Il était une fois...
Cette histoire est d'abord inspirée du conte d'origine, et non de la version Disney (que j'adore, ceci dit) :) J'espère qu'il saura vous plaire!
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Il était une fois, en un temps bien reculé, un royaume.
Un royaume gouverné par un roi et une reine au cœur sec, dur et aigrit, qui n'en finissait plus de s'effriter et disparaître un peu plus chaque jour.
Alors qu'elle arrivait à la fin de sa vingt-cinquième année, la reine mit au monde un enfant. Un fils. Un héritier royal auquel ils s'empressèrent de donner tout l'enseignement qu'ils estimaient indispensables. Le maniement des armes. Les ficelles de la politique. L'art du mensonge. Le talent de la duperie. La maîtrise de son image et de son charme.
À vingt et un ans, le prince héritier était aussi détesté par ses sujets que l'était ses parents, et s'en vantait à qui voulait l'entendre.
Puisant sans vergogne dans les richesses du trésor public, il donnait bal sur bal, plongeant à chaque fois un peu plus loin dans le luxe et la luxure. Le prince adulait la beauté. Plus critique sur lui-même qu'un artiste avertit, il détaillait sans honte toute personne ayant l'honneur de le frôler. Ses mains se perdaient sous les vastes jupes des filles, caressant les peaux lisses avec une délectation toute animale, qui conduisait sa proie dans une chambre tapissée de fourrure, où, dénudée, elle offrait ses cris à celui qui la désirait... Pour peu qu'elle soit parfaite. Aucune cicatrice, aucune marque de naissance, pas le moindre petit bleu n'était toléré par cet insatiable prince, capable de jeter dans la rue le moindre objet de déception.
Et ce qui devait arriver arriva. Ne faites pas comme si vous n'aviez jamais lu le conte...
Il y avait bel et bien une Fée, en ce royaume étranger. Une Fée des plus puissantes, qui vivait dans les Bois Sombres, loin du monde des humains.
Un jour que cette Fée était tranquillement assise dans sa clairière, occupée à tresser ensemble des rayons de soleil, une femme en larmes vint la trouver.
L'être de lumière consola la mortelle comme elle le put puis l'invita à parler. Elle écouta avec tristesse et colère le récit de la malheureuse. Une mère qui avait vu sa fille, si belle et si douce, tomber amoureux d'un prince au cœur de pierre qui l'avait jeté à la rue pour une tache de naissance mal placée. La pauvre était morte de maladie, autant affaiblie par le froid que par la douleur.
-Est-ce vengeance que vous venez chercher ? Demanda doucement la Fée.
-Vengeance pour toutes les femmes blessées, acquiesça la mère en larme, vengeance pour toutes les âmes meurtris par un cœur de pierre.
La Fée consulta un instant le vent qui bruissait dans les arbres et l'eau qui courrait sur les pierres de la rivière. La nature peut être cruelle, implacable, sans pitié et sans demis-mesures...
-Il mourra donc, déclara la Fée. Lui et ceux qui ont forgé son âme.
Et aussitôt ces mots dits, elle se changea en vieille femme et se rendit au palais.
Un page lui ouvrit et la regarda avec tristesse :
-Ma pauvre dame, j'ai bien peur que vous ne trouviez ici ni pain pour vous nourrir ni feu pour vous réchauffer. Les maîtres de ces lieux n'aiment que les belles apparences. Je ne peux pour vous aider que partager mon repas...
La Fée tourna vers lui ses yeux d'or, intacts sous son déguisement, et lui dit :
-Prends avec toi tous les serviteurs qui travaillent ici, et fuyez. Soyez tous partis avant ce soir.
Et elle continua son chemin, sans douter un seul instant d'être obéis.
Elle se rendit d'abord dans les appartements royaux. Le roi et la reine, qui avait chacun leurs amants et dédaignaient les choses de l'amour, faisaient bien sûr chambre à part. La Fée vint donc les voir un par un. Et tous les deux, en la voyant, eurent un sursaut de dégoût et voulurent la chasser du palais. Par trois fois, elle leur demanda pitié, et par trois fois, ils refusèrent.
Alors elle reprit son apparence gracieuse. Et ils eurent beau la supplier, la flatter et lui promettre mille richesses, elle demeura inflexible et pointa sur eux sa baguette d'or.
