♞ Chapitre 1 - Wiley et la bande d'amateurs ♞
Les rayons du soleil de cette fin d'après-midi venaient caresser son visage détendu. Quelques mèches dorées dépassaient de sous son stetson en cuir sombre, illuminées par la clarté de l'astre. Les yeux plissés, il était lui-même ébloui par cette vive luminosité. Là-haut, bien loin au-dessus de sa tête, un condor poussait des cris perçants en tournoyant dans le ciel. Wiley entrouvrit un œil pour l'observer. Il n'aimait pas ce rapace, annonciateur de mauvais présage et de mort. S'il tournait dans le ciel en ce moment même, ce n'était pas un hasard. Un animal avait dû trépasser, ou, si ce n'était pas encore le cas, devait se trouver dans un bien piteux état. Le rapace ne tarderait pas à en faire son festin. Ainsi allait la vie, dans les étendues sableuses du Désert Maudit. Un cycle aussi nécessaire que cruel. Aussi redoutable que les serres acérées de l'oiseau.
Un fétu de paille à la bouche, Wiley se balançait sur sa chaise à bascule, d'avant en arrière, une jambe croisée par-dessus l'autre. Il aimait ces petits moments de quiétude, où il pouvait simplement profiter de la douce caresse du soleil sur sa peau et des petits bruits reposants de la nature, tout autour de lui. Ces moments où il pouvait prendre du temps pour lui. Ce qui était de plus en plus rare, ces derniers temps...
Dans le village d'Obsidian Valley et ses alentours, on ne cessait de réclamer ses services. Ou, tout du moins, on ne cessait de placarder des affiches indiquant les noms de dangereux criminels à capturer sur les murs en bois des maisons, dans l'espoir qu'un cowboy un tant soit peu courageux et démuni ne débarrasse le comté de telles crapules. Un travail souvent bien payé, au vu des risques encourus. Un travail satisfaisant pour Wiley et son ranch, qu'il agrandissait peu à peu, d'année en année.
Son ranch, c'était toute sa vie. Un vieux rêve qui n'avait pu se concrétiser qu'avec l'argent qu'il avait pu amasser en se lançant à la poursuite des brigands sillonnant l'infinité désertique. Comme tous les habitants du village où il habitait, Wiley n'aimait pas ces bandits. Pourtant, il ne les détestait pas non plus. Il ne le pouvait pas. Après tout, c'était grâce à eux qu'il pouvait vivre et manger à sa faim, midi et soir. Uniquement pour cette raison, il ravalait sa rancœur, qu'il gardait enfouie au plus profond de lui depuis toutes ces années. Il traquait les malotrus, les attrapait et les ramenait en prison, où ils croupissaient le restant de leurs jours. C'était tout. Rien de moins, rien de plus.
Parfois, il lui arrivait de devoir tuer l'un d'entre eux, lorsque les Rangers l'ordonnaient. Là encore, il se contentait de faire son boulot, sans discuter. Dans ce métier qu'était celui de Traqueur, il n'y avait pas de place pour les questions et les discussions. Sinon, le travail disparaissait aussi rapidement qu'il était arrivé, en glissant entre les doigts du malheureux ayant voulu changer les règles, sans lui laisser le temps de s'en emparer. Alors, il ne lui restait plus qu'à se trouver un autre boulot. Ou à se résoudre à une vie misérable, où la famine et la pauvreté régnaient en maître.
A quelques kilomètres de là, des bruits de pioche retentissaient, frappant les roches d'ocre rouge du canyon entourant Obsidian Valley. Ces roches contenaient une forte concentration d'obsidienne, d'où le nom donné au village qui se trouvait au centre du canyon. La pierre précieuse extraite était ensuite transformée en dîmes d'obsidienne, la monnaie la plus courante par ici. D'autres sortes de dîmes, bien plus rares, existaient, mais seuls les plus riches en possédaient. Wiley n'avait pu en voir que trois fois dans sa vie.
La première fois, c'était lorsque le maire d'Obsidian Valley avait payé en dîmes de palladium – la monnaie la plus rare et donc la plus riche qui existe – une compagnie ferroviaire pour la construction d'une voie ferrée. La deuxième fois, c'était lorsqu'un riche homme d'affaires était venu lui acheter quelques chevaux, qu'il avait élevés et dressés ; l'homme l'avait alors payé en dîmes d'or. Wiley avait pu vivre dignement pendant plus d'un mois. Et la troisième et dernière fois, c'était lorsqu'il avait capturé un dangereux brigand, et qu'il avait été récompensé par une bonne poignée de dîmes d'or.
