𝕯𝖆𝖓𝖘𝖊𝖗
Des mouvements fluides qui extirpent la musique de la stéréo et accompagnent ses quelques milliers de notes dans le domaine des oiseaux.
Une horloge qui ne prend plus la peine de faire tourner ses aiguilles, un corps qui tourbillonne à sa place comme pour faire défiler le temps le long de ses hanches rectilignes.
Une peau mate, tamisée par la musique, tressaillant à chaque accord qui s'éclate sur son derme fragile en un million de gouttelettes cristallines.
Une infinité de particules qui l'accompagnent, dans les cieux et sur terre, sur le cœur et dans l'air, qui vibrent à son toucher délicat et glissent au creux de ses paumes claires.
La répercussion des basses qui le pousse à retrouver la terre, la tonalité du piano qui l'envoie enlacer les cieux et l'éclat du violoncelle qui l'emmène osciller corps-et-âme entre deux univers.
Hobi danse.
Il se tient là simplement, au milieu d'une pièce sombre qui bourdonne, et son corps virevolte de point en point transparents qu'il relie à l'essence de sa passion pour la musique. Et c'est la chaleur excessive de sa peau couverte de sueur qui retrace ensuite ces sillons invisibles, qui s'embrasent au contact de son derme électrique. Et quand il ralentit deux secondes, ce n'est que par peur que l'allumette qui crame sous l'auvent de son cœur ne le consume avec trop d'ardeur. Ou ce n'est peut-être que pour reprendre une grande inspiration qui donnera à son brasier l'oxygène nécessaire pour continuer de danser au milieu de ce bien vaste monde.
Il n'y a qu'un faible faisceau lumineux qui pénètre l'obscurité de la pièce par la grande fenêtre rectangulaire, mais entre ces quatre murs c'est des centaines de lignes étincelantes qui s'entortillent derrière son corps en continuel mouvement. Des liens qui encerclent l'obscurité et qui le rattachent au monde, des liens qui s'arrachent à chaque mouvement plus brutal et s'emmêlent les uns aux autres à chaque pirouette que lui commande son âme.
Il ne sait depuis combien de temps il danse. Mais le temps est chimérique lorsque son corps s'offre ainsi à la musique. Les heures s'acculent dans un recoin, les notes défilent, les chansons s'étendent aux inconnues et la nuit emporte avec elle les derniers relents d'amertume qui trainent dans un des nombreux tiroirs du cœur. Et léger, il est si léger lorsqu'il est dans cette pièce. Plus rien ne l'importe, pas même le monde avec lequel il danse pourtant si bien, ni même le temps qu'il envoie mourir au creux de ses reins. Il n'y a plus de terre et plus de cieux, plus aucune précision sur la distance qui sépare les deux, qu'un tout nouveau monde qui se brode sur base de ses mouvements langoureux.
La faible lueur qui éclaire la pièce se met à clignoter discrètement, apportant un grésillement incessant qui résonne dans la pièce. Il ne le remarque pas plus que Taehyung qui est assis dans le coin le plus sombre depuis des heures. La stéréo déconne aussi, le son se craquèle, les notes s'effilochent et écorchent le doux phrasé de la mélodie, et il ne s'en aperçoit pas non plus, ça fait bien longtemps qu'il ne s'accorde plus au faible son qui en émane.
Non, maintenant, Hobi danse sur la mélopée de son cœur. C'est pourquoi ses mouvements sont si doux à certains moments et si cruels à d'autres. C'est pourquoi le monde semble s'écrouler sous ses gestes vifs et se reconstruire derrière ses mains qui se faufilent dans les airs et tourbillonnent autour de son corps reluisant.
Taehyung fronce les sourcils, il voudrait tant que claque l'ampoule de cet immense lampadaire qui grésille en éclairant le fond de la pièce, pour que ne reste plus à ses oreilles que la mélodie des gestes d'Hobi. Il soupire aussi, parce qu'il voudrait pouvoir se lever pour aller éteindre cette fichue stéréo qui entrave sa compréhension de l'histoire que lui conte Hoseok en se déhanchant ainsi, mais il ne peut le faire. Il ne peut juste se lever et risquer de gâcher le tableau qu'est en train de peindre le brun dans cette pièce sombre, il ne peut risquer de broyer la carapace de cet univers sensiblement créé de ces délicats filaments de sueur et de notes déchues. Alors il reste là, immobile, un simple point noir dans un coin du tableau, un minuscule filament que le danseur ne ressent qu'à peine.
