- Sincèrement je ne pensais pas qu'il aurait ce niveau. Ca n'avait rien à voir avec nos entrainements, il était constamment sur l'offensive !

Cela devait faire une demi heure que je racontai à Calista mon combat au Conseil mais mon mentor semblait toujours sous le choc. Son sourire habituel était plus pâle que d'habitude et elle semblait absente, perdue dans ses pensées inquiètes. C'était notre dernier entrainement aujourd'hui et même si ces moments allaient certainement me manquer, j'avais hâte d'enfin sortir à l'extérieur de l'Ordre. Mais mon excitation contrastait étrangement avec l'attitude de mon mentor.

- J'ai pensé à tes cours ennuyeux quand j'ai vu tous les cardinaux, les généraux et la Grande Prêtresse, tentai-je pour la faire rire.

- Ecoute Lyria, ce n'était vraiment pas une bonne idée de te donner en spectacle de la sorte.

- Ce n'était pas mon idée ! répliquai-je, ennuyée de son sermon et son ton étrangement sérieux. C'est un des généraux qui m'a interpelée, je ne sais même pas pourquoi...

- Moi je le sais. Et ce n'était pas un hasard.

- C'est-à-dire ?

- Sais-tu à qui tu avais à faire ?

Je pinçai les lèvres, je n'aimais pas qu'elle réponde à ma question par une autre.

- Sérapha, la Grande Prêtresse actuelle, n'est pas cheffe de l'armée sans raison. Tu as remarqué son âge particulièrement avancé pour une Aimée ?

J'acquiesçai, avide de réponse.

- Elle a combattu pendant la Dernière Guerre, au côté de l'actuel roi. On peut dire que ce sont en partie son pouvoir et sa force qui ont permis à Lucius de s'asseoir sur le trône d'Ostran. Puis quand il lui a confié ses troupes, c'est par ses talents de stratège et de meneuse que la guerre a pris fin.

La Dernière Guerre était une guerre civile ostranienne qui avait surtout pris place à Remilla il y a une trentaine d'années. J'en avais entendu parlé dans un des cours d'histoire de Calista. 

- Sans parler des quatre généraux qui ne sont pas en reste. Chacun d'eux a montré sa puissance à de multiples reprises. Ce sont des combattants d'exception certes, mais surtout des stratèges, des manipulateurs je dirai même. Ne prends pas ton bref échange avec eux à la légère !

- Je comprends ce que tu dis, concédai-je en rependant à leur débat une fois la Prêtresse partie. Ils ont l'air habitué à prévoir les réactions des foules.

- Exactement. Mais tu fais tache dans la foule justement.

- Sympa...

Elle émit un claquement de langue désapprobateur et prit un livre qu'elle avait rapporté dans la salle d'entrainement. Elle me montra une illustration sur une page du manuscrit qu'elle avait corné au préalable.

On y voyait un être difforme marchant maladroitement sur ses deux pieds asymétrique, son visage qui évoquait celui d'un enfant était animé d'une expression maléfique mais ses yeux étaient bizarrement vides. Derrière lui, des maisons brûlaient et des corps agonisants gisaient au sol. Une vision d'horreur.

- Qu'est-ce que c'est... balbutiai-je choquée.

- Un crépusculaire. Ne te méprends-pas leur réputation est bien moins joli que leur nom.

- On dirait de la magie noire, supposai-je du bout des lèvres, incapable de me détacher de l'image.

- S'en est une forme oui. C'est une pratique ancienne passée au rang de mythe, inconnue de la plupart de nos contemporains. Comme tu le sais, les pouvoirs d'une personne se développent vers ses dix ans; c'est à ce moment-là, au début de la puberté, que la lumière du pouvoir apparait. Tu ne t'es jamais demandé pourquoi les Aimés sont amenés si tôt à l'Ordre ?

Elle tourna la page, montrant une autre illustration effroyable. Un enfant pleurant dans une cage étriquée, enfermé comme une bête dans un endroit lugubre. Au niveau de son cœur était dessiné une espèce de rayonnement en spirale.