Une telle somme avait attiré les convoitises, et plusieurs Traqueurs avaient tenté de lui voler son argent. Wiley n'étant pas homme à se laisser faire, il les avait gentiment renvoyés chez eux – en tirant quelques coups de fusil en l'air, en gage d'avertissement. Les Traqueurs avaient hésité, mais la réputation de Wiley le précédait, et ils avaient bien vite fait demi-tour, après lui avoir lancé quelques menaces en l'air. Cet argent avait permis au jeune garçon d'une trentaine d'années de changer sa clôture, qui s'affaissait par endroits. Plusieurs fois, certains de ses chevaux s'étaient retrouvés dehors, après avoir enjambé la basse clôture. Grâce aux travaux qu'il avait pu réaliser avec cet argent, ils n'étaient plus jamais sortis de leur enclos. Le propriétaire du ranch avait alors pu dormir d'un sommeil profond, ne craignant plus que quelque chose n'arrive à ses chevaux.
Car derrière la clôture, la nuit, de nombreux dangers rôdaient. Des coyotes, pumas, lynx roux, ocelots et prédateurs en tous genres sortaient sitôt le soleil couché et s'approchaient du ranch, en quête d'un équidé à dévorer. Wiley avait plusieurs fois fait les frais de leurs attaques nocturnes. Depuis, il avait installé un ingénieux dispositif qui lui permettait de tenir les prédateurs à distance. Dès qu'un animal sauvage s'approchait d'un peu trop près du ranch, un coup de canon se déclenchait pour le faire fuir. Ce dispositif, associé aux aboiements furieux du chien de Wiley, était une arme redoutable contre les prédateurs. Si cela ne suffisait pas, Wiley sortait avec un fusil et abattait l'animal. Il n'aimait pas le faire, mais il avait appris à ses dépens que dans un endroit tel que le Désert Maudit, mieux valait tuer plutôt que d'être tué ou de voir son gagne-pain dévoré. Ses chevaux lui rapportaient une grosse partie de son argent. Il ne pouvait pas se permettre d'en perdre fréquemment.
Il regarda le soleil descendre de plus en plus bas derrière la ligne d'horizon. Bientôt, il aurait disparu pour de bon. Sous le regard attentif de Chuck, son Berger Hollandais, Wiley se leva, quittant son rocking chair, cracha son fétu de paille par terre et se dirigea vers la porte d'entrée de la maison. Il l'ouvrit et la maintint ouverte, en se tournant vers le chien, qui continuait de l'observer.
- Alors, tu viens ? A moins que tu n'aies pas faim, ce soir...
A ces paroles, le chien se leva et le rejoignit en remuant la queue. Wiley sourit. Toute la journée, l'imposant Berger l'avait boudé, ayant très certainement senti qu'il allait partir en mission. Il le sentait toujours. Et à chaque fois, il lui faisait comprendre que son départ le mécontentait. Mais dès que Wiley lui parlait de nourriture ou s'apprêtait à partir, il revenait vers lui, la tête haute toutefois, comme pour lui signifier « si tu peux partir, c'est simplement parce que je l'ai décidé ». Ce comportement arrachait toujours un sourire en coin à son maître, qui s'amusait du caractère expressif de Chuck.
Wiley laissa la porte en bois se refermer derrière eux et se dirigea vers la cuisine. Là, il ramassa la gamelle vide gisant dans un coin et y mit un gros morceau de bison qui lui restait. Assis à côté de lui, Chuck le regardait faire, se léchant les babines par avance. Son museau frétillait alors qu'il sentait certainement la bonne odeur de viande qui se dégageait de la gamelle. Son maître se pencha et posa la gamelle pleine dans un coin. Attendant qu'il lui donne la permission de manger, Chuck louchait sur la nourriture, et de la bave glissait d'entre ses babines pour venir s'écraser sur les lattes du plancher.
- Bon appétit mon grand !
Sitôt ces mots prononcés, Chuck se jeta sur la nourriture et l'engloutit avec appétit. Wiley fouilla dans les placards et mit la main sur un morceau de bison séché, qu'il porta à ses lèvres. Il trouva également une pomme, qu'il mangea après avoir terminé son morceau de viande, appuyé contre le plan de travail. Il regarda Chuck récurer sa gamelle, en quête d'un morceau supplémentaire qu'il aurait oublié ou fait tomber à côté.