-Que votre chair soit à l'image de votre cœur.
Et le roi et la reine se changèrent en statue de pierre.
Puis la Fée se rendit dans les appartements du prince. Elle entra sans frapper, et fut extrêmement surprise de le retrouver sur son balcon, un verre d'eau à la main.
Il était en train de donner à boire à une minuscule rose rouge plantée dans un pot de terre. Ceci fait, il arrangea la terre autour de la jeune pousse et caressa avec tendresse chaque pétale de la fleur, appréciant rêveusement son contact soyeux.
Soudain, il se rendit compte qu'il n'était pas seul dans la pièce, et se retourna brusquement, honteux d'avoir été pris en flagrant délit de ce qui lui apparaissait comme une faiblesse.
La vieille dame lui demanda le gîte et le couvert. Par trois fois elle réitéra sa demande, et par trois fois il refusa. Enfin, au dernier refus, elle revêtit de nouveau ses habits d'or et dit :
-Prince, je suis venu ici punir ton égoïsme, comme j'ai punis celui de tes parents. Et pourtant...
Elle s'approcha de la rose et caressa du bout de sa baguette les pétales fragiles.
-Tu m'as montré que tu savais faire preuve de tendresse, ne serais-ce qu'à une fleur. Il reste encore, au plus profond de toi, un peu d'amour à donner. Je ne te tuerais pas, prince, mais je te maudirais par où tu as pêché.
Elle posa sa baguette sur sa poitrine. Aussitôt, le prince se tordit de douleur et tomba à quatre pattes sur le marbre froid.
Un crissement horrible lui arracha un frisson. Ses doigts s'étaient allongés, et ses ongles étirés jusqu'à former des griffes, de longues griffes noires qui striaient le sol de sillons déchiquetés.
Ses habits se déchirèrent alors que ses épaules s'élargissaient et ses jambes se cambraient.
Petit à petit, son corps se couvrit de poils noirs qui poussèrent, encore, et encore, sur chaque parcelle de sa peau.
Ses yeux s'élargirent. Sa vision changea. Ses prunelles s'étaient découpés en amandes, à la façon des chats.
Ses dents s'allongèrent, ses canines pointues et tranchantes s'aventurant hors de ses lèvres.
Des cornes trouèrent la peau de son crane pour s'enrouler sur elles-mêmes, comme celles d'un dragon.
Le prince baissa les yeux sur le sol parfaitement lustré.
Il y vit le reflet d'un monstre. Une abominable bête.
Une larme s'échappa de son œil. Une larme humaine, qui alla se perdre dans la fourrure qui avait engloutit son visage si parfait.
Il lâcha un long hurlement et se recroquevilla au sol, la face cachée au creux de ses bras.
-Je te maudis, dis doucement la Fée. Je te condamne à être la Bête. Tu ne pourras plus sortir de ce château. Tu ne vieilliras plus. Et tu oublieras peu à peu ce qui fit de toi, un jour, un humain.
Le monstre leva sur elle des yeux pleins de larmes.
-Il y a un moyen de lever la malédiction, ajouta enfin la créature magique. Tu devras aimer. Aimer et te faire aimer en retour. Avant d'avoir entièrement oublié qui tu es.
Un rayon de soleil traversa les fenêtres et inonda la pièce.
Lorsqu'il se retira, la Bête était seule, seule au milieu de cette chambre froide, seule au milieu de ce château immobile, figé dans le temps, dont les seuls autres occupant étaient deux statues mortes depuis longtemps.
Les habitants du petit village, à côté du château, avaient entendu les hurlements de la Bête. Tous avaient supposé que la Fée les avaient vengés. Mais nul ne s'était plus aventuré dans l'enceinte du palais depuis.
Les jours passèrent, emportant avec eux les mois et les années.
Il y eut une guerre, qui dépeupla le village de tous ses hommes. Une famine, qui arracha un bon nombre d'enfants.
Les rescapés décidèrent de partir. Et les maisons furent laissées à l'abandon.
Petit à petit, la nature reprit ses droits sur le petit village. Et tous oublièrent l'existence du château et le nom de ce prince au cœur de pierre qu'une Fée vint un jour punir et qu'on ne revit plus jamais.
Jusqu'à ce que...
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