui. Un messager a survécu et à pris diverses notes, apparemment selon votre ordre. Comme j'ignorais si vous étiez en vie, j'ai pris l'initiative de lui ordonner d'aller rejoindre le commandant Youmi pour lui transmettre les informations.

- Vu la direction qu'a pris l'étranger, tu as bien fait. Je ne manquerai pas d'annoncer cet exploit aux reines.

- Utiliser votre voix pour un acte aussi simpliste n'est pas nécessaire, commandante. Le plus important est d'aller rejoindre nos camarades.

- En effet. La région de Pogras est sous le contrôle de Youmi. Cependant, il aurait dû d'abord passer par Uchar, et cela m'intrigue.

- Je suggère de faire un repli aux royaumes pour tout mettre au clair, commandante. Nous ne pouvons pas émettre de théories seulement à nous deux.

- Requête acceptée. Ne tardons pas.

[Pov Youmi]

Cinq jours ont suivi la défaite de l'armée de Cassy, mais la nouvelle de sa survie a étonné les souveraines. Sur un vote conclu à l'unanimité, elle et son capitaine sont partis rejoindre Neo à Ospye.

Dans mon cas, je suis avec ma capitaine Mona et mon capitaine Gawter. Mes éclaireurs ont affirmé que l'ennemi approche très rapidement, et qu'il atteindra le quartier général où je suis en ce moment dans peu de temps.

- Mona. Gawter. Pensez-vous que nous avons une chance ? Répondez en tant que vous-mêmes, pas en tant que capitaines.

La capitaine met une main sur le coin de sa tête, le regard vers le sol.

- J'ai toujours pensé que l'escouade de la commandante Azalea était bien meilleure que la nôtre, alors la nouvelle de leur cuisante défaite m'a mis un sacré coup au moral. Si toute une armée ne peut rien contre lui, alors on va droit vers les enfers.

- Je partage l'avis de Mona pour le coup. Je suggère de vérifier comment réagirait l'inconnu si un duel lui était proposé avant même de lancer une attaque totale. On pourrait en tirer quelques informations. continue Gawter.

Une idée me traverse l'esprit. J'abandonne la carte des yeux et fait face à Gawter.

- Gawter, prépare les chevaux.

Sur ces rapides mots, je fais le tour de la table contenant le plan de bataille et me dirige vers la porte, sous le regard de mes capitaines.

- Vous avez une idée ? demande ma capitaine.

- Prenez tous les soldats et partez pour l'entrée de la capitale. Tu seras leur nouveau chef. Mona, reste avec moi en tant que témoin.

- Attendez ! s'exclame Gawter.

Je m'arrête et lui fait face, l'air de marbre. Il continue.

- Vous comptez rester pour le défier en combat singulier ?

- C'est notre unique occasion de réduire grandement le nombre de pertes et d'en apprendre davantage. Mieux vaut que cela soit un haut-placé qui se sacrifie contre lui plutôt qu'un soldat moins expérimenté qui ne saurait pas tenir contre un adversaire de cette envergure.

D'un pas énervé, la jeune femme se rapproche de moi.

- Commandant, nous, vos capitaines, sommes aussi puissants. Laissez-nous combattre à votre place ! Vous êtes beaucoup trop important pour que vous vous sacrifiez !

Je m'avance vers Mona et plaque ma main sur son épaule.

- Capitaine Mona, même si des sacrifices doivent être faits, ils ne doivent jamais être vains. J'ai pleinement confiance en vous, et je vais vous donner votre mission : Quand mon combat contre l'épéiste se finira, part immédiatement retrouver Louve et reste à ses côtés.

Je décolle ma main de son épaule et m'adresse à Gawter.

- Gawter. Comme je t'ai dit, tu prendras le commandement de toute la division et tu retourneras à la capitale. Tu seras sous les ordres des souveraines et accompagné des soldats d'élites qui surveillent le royaume de l'intérieur. Vous formerez l'ultime rempart.

Le capitaine concerné reste silencieux, fermant ses poings.

- Bien, commandant.

- Sur ce, allons informer tout le monde.

Plusieurs minutes se sont écoulées. Mon discours était simple et efficace. Gawter a pris les chevaux et les soldats sont partis pour la capitale. Mona s'est cachée à un endroit où elle aura une vue parfaite sur la suite.

J'ai récupéré ma lame double, un bâton où les extrémités logent des lames orientées sur le côté, de façon à ce qu'en tournant dans un certain sens, le côté tranchant soit mis en avant.