Wiley termina rapidement sa pomme et récupéra sa sacoche de randonnée en cuir, qu'il avait posée un peu plus tôt dans l'entrée, pour ne pas l'oublier. Il plaça quelques pommes à l'intérieur, ainsi que plusieurs gourdes remplies d'eau. Il ne voulait pas emporter de viande avec lui, pour la simple et bonne raison que l'odeur attirerait les prédateurs. Voyager de nuit était déjà suffisamment dangereux comme ça, sans qu'il n'ait en plus à attirer directement les bêtes à lui.
Une fois son sac prêt, il le posa par terre, devant l'un des placards de la cuisine, et s'accroupit pour s'abaisser au niveau de la tête de son chien. Il le caressa entre les oreilles et croisa son regard. Chuck posa sa patte sur son genou et lui donna une léchouille sur la joue droite.
- Je vais devoir y aller. Je te laisse encore une fois ici mais la prochaine fois, tu pourras venir avec moi, c'est promis. Tu vas encore devoir monter la garde en mon absence. Je peux compter sur toi ?
Pour toute réponse, le chien aboya une fois, comme pour lui signifier qu'il avait compris et qu'il accomplirait son travail. Wiley le caressa une dernière fois sur la tête en souriant puis se redressa. Il récupéra le sac et sortit à nouveau de la maison, Chuck sur ses talons. Il descendit les quelques marches en bois au pied de la terrasse sur laquelle il se trouvait quelques instants plus tôt. Elles grincèrent sous son poids, et il nota dans un coin de sa tête de s'occuper de ça une fois qu'il rentrerait.
Chuck s'assit devant la porte d'entrée et resta là, à regarder son maître s'éloigner en direction des écuries. Ses bottes en cuir martelaient le sol poussiéreux. Il parvint finalement devant la large porte coulissante des écuries, qu'il ouvrit à la force de ses bras. La porte glissa sur les rails qu'avaient récemment installés Wiley. La lueur de la lune, qui venait tout juste de se lever, éclaira les box qui s'étalaient en face de lui. Les chevaux renâclèrent, surpris par son entrée si tardive. Il les rassura d'un petit sifflement en deux temps, leur signifiant qu'il ne s'agissait que de lui. Habitués à ce signal, les chevaux se calmèrent, leurs têtes passées par-dessus les portes des box.
Wiley s'avança dans l'allée centrale et caressa les quelques naseaux qui se tendaient vers lui. Finalement, il s'arrêta devant l'un des box se trouvant au fond de l'écurie. Son occupant, sans doute réveillé par ses congénères à l'arrivée de Wiley, s'approcha et vint caler sa tête sur son épaule, encore à moitié endormi. Wiley flatta son encolure d'une main, tandis que l'autre caressait son chanfrein.
- Salut mon beau. On va faire une petite sortie nocturne, toi et moi.
Tout doucement, il se décala sur le côté et ouvrit la porte du box. Le beau mustang à la robe louvet recula pour le laisser entrer. Wiley déposa son sac de randonnée sur le côté, devant le box, et récupéra une brosse et un cure-pieds. Rapidement, il entreprit de panser sa monture, notamment au passage de sangle, puis cura ses sabots. Une fois cela fait, il ressortit du box, déposa la brosse et le cure-pieds et s'empara de la selle et du tapis de l'étalon, posés sur un porte-selle en bois disposé devant le box. Il commença alors à le harnacher, terminant par le filet et la sacoche, qu'il accrocha à la selle.
Une fois sa monture prête, il la fit sortir de son box et l'entraîna vers l'extérieur. Il n'avait aucunement besoin de tirer sur les rênes pour faire avancer le mustang : il le suivait de lui-même, comme l'aurait fait Chuck. Wiley avait tissé un lien particulier avec la plupart de ses chevaux, en particulier celui-ci, qu'il montait dès qu'il devait partir en mission. Il l'avait vu naître, l'avait élevé, puis dressé. Tout naturellement, un lien de confiance s'était établi entre le cavalier et sa monture.
Une fois dehors, Wiley veilla à bien refermer la porte de l'écurie derrière lui. Il ne tenait pas à laisser une possibilité supplémentaire aux pumas de s'en prendre à ses chevaux. Il flatta une nouvelle fois son cheval sur l'encolure, puis mit le pied à l'étrier. Il se hissa aisément sur le dos de sa monture, qui piaffa, désormais bien réveillée, et impatiente. Wiley la calma de quelques paroles apaisantes. Il regarda autour de lui. La nuit était bel et bien tombée, l'empêchant de voir à plus de cinq mètres devant lui. Seule la lumière émanant du projecteur placé sur le mur extérieur de la maison, et l'éclat de la lune, venaient éclairer les environs.
