Département des insensibles, Chris
Depuis quelque temps, une rébellion assez discrète de plusieurs petits groupes s'est mise en place.
De jeunes hommes m'ont révélé d'un air amer, qu'ils commençaient à se fatiguer de cette situation d'esclavagisme. C'est sûrement un gros mot, mais c'est peut-être la réalité. Ils m'ont donc proposé de fonder une sorte de groupe secret. J'ai immédiatement et tout bonnement refusé prétextant vouloir être de bonne foi et être l'élève modèle.
En réalité, j'ai refusé car je fais déjà parti de l'un de ces groupes. Sauf que celui-ci ne se contente pas seulement de regrouper les types d'un même département, il cumule un garçon de chaque zone et ceci sans vraiment le calculer en amont.
Parmi ses membres, il y a moi, le plus jeune de la bande. Les trois autres, ce sont mes amis de toujours, je les connais bien avant tous ces douloureux événements passés. Nous étions dans la même école et on jouait souvent ensemble à la récréation. Nous sommes quatre petits cerveaux qui se sont bien trouvés, je pense. Aujourd'hui j'en suis ravi, car cela nous aide grandement à tenir le coup chacun de notre côté. Nous nous épaulons et ça fonctionne. En tout cas pour ma part.
J'avais sept ans quand la vie de l'Homme a basculé pour un tout autre monde. À l'inverse de la naissance du monde, créant l'homme et la femme, ce système-ci montre la femme dans sa plus grande splendeur et dans sa plus grande puissance. Juste la femme. Un sexe suprême se voulant indétrônable et une d'elle a donc pris les rênes suite à deux crises impossibles à prédire, donnant ainsi son nom à la capitale du pays.
Depuis quelques jours, Dane, Willy, Brian et moi, nous nous rejoignons en cachette pour mettre au point un plan en béton dans le but de s'évader de ce monde à genre unique. Il n'y a même pas de mot pour définir notre société actuelle. Le plus important, c'est que nous avons chacun une raison pour mettre un terme à notre galère.
Dane a une sœur et une mère à Gloria. Sa sœur est une des gardiennes de l'établissement. Je ne l'ai jamais rencontré, mais c'est un sacré avantage pour nous, surtout quand celle-ci ne cautionne pas ce que fait sa mère. Mise à part ça, nous n'en savons pas beaucoup plus sur leur compte.
En ce qui concerne Willy, nous ne connaissons pas trop ses motivations. Moi, il me fait penser à grincheux dans les sept nains. Toujours en train de râler, mais toujours dans la course. Je crois qu'il ne faut pas chercher à le comprendre celui-ci, mais j'espère pouvoir lui faire confiance.
Brian, c'est celui qui se confie le moins. Il n'est pas très bavard, mais on sait qu'il n'a jamais connu son père et que sa mère le frappait souvent. Cette dernière n'a d'ailleurs pas hésité à l'abandonner pour les desseins du règne de Gloria. Pourtant, ils entretenaient une relation mère-fils paradoxalement très fusionnelle. Il veut retrouver sa mère malgré tout cela et peut-être même recoller les morceaux. Je n'y crois pas beaucoup...
Quant à moi, j'ai un but à accomplir. Ma mère est morte dès la révolte des femmes en 2029, s'opposant radicalement à ce système tout en risquant à me perdre moi et mon père. C'est ça la véritable raison : je veux venger ma mère. Pour moi, mais aussi pour le désespoir de mon père devenu complètement instable au fil du temps.
Hélas, ça fait des semaines maintenant que j'ai appris qu'il avait été envoyé à Alibi. Bizarrement, pour moi ce nom sonne creux et non pas l'espoir. Je crains que cet endroit ne soit que de la poudre de perlimpinpin, seulement je n'ose pas dévoiler mes appréhensions aux autres. J'ai trop peur qu'ils arrêtent le plan en marche à cause de mes craintes. Je ne veux absolument pas qu'ils perdent espoir juste à cause de mon intuition infondée.
Tous les soirs après les cours, nous nous voyons au self pour échanger sur divers sujets. Que ce soit sur l'heure des rondes, sur les rumeurs sortant de la capitale baptisée Gloria. Des tas de choses pouvant nous aider, tout comme les informations que détiennent les fils de certains Alibien. On ne sait jamais comment les mecs d'ici obtiennent des informations provenant d'Alibi, mais valait mieux les prendre en compte au cas où, mais pas non plus au pied de la lettre.
En tout cas, Dane à l'air de les écouter que d'une oreille, ce type est toujours méfiant et tant mieux d'un autre côté. Je me retrouve beaucoup en lui à ce niveau.