Mais il semblerait que le monde l'ait entendu, Taehyung. Parce que quelques secondes à peine après qu'un léger soupir se soit échappé de ses lippes, la musique s'éteint soudainement et la faible lueur en provenance de l'extérieur se retire pour ne laisser plus place qu'à la vraie obscurité de la nuit.
De par la grande fenêtre rectangulaire qui surplombe la ville, le garçon observe l'entièreté de la ville prêter allégeance à l'obscurité. Plus aucune lueur désagréable, plus de fenêtre emplie d'une luminosité aveuglante dans les immenses immeubles qui se dressent à proximité, plus qu'une noirceur alléchante qui laisse aux gestes d'Hobi la possibilité d'enfin rayonner comme ils le devraient.
Ce n'est qu'une simple coupure de courant pourtant, mais pour Taehyung cela ressemble plus à un arrêt soudain de ce monde qui braille son flot incessant de notes discordantes pour laisser place au Silence.
Au vrai Silence.
A cette douce mélodie qui ne connait nulle partition et qui lui permet enfin,
De l'écouter danser.
Il n'y a plus aucun grésillement désagréable qui s'échappe des nombreux appareils électroniques qui jonchent le fond de la pièce, plus de bourdonnement incessant de cet immense lampadaire, plus de notes qui s'entrechoquent et s'éclatent sur la peau du brun qui ne leur prête plus attention, il n'y a plus que le Silence.
Et Hobi qui danse.
Il a dévié du centre de la pièce au moment-même où la musique s'est éteinte, comme si celle-ci lui avait imposé des frontières qu'il n'avait pu s'autoriser à transgresser tant qu'elle était là. Son corps s'est rapproché de la grande fenêtre qui laisse passer sur sa peau tiède de légers rayons d'astres nocturnes que l'on ne soupçonnerait pas en temps normal, et ses bras s'étendent en des gestes de plus en plus amples et de plus en plus rapides qu'il contrebalance de manière esthétique avec le bas de son corps.
Il explore désormais toute la pièce de son corps aussi léger qu'une plume, comme si ce silence lui permettait enfin d'explorer l'entièreté de son monde intérieur, et ses gestes prennent tant de place dans l'espace et dans le temps qu'il semble combler à chaque instant le moindre vide qui apparaitrait autour de lui. Et bientôt ce silence se transforme en mélodie ;
La mélodie de celui qui danse.
Ses pieds nus glissent sur le parquet et déposent derrière eux des notes aux contours délicats, s'en servant d'appuis ensuite pour s'élever dans les airs en un accord volatile avant de rencontrer le sol quelques secondes plus tard en un bruit tout aussi frêle que son corps est aérien.
Ses vêtements se froissent en un bruissement agréable lors de certains mouvements, et cette douce mélodie se mélange à la perfection avec les craquements qui proviennent de ses articulations qui s'expriment lorsqu'elles se retrouvent dans une position de tension trop extrême. Ses muscles qui se contractent temporairement les uns après les autres étreignent ses vêtements déjà un peu trop serrés, et le murmure de ce corps qui exprime sa place dans le monde deviendrait presque la mélodie préférée du garçon qui n'a toujours pas bougé du coin dans lequel il est positionné.
Son corps qui virevolte dans la pièce embrasse les milliards de particules qui se sont concentrées autour pour danser avec lui, et de légers claquement émanent de ce contact entre son corps et les bras du monde qui l'enlacent avec autant de douceur que d'agressivité. Les filaments qu'il a tissé avec le monde se rompent parfois et la mélodie de leur défaite résonne dans les airs comme le ferait la corde d'un violon dans son caisson, et lorsque d'autres se nouent entre elles ou s'accordent à relier à nouveau le danseur au monde, c'est un vacarme bourré de charme qui s'élève dans les airs à la façon de l'acrobate du son.
Hoseok inspire bruyamment, c'est presque un râle impatient qui s'engouffre dans sa cage thoracique et se transforme en un interminable gémissement lorsqu'il s'extirpe de ses lèvres tremblotantes. Taehyung sait ça impossible, mais il jurerait entendre les battements réguliers du cœur du brun résonner dans la pièce comme le ferait l'interminable cliquetis d'un métronome coincé sur le plateau d'un piano à queue. Ou peut-être est-ce le sien qu'il entend battre désormais ?
Mais qu'importe, ça l'apaise, Taehyung, ce rythme régulier qui fait frémir la pièce à chaque seconde. Ça l'apaise tout autant que cette ritournelle qui émane du cœur du danseur pour venir caresser le sien.