Wiley enfonça légèrement ses talons dans les flancs de sa monture, qui partit au pas. Ils passèrent devant Chuck, qui montait la garde. Wiley lui adressa un dernier regard, puis fit passer son cheval au trot. Tenant les rênes d'une seule main, il fouilla dans son sac de sa main libre et en sortit un étrange objet rond. Il le fit tourner quelques instants dans sa main droite, puis le lança au-dessus de sa tête. La boule de quelques centimètres de diamètre retomba légèrement, avant de se stabiliser dans les airs. Au même moment, une lumière bleutée s'en dégagea, venant éclairer le chemin devant Wiley. Ce dernier sourit en coin et poussa un long sifflement. A ce signal, son cheval redressa la tête et partit au galop.
La boule accéléra également, pour rester un peu devant eux et, ainsi, leur éclairer le plus possible le chemin. Cet étrange objet n'était autre qu'une boule de chosphorite, une pierre lumineuse qu'on ne trouvait que dans les eaux de la contrée de Stonebay, bien loin de celle du Désert Maudit. Très rarement, des marchands venus de contrées aussi éloignées que celle de Stonebay rapportaient des objets précieux, qu'ils vendaient à un prix d'or. Lorsque l'un d'entre eux avait fait halte dans le village d'Obsidian Valley, Wiley, poussé par la curiosité, s'était approché pour jeter un œil aux différents trésors disposés sur l'étalage de l'homme. Des épées, écailles de sirènes, arcs fabriqués avec le bois magique de la forêt de Blackhollow... De nombreux objets dont Wiley n'avait même pas entendu parler s'y trouvaient.
L'œil du jeune homme avait très vite été attiré par la boule magique, en apparence basique, mais qui dégageait une aura particulière. Voyant son air intéressé, le marchand s'était précipité pour lui dire à quoi servait cet objet. A cette époque, Wiley était encore un Traqueur novice, qui tentait tant bien que mal de faire ses preuves. Alors, lorsque l'homme lui avait dit que la pierre de chosphorite, qui composait cette boule étrange, diffusait une douce lumière au moindre contact humain, et se déplaçait d'elle-même dans les airs, Wiley n'avait pas hésité une seule seconde à l'acheter avec ses récentes économies, y voyant là une occasion de pouvoir traquer des bandits même de nuit. Aujourd'hui, il ne regrettait pas un seul instant son achat compulsif, qui lui avait servi bien des fois.
Le cowboy jeta un coup d'œil au paysage désertique autour de lui. Plus il s'éloignait du village, plus il faisait sombre, et plus il y avait de sable. De temps en temps, un cactus ou un crocus – buisson épineux particulièrement vénéneux – se dressait sur son chemin. Grâce à la lumière qui se dégageait de la boule de chosphorite, Wiley parvenait à les éviter, guidant sa monture avec douceur mais fermeté à la fois.
Au bout de longues minutes de galop, il fit ralentir le mustang en se calant au fond de sa salle, le faisant ainsi repasser au pas. Il le laissa souffler un peu et lâcha quelques secondes les rênes pour attraper une gourde remplie d'eau dans sa sacoche en cuir. Il porta le goulot à ses lèvres et but quelques gorgées d'eau fraîche. Même si la chaleur était moindre dans le désert, voire inexistante, une fois la nuit tombée, il devait s'hydrater fréquemment s'il voulait rester éveillé toute la nuit. Heureusement, il avait pu se reposer un peu et faire une sieste avant de partir, assis sur son rocking chair. Ces précieuses minutes de sommeil ne seraient pas de trop...
Il se pencha en avant, de sorte à se retrouver complètement allongé sur l'encolure de son cheval, et plaça sa main libre sous sa tête. Il pencha la gourde au-dessus et versa de l'eau à l'intérieur de la paume de sa main, en veillant à bien refermer ses doigts pour minimiser les pertes. Le cheval arqua son encolure et baissa légèrement la tête pour boire l'eau que lui offrait son cavalier. Ce dernier sentit les vibrisses de l'animal lui chatouiller le poignet.
Finalement, Wiley se redressa et referma la gourde, qu'il glissa dans le sac accroché à la selle. Au loin, il entendit un coyote hurler. Un deuxième lui répondit, de l'autre côté de la vallée. Toutefois, Wiley était serein. Les cris de ces charognards étaient éloignés. Pour le moment, il n'avait aucune raison de s'inquiéter. Il talonna de nouveau son cheval, qui repartit au petit trot.