- Il y a longtemps, les enfants avec des pouvoirs étaient traqués, séquestrés, sous-nourris des années durant dans le noir et le silence complet. Ils étaient ainsi privés de leur liberté mais en particulier de l'utilisation de leur pouvoir. C'est de cette façon qu'on crée un crépusculaire : son pouvoir s'emmagasine encore et encore. Vers leur quinze ans, ils étaient vendus et utilisaient comme des armes, des sortes de catalyseurs d'énergie. Car un enfant qui utilise son pouvoir pour la première fois si tardivement possède un pouvoir bien plus puissant mais aussi incontrôlable et destructeur.

- Qu'arrive-t-il à l'enfant ?

- Les Dieux n'ont pas conçu ainsi les pouvoirs...Les crépusculaires mourraient très jeunes, déclenchant tremblements de terre, orages, inondations...

- C'est atroce... Mais je ne comprends pas le rapport avec moi.

- Si les Aimés de l'Ordre recherchent les enfants aux pouvoirs naissants pour les intégrer directement, c'est aussi pour éviter ce genre de phénomène. Des équipes entières inspectent avec minutie les quartiers de Remilla et les villages de tout le royaume.

- Mais moi, complétai-je. Ils ne m'ont trouvé que maintenant.

Elle acquiesça lentement pour me laisser digérer ses aveux inquiétantes.

- En plus ta lumière est particulièrement visible et ton pouvoir grandit à une allure folle.

- Mais je le contrôle ! Je ne suis pas une crépusculaire !

- C'est vrai, tu fais preuve d'une grande maitrise qui fera sans aucun doute de toi l'un des meilleurs soldats de l'ordre. Mais tu restes un mystère. Pour moi comme pour les hauts membres de l'Ordre. C'est pourquoi tu dois être vigilante ; ils te surveillent Lyria. Tu as le devoir de te présenter comme une force pour l'Ordre, et non comme un danger.

Alors que je saisissais l'ampleur de ses mots, Calista referma en claquant le livre dans un nuage poussiéreux et le posa sur la table, scellant l'entrée de ces révélations occultes. Encore une fois, mon passé oublié me faisait défaut pour effacer les points d'interrogation. Impuissante je fixai mes mots tremblantes en me demandant ce dont j'étais réellement capable. Il me fallut un moment pour retrouver ma contenance habituelle.

- Je vais donner tort à ces hypothèses Calista. J'ai le contrôle total de mon pouvoir pour l'instant et je ferai en sorte que ça ne change pas, dis-je en allumant une bougie sur la table.

Calista regarda un instant la bougie avec un petit sourire. Signe que j'avais réussi à la rassurer. Un peu.

 Elle attrapa un paquet enroulé dans un tissu et l'ouvrit.

- J'ai un petit quelque chose pour toi.

Elle me tendit le présent que je dépliai avec soin. Un pantalon en matière extensible s'accordait avec un haut à manche longue du même noir de jais dont le col et les manches étaient agrémentés de fines broderies au fil d'argent. Mais le plus impressionnant était la longue cape dont le tissu opaque pourtant volatile était plus lourd qu'il ne le paraissait. Des légers reflets rouge carmin qui ajoutaient encore à la splendeur du vêtement apparurent alors que je m'empressai d'essayer la cape.

- En voilà une Aimée digne de ce nom, siffla Calista avec une pointe de mélancolie que je décelai malgré elle.

- Nous nous verrons de temps en temps même si tu n'es plus mon mentor Calista. Ne compte pas te débarrasser de moi aussi facilement, je la prévins avec un sourire malicieux.

Alors que je m'attendais à une réplique tranchante de sa part, elle s'avança vers moi et me prit dans ses bras dans une étreinte bienveillante. D'abord surprise par cette effusion d'affection, je lui rendis son embrassade. Puis elle s'écarta de moi et serra mes épaules de ses mains et repris sa voix confiante de mentor :

- Ecoute le meneur de ton équipe. Sois toujours sur tes gardes à l'extérieur. Fais toi aussi discrète que tu le peux. Ne prends pas de risque inutilement.

En guise de réponse, je lui fis une grimace peu convaincue.

- Et toi, qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Entrainer une autre nouvelle recrue ?

- Oh que non, j'ai rempli ma jauge de patience avec toi ! plaisanta-t-elle. J'ai demandé à intégrer une équipe de recherche des nouveaux Aimés. Comme tu as pu le voir à notre combat, mon pouvoir n'est plus ce qu'il était...

- Tu as été une mentor exemplaire Calista.

- Alors tâche d'être une soldate exemplaire Lyria.