Le problème au self, c'est que les minutes sont comptées, alors nous avons un très court laps de temps pour comploter. Surtout en ce moment, nous nous devons d'être plus prudent que d'habitude, à l'approche du week-end où les sentinelles sont réquisitionnées et où les dortoirs vont être fouillés.
La semaine, elles surveillent les frontières d'Alibi. Le week-end, elles gardent les portes de l'établissement pour qu'aucun étudiant ne sorte.
En ce qui concerne la famille, nous pouvons dire qu'on ne voit pas nos pères très souvent, voire jamais pour ceux dont les paternels ont été bannis. Les autres doivent faire des pieds et des mains pour les voir. Gloria, la reine, est dorénavent très méfiante, alors elle demande des faveurs en échange depuis quelques semaines. Je suppose que c'est cher payé, car il y a très peu de visites, quant aux miennes, elles n'existent plus.
Aujourd'hui justement, en ce vendredi neuf septembre, c'est un des jours où je voyais mon père que je n'ai plus revu depuis trois mois. Il en a eu tout à coup l'interdiction un jour. Un refus de visite pour avoir voulu me convaincre de rester qui j'étais et de ne pas céder à la pression. Cela a dû arriver aux oreilles de Gloria qui n'a pas aimé, alors je suppose qu'elle l'a évincé.
Aucun étudiant ne doit s'échapper de Culpa, de son endoctrinement et de sa surveillance. Jusqu'à ce qu'elle le décide. Elle veut avoir la main mise sur nous pour mieux nous contrôler et ainsi mieux contrôler le futur. Nos destins sont entre ses mains et nous ne pouvons que nous y soumette.
Je ne veux pas cultiver la terre bénévolement. Je ne veux pas être un domestique bon à tout faire. Je veux travailler dans ce que je veux et aimer mon boulot. Je veux être qui je veux et aller où je veux. J'aimerais être libre, ne devoir rendre de compte à personne sans avoir à marcher au garde à vous et sans avoir peur qu'on me cherche des poux.
– Ce soir, c'est l'inspection des dortoirs, me lance Willy, il est midi, alors nous avons jusqu'à ce soir après le self pour se préparer.
– Se préparer à quoi ? questionne Brian, perdu. De toute manière, nous n'avons rien à cacher. Pas vrai les gars ?
Dane hausse les épaules.
– Rien d'extraordinaire. Il n'y a aucune preuve, soyez tranquille.
– Je pense que certains vont morfler, lancé-je à mon tour, je sais à dix kilomètres à la ronde qui va avec qui et ce qu'ils complotent ou pas.
– Certains ne sont pas très discrets, je te l'accorde, acquiesce Dane, la moitié de son cerveau dans ses pensées, mais une chose est sûre, les amis : si ce soir on passe sans encombre, le test est réussi. Alors dans ce cas-là, notre plan tient la route et tout roulera comme sur des roulettes le jour-j. On n'a qu'un cap à passer et nous devons le remporter haut la main.
J'espère que ce dernier a raison, sinon nous courons à notre perte...
– Nous avons plus à gagner qu'à perdre de toute manière, ronchonne Willy.
– Bien au contraire, rétorque Dane à ma droite en remettant une mèche blonde et rebelle à sa place, nous avons encore plus à perdre, Willy.
– Ah ouai ? Bah vas-y crache le morceau Columbo !
Concernant ces deux-là, je me demande ce qui a consolidé leur amitié, parce qu'ils ne sont jamais d'accord. Ça en devient fatiguant parfois, surtout pendant une discussion comme celle-ci qui a en somme toute son importance.
– Cette joute verbale m'épuise, soupire Dane, évitant systématiquement de regarder le psychopathe dans les yeux.
– Tu n'as qu'à me dégager de ton petit club de bof !
– Willy, arrêtes ! l'imploré-je en scrutant les alentours. Vous allez tout faire foirer tous les deux !
– Je ne veux pas me retrouver à Alibi, voilà tout, répond enfin Dane à Willy, ce serait dommage de finir deansans un endroit pire qu'ici.
– Qu'est-ce que tu en sais ? Apparement c'est le Paradis des hommes.
– Je n'en suis pas si sûre.
Mon intervention m'ammène à avoir quatre yeux rivés aux miens, deux interloqués et deux autres sereins, quant à ceux de Brian, ils sont encore dans les nuages.
– Réfléchis, Willy. Pourquoi tant d'hommes sont envoyés là-bas dès qu'ils font un pas de travers ? Ce n'est certainement pas pour les gratifier. Bien au contraire.
Ce qui est pour ma part l'endroit à éviter à tout prix. Mon instinct ne se trompe jamais.
Jamais...
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