Alors qu'un cowboy ou un voyageur quelconque auraient besoin d'une carte pour se repérer au milieu de ce désert où tout se ressemblait, Wiley savait parfaitement où il était, et par où il devait passer pour se rendre où il le souhaitait. C'était un avantage indéniable, qui lui donnait une longueur d'avance sur tous les autres Traqueurs. Un avantage qui lui permettait de partir de nuit, là où d'autres attendraient le lever du soleil. Il ne savait pas exactement d'où lui venait cet incroyable sens de l'orientation, mais il était des plus pratiques ! Quoique, en réalité, il avait peut-être une petite idée d'où il lui venait... Peu importait. L'essentiel, c'était qu'il le possédait, et il en était bien heureux !
Au fil des heures qui s'égrenaient, la nuit se rafraîchissait de plus en plus. Wiley n'était pas inquiet : il avait emmené avec lui un long manteau, qu'il gardait toujours accroché à l'arrière de sa selle, et qui lui servirait si jamais il venait à avoir froid. Pour l'instant, c'était largement supportable. Il avait connu bien pire... La première fois qu'il était parti en traque de nuit, il avait oublié d'emporter avec lui des vêtements supplémentaires, pour se couvrir en cas de besoin. Un oubli qu'il avait amèrement regretté... A l'époque, il était jeune et sans expérience. Aujourd'hui, il était un Traqueur expérimenté qui avait pris en sagesse et en prudence. Il ne commettrait pas deux fois la même erreur.
Ainsi, il resta au petit trot, pour éviter au léger vent frais qui s'était levé de lui fouetter le visage. S'il maintenait cette allure, il aurait moins froid, et son cheval ne serait pas fatigué, au cas où il aurait subitement besoin de le lancer au grand galop. Une course poursuite était vite arrivée, et il ne voulait négliger aucune hypothèse...
La lune était bien haute dans le ciel lorsqu'il repéra enfin le feu de camp. De la fumée s'élevait derrière la petite chaîne de rocheuses qui se dressait devant lui. Il devrait la contourner pour rejoindre les hommes qui avaient allumé le feu. Et il savait qui l'avait allumé. Il secoua la tête d'exaspération. L'homme qu'il poursuivait n'était vraiment pas très malin... Cela faisait trois fois qu'il le capturait, et à chaque fois, il le retrouvait au même endroit. A chaque fois, la fumée le guidait. Si le brigand avait agité un drapeau blanc dans les airs, avec écrit « je suis là, viens me chercher ! » dessus, ç'aurait été la même chose. C'en était pathétique... De toutes ces années de traque, Wiley n'avait jamais croisé un criminel aussi idiot. C'était d'ailleurs sans doute pour cette raison qu'on le surnommait Cecil le Benêt.
Wiley, qui avait ordonné à son cheval de s'arrêter, le temps d'évaluer à quelle distance se trouvait le brigand, le talonna doucement pour le faire repartir au trot. L'étalon s'exécuta sans broncher. Il leur fallut quelques minutes à peine pour contourner les rocheuses et s'approcher de l'emplacement du brigand. Des rires graves parvinrent jusqu'aux oreilles du Traqueur, qui stoppa une nouvelle fois son cheval et sifflota discrètement. Dès que la tonalité bien particulière eut franchi ses lèvres, la boule de chosphorite redescendit et vint se nicher dans sa paume ouverte. Sitôt qu'elle entra en contact avec la peau du cowboy, elle s'éteignit. Wiley la rangea alors dans son sac et repartit au pas, se guidant grâce à la lueur des flammes, qui semblaient vouloir lécher la lune, qui brillait loin au-dessus de sa tête.
- Ah, si tu avais vu leurs têtes ! riait l'un des brigands assis autour du feu de camp. C'était magistral ! Ils ne s'y attendaient pas.
- Quand je repense au shérif, qui avait promis au gouverneur que tu ne parviendrais plus à t'échapper..., ajouta un deuxième avant de porter une bouteille de rhum à ses lèvres et d'en verser la moitié sur sa chemise.
- Balivernes ! On n'arrête pas le grand Cecil Hale. Je ne retournerais pas en prison, tu peux me croire ! répondit le premier.
- Que fais-tu du Loup Solitaire ? Tu n'as pas peur qu'il te renvoie en prison ? demanda le troisième, resté silencieux jusque-là.
- Moi, avoir peur de ce gamin ? Il faudrait déjà qu'il retrouve ma trace !