Parce que s'il y a bien une chose qu'il apprécie plus que la litanie de ce corps en mouvement, Taehyung, c'est la mélodie qui s'échappe de l'âme du danseur. C'est une des plus belles partitions qui lui ait été donné de déchiffrer, à ce garçon, celle qui déroule ses innombrables portées sous ses yeux humidifiés et se traduit par une multitude d'émotions qui s'offrent au Silence. Cette partition qui n'a été écrite que dans le but d'être déchiffrée par un danseur passionné au beau milieu d'une Nuit aussi noire qu'elle n'est silencieuse, cette partition composée uniquement de soupirs et de pauses inscrites à l'encre dorée sur une feuille entièrement d'ébène.
Et il pourrait passer toute sa nuit là, Taehyung, à écouter Hobi danser.
Et à regarder ce monde se bâtir sur les ruines de ses amours éclatés et de ses espoirs envolés.
Il pourrait passer les quelques heures qu'il leur reste avant le lever du jour à écouter ce corps se contorsionner au rythme d'une complainte silencieuse, et cette âme se froisser au contact de cette peau brûlante de passion qui dévore l'obscurité de la Nuit et la remplace par des milliers de liens reluisants.
Mais Hobi est humain, avant d'être danseur.
Tout comme il avait été danseur avant d'être vraiment humain.
Alors lorsque son corps commence à se faire plus lourd et qu'il n'est plus en mesure de maintenir une mélodie agréable pour tenir tête au silence, il s'écroule simplement en plein milieu de la pièce, chacun de ses muscles abandonnant sa tâche l'un après l'autre. Mais même dans sa chute finale le danseur reste élégant, chacun de ses gestes étant parfaitement contrôlé, et même dans cette dernière expiration excessivement douloureuse, il reste ce même musicien du Silence qui dépose délicatement son instrument en fin de concert.
Un artiste, à bout de souffle. Voilà ce qu'il est désormais.
Allongé en plein milieu de la pièce, Hoseok tente de reprendre une respiration normale. Son thorax se soulève de manière irrégulière, et de nombreux râles accompagnés parfois de sifflements aigus se font entendre lorsque l'air se fait expulser violemment de ses poumons calcinés de passion. Taehyung l'observe porter une main à sa gorge, avant d'y porter la seconde et de les redescendre toutes deux sur son bas-ventre lorsque sa respiration semble vouloir se calmer.
Et Taehyung pourrait simplement rester là, à écouter Hobi reprendre son souffle difficilement. Il pourrait simplement profiter de ce Silence qui règne encore en maitre dans cette pièce à la chaleur étouffante -et dans l'entièreté de la ville aussi- , et des quelques notes résiduelles qui trainent encore autour du danseur. Il pourrait se contenter d'observer de loin cet univers se démonter délicatement au fur-et-à mesure que le danseur reprendrait ses esprits, il pourrait juste regarder les portes de ce tout nouveau monde se refermer derrière lui.
Ou il pourrait se contenter de l'écouter sourire. Parce qu'Hobi sourit, à l'instant même. Taehyung ne voit pas ses lèvres bouger dans la noirceur de la pièce, mais il les entend, ces quelques notes qui se dispersent dans l'air quand les lèvres s'étirent au commandement d'un cœur aussi heureux qu'il ne se sent désinvolte. Et il sait, parce qu'il lui arrive de danser aussi, que lorsque le corps finit par s'arrêter, les soucis en font de même.
Et il veut en profiter avec lui, de ce sentiment de légèreté, de ce silence qui prend enfin possession du cœur après que la bataille ait été livrée. Et il veut voir ce qui s'y trouve, au centre de cet univers flambant neuf, au plus près du cœur d'Hobi, avant que celui-ci ne se meure au néant une bonne fois pour toutes.
Alors il se lève difficilement du coin où il est acculé depuis le milieu de soirée, et laisse ensuite à son tour ses pieds glisser sur le plancher humidifié par la sueur du brun. Et c'est au tour de la douce mélodie de son corps de s'élever dans les airs, sa silhouette se faufilant gracieusement entre ces milliards de filaments qui convergent tous vers un seul et unique épicentre qu'il tente d'atteindre également ; le danseur. Et chacun de ces liens semble lui offrir un murmure lorsqu'il les effleure malencontreusement et que sa peau se mêle sans le savoir au monde d'Hobi.
