Dane, le même jour : 23:45

Je suis si fatigué. Je n'avais vraiment pas prévu de me faire prendre de sitôt et surtout d'être séparé de mes amis. D'un autre côté, c'était le prix à payer pour, peut-être, les sauver et porter sur mes épaules l'entière responsabilité de notre escapade interdite.

C'est un enfer ici. C'est la loi du plus fort. Il n'y a aucune surveillante, ni aucun autre type de surveillance. Malgré ma mauvaise rencontre, j'ai réussi à m'en sortir. Ce qui n'est pas le cas de certains. La violence règne en maître ici. La stupidité humaine me fait parfois honte. 

Au lieu de s'entraider, on se détruit mutuellement. C'est du gâchis.

Je me pose mille questions. Où sont mes amis ? Qu'est-ce qu'on va faire de moi ? Est-ce que je vais rester ici ? Et pour combien de temps ? À quoi on leur sert ? Tout un tas d'interrogations sans réponses.

Nous ne sommes pas de vulgaires prisonniers de la société. Nous sommes des cobayes pour quelque chose, ou quelqu'un. Sinon, à quoi servons-nous ? Pourquoi tant de déclinement de la population masculine dans notre royaume ? Il y a forcément une réponse à cela.

Les dizaines de morts par jour, ne suffisent pas à elles seules à expliquer pourquoi tant de disparité. Sur l'immense panneau électrique, le nombre à plusieurs chiffres inscrit au milieu de la cour du palais royal, ne signifie rien d'autre que les morts ayant péri en tentant, en vain, de se mesurer au système. C'est leur trophée de chasse.

Je suis harassé, mais je n'ose pas dormir.

Je ne vais pas rester assis à me tourner les pouces. Je ne peux pas me soumettre à ma délicate situation. Il faut que je trouve une issue à tout ça. Je dois sortir d'ici. Partir à la recherche de mes amis. Fuir très loin de ce pays. Car Alibi est peut-être tout aussi dangereux que cet endroit.

Le problème, c'est qu'il n'y a même pas une fenêtre dans cet immense taudis. On est entièrement enfermés. Prisonniers dans une sorte de blockhaus. Impossible d'en sortir. À moins de le faire par la force, et encore. Rares sont les fois où une sentinelle entre pour y déposer un nouveau gars.

Habituellement, je suis fort mentalement. Seulement ce soir, je me sens vide. Sans réserve. Sans idées. Sans porte de sortie. Rien. Le néant total. Je n'attends même plus un miracle. Je me remets juste en question. S'il faut passer sa vie ici, je ne pourrais pas le supporter. Autant en finir tout de suite par moi-même. Autant arrêter une souffrance qui peut me rendre fou. Je ne peux pas survivre à cette nouvelle vie qui n'en est pas une.

Je sens mes paupières s'alourdir. Je lutte difficilement. Le tohu-bohu autour de moi m'est insupportable. Ma tête va imploser. Mon âme va gangrener.

Je ne peux plus...

Un bruit sourd me fait bondir sur place. L'énorme porte à la taille d'un cyclope, s'ouvre lentement. Une sentinelle entre. Puis une autre. Et encore une autre. Une dizaine. Une vingtaine enfin. Et Elle. La seule que je redoute. Le faux-semblant de ma mère. La Reine.

Je me rends compte alors que l'immense brouhaha a disparu. Le silence est de mise. Aucun forçat ne parle. Tous sont tournés vers elles. Comme si on leur avait enseigné une discipline de fer. Une sorte de comportement militaire face à leur supérieur. Face à leur président. Face à leur Roi.

Un lavage de cerveau. Une minauderie insupportable.

Droits comme des piquets, ils regardent tous dans la même direction. Je les observe un à un. Ils ont l'air déconnecté paradoxalement à il y a cinq minutes. Des esprits malléables au bon vouloir de la Reine. Suis-je le prochain à faire partie de leur troupe ?

Je m'aperçois que je suis encore assis. Je suis le seul. Personne ne m'a remarqué. Dois-je les imiter, ou jouir de mon libre arbitre ?

Pitié, je ne me suis pas enfui pour vivre pire misère.