Les trois brigands se mirent à rire en chœur. Wiley, dont le surnom avait été mentionné, leva les yeux au ciel, les mains croisées devant lui, par-dessus les rênes. Il s'était arrêté à quelques mètres à peine des hommes, à la lisière de la lumière diffusée par le feu de camp. Trop ivres et fiers de l'évasion de Cecil, qui avait eu lieu dans la matinée, ils ne l'avaient même pas remarqué. Seuls leurs chevaux, attachés à un poteau de fortune, avaient paresseusement relevé la tête à l'approche du cowboy et de sa monture, avant de se détourner et fermer à nouveau les yeux pour replonger dans le sommeil.
Le regard de Wiley se posa successivement sur chacun des hommes assis autour du feu. Celui qui s'était exprimé en premier n'était autre que l'homme qu'il recherchait. Lorsqu'il riait, sa bouche se tordait en un rictus peu élégant, et sa moustache peu soignée se soulevait légèrement sur les côtés. Ses petits yeux ronds regardaient tour à tour l'homme à sa gauche et celui à sa droite. Une mèche rebelle de ses cheveux noirs tressautait sur son front à chaque éclat de rire et chaque fois qu'il tournait la tête pour parler à l'un ou à l'autre.
Ses deux acolytes, pas plus intelligents que lui, étaient d'exacts opposés : l'un était roux et bedonnant, tandis que l'autre était brun et aussi fin qu'une brindille. Le rouquin, qui avait été le deuxième à parler, se nommait Virgil Downs. Son rire de cochon était reconnaissable entre tous, ce qui lui avait valu le tristement célèbre surnom de Virgil « le Pécari ». Quant au troisième homme, Elmer Wyatt, il avait hérité du surnom de Elmer « la tremblotte », pour la simple et bonne raison que dès qu'il avait un pistolet à la main, il ne pouvait s'empêcher de trembler comme une feuille. Cette bande de brigands était la plus pitoyable et la plus risible de toute la contrée du Désert Maudit... Raison pour laquelle Wiley était loin de se faire du souci quant à ses chances de réussite.
Il attrapa fermement la crosse de son revolver, attaché à sa ceinture, et le sortit de son étui. Il croisa ensuite de nouveau ses mains devant lui et se pencha légèrement en avant sur sa monture, le regard rivé sur les trois hommes, la bouche légèrement tordue en signe d'amusement. Il se râcla doucement la gorge pour attirer l'attention des brigands sur lui. L'esprit embrumé par l'alcool, ils tournèrent la tête dans sa direction et affichèrent un air surpris, sans pour autant faire quoi que ce soit.
- Plutôt sympa, votre petite fête. J'ai vu la fumée, et je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que ce bon vieux Cecil serait certainement déçu s'il apprenait que j'avais passé mon chemin sans me joindre à vous.
- Toi ! Tu... Tu..., commença Cecil en pointant un doigt accusateur et tremblant de rage dans sa direction.
- Wiley Myers, pour vous servir, messieurs, se présenta le blondinet de façon moqueuse en tirant son chapeau. J'ai comme l'impression que vous avez un peu trop forcé sur le rhum... C'est un délit ça, vous savez ?
- Je vais me le faire !
Cecil se leva d'un bond, si rapidement qu'il chancela. Il dégaina son revolver et le pointa sur Wiley. La balle passa bien loin de sa cible, qui grimaça en regardant le rocher sur lequel elle était venue se ficher.
- Manqué !
- Espèce de...
Voulant s'amuser un peu, Wiley tira sur la crosse du revolter de Cecil, non loin de sa main. L'arme vola dans les airs et tomba dans le sable, quelques pas plus loin. Maintenant désarmé, Cecil jura. Ses deux acolytes fixaient le Traqueur sans rien faire, l'air hagard.
- Faites quelque chose, nom d'un chien ! vociféra leur chef.
Cet ordre sembla les sortir de leur transe. Le gringalet se leva d'un bond et pointa en tremblant le canon de son pistolet sur Wiley. Le coup partit mais n'effleura même pas le cowboy, sans grande surprise. Tout aussi facilement qu'il l'avait fait pour Cecil, le jeune homme, hilare, le désarma. Son regard se porta ensuite sur Virgil, qui venait de porter la bouteille de rhum à ses lèvres, pour en vider le contenu restant. Il la levait bien haut, pour ne pas en laisser une seule goutte. Wiley visa et tira. La bouteille éclata en mille morceaux entre les mains de son propriétaire, et le reste du rhum se déversa sur le sable poussiéreux. Virgil lança un regard noir au tireur, qui était désormais mort de rire sur sa monture. Il dégaina son arme et tira. Cette fois, la balle atterrit juste devant les membres antérieurs du cheval de Wiley. L'étalon recula en renâclant. Son cavalier siffla d'un air faussement admiratif.
