[Chapitre 8]
Devais-je le poursuivre ? je me demandai en instant. Ce toit-ci n'était pas très haut comparé aux autres. Mais l'adrénaline commençait déjà à disparaitre, laissant mon sang tambouriner dans ma tête et un vertige me saisit. Je ne sentais plus mes jambes me tenir. Ma vision se flouta et je défaillis.
Mais avant que ma tête rencontre le sol, un bras passa autour de ma taille pour me serrer vigoureusement. Ma joue se retrouva collée à une surface dure sans être désagréable. Je fermai les yeux un instant, encore à demi-inconsciente, et entendis un battement régulier. Un cœur.
Je levai les yeux et les battements de cœur s'accélérèrent lorsque mon visage se retrouva à moins d'une dizaine de centimètres de celui de Delos.
Je me reculai dans un mouvement de surprise et manquai de tomber à nouveau. Il eut le réflexe de m'attraper une seconde fois en laissant échapper un juron.
- Tu es blessée, constata-t-il impénétrable.
A ces mots, je ressentis un vif élancement dans ma jambe droite. Je laissai échapper un grognement. Mon mollet saignait à travers le tissu de mon pantalon.
- J'ai du me faire ça en tombant tout à l'heure, soufflai-je du bout des lèvres en tentant de contenir ma douleur.
- Le plus surprenant c'est que tu ais pu encore courir après, releva Delos avec une once d'humour dans la voix.
Je tentai de faire abstraction de ses mains autour de mes hanches, de la résonnance de sa timbre grave dans sa poitrine beaucoup trop proche de moi...
Lui aussi dut avoir conscience de notre posture incongru, il eut un éclat de toux gêné et relâcha un peu la pression de ses mains. Je descendis doucement en appui sur ma jambe gauche pour m'asseoir sur le toit. Il ouvrit ses paumes un instant comme pour me rattraper de nouveau, avant de refermer ses poings. J'étendis laborieusement ma jambe blessée.
- Où sont les autres ?
- J'ai communiqué avec Idris, je leur ai dit de rentrer à l'Ordre signaler notre attaque.
- Vous pouvez discuter par la pensée avec Idris ? demandai-je impressionnée.
- Non, elle peut capter tout ce que je pense à lui dire mais elle ne peut pas me répondre.
- Alors peut-être qu'ils combattent toujours ou qu'ils ont des ennuis !
- Non, expliqua patiemment Delos. S'ils étaient en difficulté, Aurnia m'aurait envoyé un signal. Tu sais son pouvoir ?
- D'après sa lumière, un genre de pouvoir mental, j'avançai en haussant les épaules.
J'osai lever le visage vers lui. Debout, il se tenait droitement et croisait ses bras impassible.
- Son pouvoir est une espèce de vecteur de douleur. Elle ressent la douleur des gens et peut la transférer à d'autres.
"Quelle puissance ! Mais quel fardeau aussi..."
- Les dons des dieux sont inégales, ajouta Delos avec flegme comme s'il avait lu dans mes pensées.
Je contins un gémissement de douleur alors que ma jambe me lancinait de plus belle et je portais mes mains à ma cuisse.
Delos s'accroupit et se pencha vers moi sans un mot. Il fronçait les sourcils, visiblement ennuyé. J'avais conscience d'être un sacré boulet de m'être blessé dès ma première mission mais ce n'était pas ce sujet qui semblait le préoccuper. A vrai dire il me regardait comme il l'avait déjà fait le jour du conseil. Avec une attention placide particulière et en penchant légèrement le visage de côté, "comme une énigme à résoudre" pensai-je.
Je contemplai sa bouche fine se serrer légèrement dans un moment d'absence...et la vit se rapprocher dangereusement de moi.
Sans prévenir, il déchira la manche de mon pantalon au niveau du genoux et fit un garrot sur le haut de mon mollet d'un geste expert. J'enfonçai mes ongles dans ma paume pour m'empêcher de crier. Puis il passa un bras dans mon dos et une autre sous mes genoux et se leva. Il me portait à présent dans ses bras avec aisance.
- Qu'est-ce que tu...
Avant que je puisse finir ma phrase, il sauta du toit avec aisance.
Mon corps se tendit en entier dans une frayeur immédiate. Notre chute fut amortie par une rafale contraire qui défit ma coiffure. Contre toute attente, nous atterrîmes sans problème.
- Tu ne me fais pas confiance, fit remarquer Delos avec un demi-sourire amusé que je ne lui connaissais pas, faisant apparaitre une fossette dans le creux de sa joue gauche.
- Tu sautes dans le vide sans aucune mise en garde, dis-je avec une moue faussement contrariée de m'être faite avoir.
Je remarquai alors que mes bras avaient entourés le cou de Delos alors que nous sautions. Mal à l'aise, je tentai d'ôter mes mains, avant de me rendre compte que je n'avais aucun autre endroit où les poser.