En parallèle, derrière moi, ancré dans le sol, se trouve le drapeau du royaume que je sers. Mon armée sera le dernier rempart du royaume, tandis que je suis le dernier rempart de cette ville.

En face de moi, la silhouette de l'épéiste se dévoile. Sa cape encapuchonnée maculée de sang, son épée dégainée tâchée du sang de mes camarades, sa démarche lente et confiante. Quand je le vois, mon cœur bat à un rythme rapide mais étrangement rassurant. Mes muscles se contractent, et mon instinct entre en ébullition. Dans ma tête, une seule phrase résonne, elle en dit long.

- {C'est comme si j'avais rejoint le champ de bataille... Pour vivre ce moment...}

A une dizaine de pas de ma position, l'épéiste s'arrête. Sa posture, son épée abaissée sur le côté, son silence, tout est angoissant. Ce type dégage une atmosphère pesante, mais en même temps, je ressens une sensation étrange.

En tout cas, il ne m'a pas attaqué directement. C'est comme s'il attendait que cela soit l'ennemi qui attaque en premier. Une question me vient en tête : Si je range mon arme, va-t-il m'épargner et continuer sa route ?

- Vos actions et votre popularité vous précède, épéiste inconnu.

Il ne réagit pas, conservant la même posture, comme une statue, à l'exception que la légère brise fait bouger sa cape. Connaissant les autres commandants, ils auraient déjà tenté un assaut contre lui.

Après vingt secondes de silence, je soupire et prend ma position de combat, passant mon arme dans ma main droite et la faisant tourner.

- Alors approche.

L'épéiste se met en position pour charger, et après un dernier échange de regard, on fonce l'un vers l'autre. Nos armes s'entrechoquent dans un bruit de métal, sauf que mon adversaire exerce une force bien plus dévastatrice en l'espace d'une seule seconde, me faisant reculer de plusieurs pas.

- {Je m'en doutais...}

L'ennemi prend une impulsion vers moi, son arme placée pour effectuer un coup d'estoc. Je saisis mon manche avec deux mains et effectue une double rotation, révélant un petit système mécanique qui détache le bâton en deux.

Avec mes deux armes, je les place en croix pour bloquer l'attaque, bien que le choc me repousse davantage. Je me remets sur mes pieds et effectue une charge à mon tour, mes lames prêtes à frapper.

[Pov Mona]

- {L'ennemi a toujours une seconde d'immobilisation après ces attaques...}

Le combat dure depuis trois minutes, et quand je vois le niveau de mon commandant fasse à cet étranger qui était supposé invincible pour mes alliés, je me demande s'ils ne viennent pas d'un autre monde.

L'ennemi n'utilise même pas ses attaques amplifiées ou ses mouvements qui brassent le vent. Les conserve-t-il seulement face à une grande armée ? Ou bien possède-t-il un sens de l'honneur qui l'empêche d'utiliser cette méthode contre quelqu'un qui a engagé un duel en face à face ?

- {Commandant...}

Après une succession d'attaques croisées, évitées et bloquées, l'adversaire effectue une ultime attaque qui désarme Youmi en plus de le faire s'écrouler au sol. Ma main plaquée contre le mur à côté de moi se serre, exprimant mon envie d'aller le rejoindre pour l'aider, mais ce n'est pas la mission qui m'a été donnée.

Contre mes attentes, l'adversaire range son épée et tend sa main vers Youmi. Sur l'instant je crois rêver, un adversaire qui tue quand il veut, en train de faire un geste de sympathie ? Le commandant accepte et se relève. Je peux voir les lèvres de l'inconnu dire quelques mots, mais je suis trop loin pour entendre. L'ennemi effectue un hochement de tête et fait demi-tour.

- {C'était quoi, ce bordel ?}

Je me dépêche de rejoindre mon commandant, qui m'adresse un regard de marbre.

- Commandant, que s'est-il passé ?

- J'ai pu obtenir quelques informations. Et toi, de ton côté ?

- Oui, moi aussi, mais c'est sa façon de pensée qui est complètement décalée.

Mon chef regarde en direction de là où est parti l'épéiste, conservant son air de marbre.

- Il pense comme un guerrier. Il a un code d'honneur et élimine tous ceux qui n'ont pas cet instinct... Du moins, si on oublie le fait qu'il a ignoré la commandante Cassy.

- Justement, c'est cela le problème. On ne peut pas prévoir ce qu'il va faire.

- On en reparlera plus tard. Allons retrouver Gawter. J'en profiterai pour faire mon rapport aux Altesses.