- Dis donc, y'a du progrès ! Bientôt, vous saurez viser correctement, messieurs !
- Tu vas voir quand je t'aurais fiché une balle entre les deux yeux ! cracha Cecil en récupérant son arme.
- Ouh ! Serait-ce une menace sérieuse ?
Du dos de sa monture, Wiley vit le visage de l'homme s'empourprer. Il l'avait mis en colère. Parfait ! Ce serait d'autant plus amusant ! Wiley fit claquer deux fois sa langue contre son palais. Aussitôt, son cheval se mit au petit trot. Il le fit tourner autour du feu de camp en tenant les rênes d'une main. Cecil et Virgil avaient récupéré leurs armes et tentaient de le toucher... en vain. La scène qu'ils offraient, en se criant dessus, était des plus comiques. Wiley vit le roux au ventre proéminent revenir, clopin-clopant, avec un fusil de chasse, qu'il avait détaché de la selle de l'un de leurs chevaux.
- Laissez-moi faire ! Je vais le trouer comme une passoire, ce petit con !
Après une brève hésitation, ses deux acolytes baissèrent leurs revolvers. Le Pécari chargea l'arme et la pointa droit sur Wiley, qui continuait de trotter autour du feu de camp, un large sourire en coin sur le visage. Il vit le brigand se concentrer avant d'appuyer sur la gachette. Le coup partit... et le Pécari avec. Surpris par le recul de l'arme, et encore ivre, il trébucha et tomba à la renverse, sur le dos. Cecil hurla de douleur et se plia en deux. Une tache sombre apparut sur son pantalon, au niveau du mollet, et s'élargit progressivement, pour finir par gagner son genou.
- Voilà ce qui arrive quand on joue avec des armes, se moqua Wiley, qui n'arrivait plus à s'arrêter de rire.
- Tu vas fermer ta putain de gueule ?! s'énerva Virgil en se relevant difficilement, le fusil de chasse toujours en main.
- Surveille ton langage, Virgil. Je ne suis pas sûr qu'il soit approprié devant des enfants.
- C'est nous que tu traites d'enfants ? s'offusqua Elmer. Tu vas voir si on est des enfants !
- Non, ça suffit. Je ne vais rien voir du tout. Arrêtez, vous allez vous faire mal. Elmer...
Un nouveau coup de feu claqua. Wiley riposta. Contrairement à son adversaire, il ne manqua pas sa cible. Elmer lâcha son arme en hurlant, les yeux écarquillés. Il se tint le poignet, tentant de stopper l'écoulement du sang. Un autre coup de feu résonna aux oreilles de Wiley. Son chapeau se détacha de sa tête blonde et valsa quelques pas plus loin. Un trou était visible sur le côté droit du chapeau. Un rire de cochon s'éleva, alors que Wiley admirait avec scepticisme les dégâts que Virgil avait fait à son stetson.
- Tu l'as fait exprès ? Ou c'était un coup de chance ? lui demanda-t-il en tournant de nouveau la tête vers lui.
- Approche-toi un peu, pour voir.
- Non.
Virgil fronça les sourcils. Wiley tira. Le premier se plia en deux en jurant atrocement alors qu'une tache rouge s'étalait sur sa cuisse. Son fusil de chasse glissa entre ses doigts et s'écrasa par terre dans un bruit mat. Une fois assuré que les trois hommes étaient désarmés, Wiley stoppa son cheval et descendit de son dos. Il s'avança en direction des brigands et donna un violent coup de crosse dans la tête du gringalet, qui rampait sur le sol en direction de son revolver. Sa tête retomba mollement dans la poussière. Wiley s'approcha alors de Virgil, qui le regarda s'avancer en tenant sa blessure à deux mains. Lorsque le blondinet s'accroupit à côté de lui, il lui cracha au visage. Le Traqueur ferma les yeux et essuya la bave du dos de sa main.
- Tu as troué mon chapeau. Je vais devoir m'en acheter un autre. La petite prime mise sur ta tête devrait amplement suffire.