Delos ne semblait pas s'en soucier du tout. Il regardait droit devant lui, son air stoïque était revenu alors qu'il analysait son environnement.
Avec une dignité particulièrement honorable, il marchait à une cadence mesurée dans les rues du bas-fond où nous détonions totalement. Je me rendis compte que nous étions complètement vulnérables, moi incapable de courir s'il le fallait et lui les mains prises rendant impossible tout combat. Je portai instinctivement ma main à ma ceinture.
- Ne fais pas ça, me défendit le soldat sans me regarder. Je sais que nous sommes à découvert mais si tu te montres menaçante, on aura vraiment des complications.
De fait, les habitants ne semblaient pas nous voir. Peut-être peu soucieux d'une paire d'Aimés car ils avaient l'habitude de nous voir évoluer en équipe. Ou peut-être trop occupés à marchander.
- Nous sommes au beau milieu du marché que nous cherchions, fis-je remarquer.
- C'est vrai mais il y a plus important maintenant. Nous devons te guérir rapidement, même si le sang a arrêté de couler.
Il avait recouvré son attitude flegmatique habituelle. Un vrai soldat en mission. Mais je n'étais pas dupe : son pouls que je sentais battre sous mes doigts, posés sur une veine dans le haut de sa nuque, était plus agité qu'il n'y paraissait.
- Qui sont les Ombres ? je demandai à voix basse.
- Des renégats, des anarchistes, des terroristes, énuméra-t-il froidement.
- Mais ils ont des pouvoirs.
- En effet. L'Ordre recueille le plus d'enfants possibles mais certains passent à travers les radars. S'ils tournent mal, en particulier s'ils vivent dans les quartiers pauvres de Remilla, ils se retrouvent dans les rangs clandestins de l'Iris.
- L'Iris, j'ai déjà entendu ce nom au quartier général.
- Cela fait des années que l'Ordre tente de la démanteler.
- Mais...?
- Mais c'est une espèce de société secrète organisée. Ils commettent délit sur délit pour déstabiliser la paix du royaume et discréditer le roi mais on ne connait pratiquement rien d'eux. Sauf que je sais une chose : ils ne se montrent jamais en plein jour.
Une société secrète criminelle... Dire que Calista m'avait assuré que le royaume était en paix. Les habitants des bas-fonds me paraissaient tout à coup plus menaçants qu'apeurés. Et si des Ombres nous observaient à l'instant ?
- Mais tu as combattu celui qu'on coursait non ? s'enquit Delos.
Je repensai alors à cet affrontement étrange qui ne ressemblait pas vraiment à un combat acharné. A présent que j'en savais plus sur les Ombres, notre confrontation me semblait illogique, presque irréel. Il ne m'avait pas même blessé.
Ne lui dis pas.
- Il a sauté avant que je puisse l'atteindre.
C'est comme si ces mots avaient été prononcés par quelqu'un d'autre.
Déconcertée, j'enfonçai un peu plus mes doigts dans la peau de Delos. Ce dernier pris mon trouble pour de la frustration :
- Ce n'est pas grave, ce n'est pas pour rien qu'on les appelle les Ombres. L'inverse m'aurait étonné.
Il avait une drôle de manière de me rassurer. Comme si le moindre mot de compassion ou réelle sympathie lui coûtait. Aussi depuis qu'il m'avait rejointe sur le toit, il ne m'avait pas demandé une seule fois si j'avais mal. "Réponse : j'ai mal"
D'un autre côté, il avançait rapidement dans les ruelles, animé par la volonté de me ramener le plus vite possible à l'Ordre.
"Et il te porte dans ses bras..." chuchote une petite voix que je priai de se taire.
- Est-ce que tu as faim ? demanda Delos avec une petite hésitation dans la voix.
En effet le soleil était à son zénith et nous étions partis tôt de l'Ordre ce matin. En jetant un regard aux étalages de nourriture autour de moi, mon ventre se tordit d'envie.
Delos s'approcha d'un marchand barbu à l'œil ensommeillé.
- Donc si j'ai bien compris, on doit se dépêcher de rentrer mais on a le temps pour des emplettes ? ironisai-je.
- Je n'ai pas envie de devoir porter une Lyria évanouie de fatigue et de faim jusqu'à l'Ordre, répliqua-t-il en levant les yeux au ciel.
Je tachai d'ignorer la façon dont mon prénom avait doucement raisonné dans sa bouche pour lui affichais un air peu convaincu. Me faisant doucement glisser jusqu'à ce que mon pied gauche rencontre le sol, il sortit de la poche de son pantalon une pièce d'argent.
- Deux brochettes s'il vous plait.
Le commerçant me tendit deux brochettes de bœuf fumant enrobé dans une sorte de sauce aux herbes caramélisée et empocha prestement la pièce.
- Ce truc est super bon ! m'extasiai-je après avoir fini une brochette, de nouveau portée par Delos alors que nous venions d'entrer dans la cité-mère de Remilla.