Et c'est tout délicatement qu'il s'assoit à ses côtés après s'être confronté à ce monde qui se raccroche désespérément au cœur du danseur, et s'allonge ensuite à ses côtés jusqu'à ce que leurs peaux se mêlent. Hoseok ne tressaille pas, ses paupières ne s'entrouvrent même pas lorsqu'il sent ce corps se coller adroitement au sien. La présence de son cadet devrait pourtant accélérer son voyage de retour dans le monde, mais il ne semble vraiment pas presser de se défaire de tous ces liens qu'il s'est afféré à créer pendant des heures. Il fait pourtant l'effort de desserrer les lèvres pour laisser s'échapper d'une voix rauque à l'intention du blondinet :
« Tae, pourquoi c'est si silencieux ici ? »
« Y'a une coupure de courant... » Certifie le blond qui s'amuse à toucher du bout des doigts un de ces filaments presque invisible qui vibre de tout son long et n'hésite pas à entrainer les autres dans son mouvement.
Taehyung voudrait lui expliquer qu'il ne trouve pas cette pièce et ce monde si silencieux que ça, il voudrait lui raconter en long et en large la mélodie qui émane ici de son corps et de ce monde dont il est le créateur, mais il abandonne l'idée pour se concentrer encore un peu sur cet univers si fragile qui s'effiloche un peu plus à chaque nouvelle inspiration du brun.
Alors il redevient silencieux, et se contente d'observer chaque recoin de cet univers qui englobe le corps exténué du danseur, essayant néanmoins d'effleurer du bout des doigts ces étoiles qu'il croirait presque voir rayonner sous le plafond fissuré.
Et du bout des doigts il retrace chaque sentier de ce monde, chaque recoin plus lumineux qui fait pétiller ses beaux yeux noirs et qui s'anime dans la pièce. Il sourit aussi, Taehyung, parce qu'il n'a jamais rien vu d'aussi beau. Parce qu'il n'a jamais vu plus beau que cet univers, et parce qu'il n'a jamais rien entendu d'aussi apaisant que le silence mélodieux qui en émane.
« Elle me manque tellement... Commence le danseur en inspirant beaucoup plus profondément encore, faisant frémir à la manière de ses cordes vocales ce monde qui l'entoure et commence à perdre de son éclat. Tellement... Je voulais juste l'oublier pendant quelques instants, je voulais que le souvenir de ses mains sur ma peau se taise, que sa présence s'éloigne, que tout le reste s'éloigne, je voulais juste créer un nouveau monde où il n'y aurait eu que moi... Et plus rien d'elle... »
« Je sais, Hobi, je sais. » Susurre Taehyung en laissant retomber son bras pour le glisser sous la nuque toute transpirante et affreusement chaude de son ainé. Hoseok profite de ce geste de la part du plus jeune pour se rapprocher de lui et venir se blottir dans ses bras froids mais à la douceur exquise.
« Elle me manque tellement... » Répète-t-il tandis que les délicates notes de son sourire ravageur se transforment en un amas d'accords bien plus amèrement composés.
Taehyung soupire légèrement, de tristesse ou de mélancolie surement, et observe les derniers filaments de cet univers s'estomper doucement pour laisser place à ce vieux plafond fissuré qui surplombe leurs deux corps emmitouflés dans la chaleur de l'autre. Un léger sanglot étreint le jeune danseur, et c'est à ce moment exact que le dernier filament éclate, les laissant seuls à présent face à la Nuit noire et aux raisons pour lesquelles ils se sont retrouvés ici, en premier lieu.
« Elle ne sait pas la chance qu'elle avait, commente d'une voix délicate Taehyung dont les lèvres frissonnent légèrement, elle ne sait pas à quel point la personne qu'elle laisse derrière elle est belle. Et elle ne sait pas, non plus, la quantité astronomique de choses magnifiques qu'elle rate, en s'en allant ainsi. »
« Ah ouais, comme quoi ? » Sanglote Hoseok en se blottissant plus profondément encore dans l'étreinte du blond.
« Comme cet univers, là, que tu offres à ceux qui passent des nuits difficiles. Comme ces milliers d'étoiles que tu plantes sur un plafond fissuré. Comme ces lueurs que tu créer dans les cœurs abimés. Et surtout... »
« Et surtout ? » Demande le danseur que Taehyung sent sourire délicatement contre sa peau.
« Et surtout... Elle ne sait pas à quel point c'est beau,
Que de t'écouter danser ».
***
Je crois que j'aurais aimé apprendre à danser.
A défaut de pouvoir, j'essaye de danser avec les mots.
Signé Weri, contente d'avoir enfin écrit autre chose que du Yoonmin x)
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