Avant que le rouquin n'ait pu répliquer quoi que ce soit, Wiley l'assomma aussi promptement que son camarade. Il se releva ensuite et s'approcha du dernier homme, celui qui l'intéressait le plus. Il était affalé sur le dos, le visage tourné vers le ciel étoilé. Il ne se débattit même pas lorsque Wiley l'attrapa par les jambes et le traîna sur le sol jusqu'à son cheval. C'était inutile. Il n'était pas en état de se battre. Il laissa donc Wiley ligoter ses poignets avec l'une des cordes qu'il avait attachées à sa selle et le hisser sur l'un de leurs chevaux après les avoir sellés. Il relia le bout de la corde au pommeau de la selle de son propre cheval et réitéra l'opération avec Elmer, qu'il plaça sur un autre canasson.
Il regarda ensuite longuement Virgil, ne sachant que faire de lui. Après une longue hésitation, il ligota ses jambes et ses poignets avec une troisième corde et l'attacha directement au pommeau de sa selle. Avant de se mettre en selle, il fouilla au fond du sac de randonnée et en sortit une bande adhésive, qu'il enroula autour de sa plaie béante à la cuisse. Il serra le plus possible, afin de stopper l'hémorragie. Il allait peut-être le traîner sur le sol jusqu'à Obsidian Valley, mais il ne comptait pas le laisser se vider de son sang. Il n'était pas cruel. Il fit la même chose aux blessures d'Elmer et de Cecil, puis monta sur le dos de leur troisième cheval, un beau bai demeuré sans cavalier. Il ménageait ainsi son mustang, qui avait déjà parcouru un long chemin. Avec un poids en moins sur le dos, il se fatiguerait bien moins vite.
De sa main libre, il attrapa les rênes de son étalon et talonna sa nouvelle monture, alors que le soleil commençait tout juste à se lever sur la vallée, dissipant le voile sombre de la nuit. Il laissa son cheval partir au galop, soulevant dans son sillage un nuage de poussière qui fit tousser le brigand traîné au sol, juste derrière lui. Quelque chose lui disait que le voyage serait bien plus pénible pour lui que pour ses acolytes...
Ettttt c'est parti pour cette toute nouvelle aventure héhé ! 😄 j'espère que ce premier chapitre vous a plu. Et j'espère ne pas vous avoir perdus avec tous les détails que j'ai pu donner... 😅 (la chosphorite, qui est une pierre inventée, le crocus, une plante épineuse également inventée, les noms des brigands, les contrées, etc.). Si jamais c'est le cas, n'hésitez pas à me le dire, pour que je puisse rectifier ce qui ne va pas ! Je pense de toute façon vous faire un index de tous les animaux, plantes, objets magiques, etc. inventés, pour que vous puissiez plus facilement vous y retrouver 😉
Après moultes réflexions (depuis quand j'utilise des mots comme ça moi ?), j'ai également décidé que cette histoire serait le préquel d'une saga que j'avais commencé à écrire il y a quelques mois. Les événements de cette histoire se passeraient donc une centaine d'années avant ceux de la saga en question (cc sophieri je pense que tu parviendras à deviner de laquelle il s'agit). Mais dans tous les cas, cette histoire sera quand même indépendante des autres qui suivront.
Je voulais également m'expliquer sur une chose au sujet de cette histoire. Comme vous avez sans doute pu le constater dans ce chapitre, il y a un certain décalage entre les objets magiques que j'ai pu créer et ajouter dans ce récit et les objets « normaux », que nous connaissons (par exemple, la boule de chosphorite, qui est une boule magique, et la création récente de chemins de fer, mentionnée par Wiley). Je tiens à préciser qu'il ne s'agit en aucun cas d'une incohérence ! Ce décalage est voulu, et vous le retrouverez très certainement dans les histoires de la saga qui suivra ce one-shot. Donc ne vous affolez pas, c'est normal ! On est dans de la fantasy, alors j'ai pris quelques libertés et ai décidé de rendre ce monde quelque peu atypique en mélangeant des choses anciennes et des choses imaginaires.
Voilà, je crois que c'est tout ce que j'avais à vous dire (et c'est déjà pas mal, me direz-vous !). N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre et de Wiley, que nous allons suivre tout au long de cette histoire.
Oh et dernière chose, qui est une petite demande : si l'un ou l'une d'entre vous sait faire des cartes, je suis preneuse ! Ce vaste monde aurait bien besoin d'être cartographié pour que vous puissiez peut-être mieux le visualiser.
À bientôt !
PS : vous n'avez pas idée du stress que j'éprouve en appuyant sur le bouton « publier »... c'est con, mais c'est ma première histoire de fantasy et j'appréhende énormément ! 😅
PPS : soyez cool avec moi ok ? Mais pas trop non plus, je veux savoir ce que vous en pensez et ce que je dois améliorer (#meufindécise).
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