- Tu peux prendre la deuxième, dit-il tentant de cacher un sourire provoqué par mon enthousiasme. J'ai les mains prises comme tu as pu le remarquer.
Je portai à sa bouche la brochette restante. Il me glissa un regard circonspect.
- Allez, tu dois être tout aussi affamé que moi, sans compter que tu as utilisé tes pouvoirs, observai-je sur un ton impérieux.
Sans répondre, il entrouvrit la bouche et dégusta lentement la viande. Je m' efforçai de ne pas trop regarder ses lèvres alors qu'il finissait de manger en vitesse.
Le reste du trajet se passa dans un silence gêné mais aussi apaisant. Cette première mission n'avait pas été de tout repos. Je me ressassais les événements de la matinée pendant que Delos semblait lui aussi plongé dans ses propres réflexions.
Bientôt arrivés, je contemplai pour la première fois le quartier de l'Ordre vu de l'extérieur. C'était un gigantesque bâtiment en pierre blanc cassé aux murs chargés de sculptures impressionnantes de gargouilles et de végétation luxuriante.
A l'extrémité de monument, une tour immense côtoyait les nuages. Des gemmes de couleurs variées étaient esthétiquement incrustées à même les murs et reflétaient la lumière en la décomposant en un arc-en-ciel. Les pierres précieuses s'enroulaient autour de la tour comme du lierre sauvage, obligeant mon regard admiratif à se lever jusqu'en haut de la tour où brillait la sculpture en or d'une ange qui regardait à l'horizon, les paumes tendus vers l'avant.
Le mur de fleurs s'ouvrit directement quand nous arrivâmes devant. Delos m'emmena directement à l'infirmerie malgré les plusieurs soldats qui se précipitèrent pour m'aider en voyant ma jambe sanguinolente.
Il ne me lâcha que quand il put me déposer sur le lit d'une chambre de l'infirmerie, semblable à celle dans laquelle je m'étais réveillée à mon premier jour à l'Ordre. Alors il m'adressa un signe de tête laconique et sortit sans un mot.
Un guérisseur se chargea directement de retirer mon garrot. Je ne pus retenir longtemps des cris de douleur quand son pouvoir agit, semblant brûler chaque centimètre de ma peau entaillée.
L'opération sembla durer une éternité. Je repris mon souffle pendant que le guérisseur essuyait mon front suant avec une serviette humide. "Merci" murmurai-je du bout des lèvres. Il ne restait qu'une fine cicatrice sur ma jambe.
Cela faisait à peine un quart d'heure que le guérisseur était sorti pour me laisser me reposer que Thalion et Milo déboulèrent dans la chambre, en pleine ébullition.
- Lya - je peux t'appeler Lya hein ? - devine quoi ?
- On vient d'être intégré à la surveillance...
- D'un bal noble à la fin de la semaine
- Mais sous-couverture !
Ils se tapèrent l'un et l'autre dans la paume de la main, enthousiastes. Trop enthousiastes pour moi et ma fatigue.
- Rien compris, soufflai-je avec un faux air blasé.
- Pff c'est de ta faute Thalion, tu parles toujours en même temps que moi.
- Mais elle a pas relevé le surnom ! Ca veut dire qu'elle est d'accord.
Aurnia s'avança après avoir poussé sans ménagement les deux garçons hors de la pièce.
- Il y a du nouveau, explicita-t-elle d'une voix douce. Les cardinaux ont pris notre rencontre avec des Ombres en pleine journée comme une menace. Ils veulent renforcer la surveillance d'une soirée mondaine en fin de semaine à laquelle la famille royale se rendra. Donc nous sommes missionnés pour surveiller ce bal sous couverture, et repérer les Ombres si jamais les mêmes hommes se montrent.
Je pensai à l'homme que j'avais coursé.
- Les autres aussi se sont enfuis ?
- L'Ombre qui affrontait Idris oui. Si tu veux mon avis, ça signifie qu'il était vraiment fort. Quant aux autres attaquants, Milo et Thalion les avaient mis à terre mais ils se sont volatilisés.
- Une illusion, je déduis après un instant de réflexion. Celui que je coursai a du revenir sauver ses partenaires.
- Sans doute. Moi je n'ai rien vu, j'étais trop occupée à courir après toi, qui courait après Delos, qui courait après cette foutue Ombre.
- Ahaha quel chaos !
- Le vrai chaos, c'est Delos qui arrive en trombe avec toi dans ses bras ! Du jamais vu !
- Je sais, je suis une catastrophe, m'excusai-je contrite.
- Au contraire, Lyria, au contraire.
Je remarquai alors qu'elle avait du mal à prononcer le -r en fin de phrase. C'était son accent qui rendait sa voix si douce et agréable à l'oreille.
- Appelle-moi Lya, je lui dis alors avec un sourire amicale.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro