‌Sous les nuages gris et bas, la jeune fille marchait.

Elle marchait au hasard car elle ne voulait pas rentrer chez elle. Du moins pas maintenant. Elle ne voulait pas être battue une énième fois. Il lui restait à peine une dizaine de minutes mais elle souhaitait les savourer.

Elle s'assit sur le palier d'un immeuble et s'amusa un instant à regarder les bourrasques embêter la foule. Leurs expressions et réactions la faisaient sourire. Quels pauvres moutons stupides ils faisaient. Si elle savait rire, elle en aurait ri à en pleurer.

Mais elle ne savait pas rire. Ni pleurer d'ailleurs.

Alors qu'elle allait se remettre en route, le monde se mit à tourner autour d'elle si bien qu'elle dut se tenir à un mur pour ne pas tomber.

Ce trouble dura à peine une seconde et laissa derrière lui nombre de questions sans réponses.

Du moins pour l'instant.

La jeune fille se remit en marche.

~~~~

Rien.

Il ne ressentait rien.

Rien d'autre qu'un vide immense et qu'un calme profond.

Ce n'était pas la première fois qu'il blessait quelqu'un non... seulement la première fois que quelqu'un succomberait aux blessures qu'il avait infligé.

Il haussa les épaules. Il y avait une première fois à tout.

Le jeune homme sortit de l'infirmerie, laissant le blessé aux soins du guérisseur.

À peine avait-il fait trois pas qu'un hurlement retentit derrière lui. Il jeta à peine un coup d'œil à celui qui l'avait poussé et soupira. Le frère de l'infirme. ''Non, rectifia-t-il, du mourant.'' La flamme de la vengeance étincelait dans ses yeux. Aucun argument ne le convaincrait.

Alors qu'il allait se retourner pour assommer son assaillant, un malaise s'empara de lui.

L'espace d'un instant, il oublia le combat, la mort et le vide. Un instant, il ne sut plus qui il était ni où il était.
Mais un instant seulement. Il reprit ses esprits, ne comprenant pas ce qu'il lui était arrivé. Et il détestait ne pas comprendre.

Le coup le cueillit dans le ventre, le pliant en deux. Déjà que le trouble passé l'avait mis d'assez mauvaise humeur, ceci acheva de le mettre en rogne. Cet imbécile avait fait le pire choix de toute sa misérable vie, semblait-il. Un sourire carnassier apparut sur le visage du jeune homme.

La colère l'envahit.

Un peu plus tard, la rage reflua en lui. Un ricanement sortit de sa gorge. Il ne restait pas grand-chose de l'homme qui l'avait attaqué. Cela allait encore faire des histoires dans le clan...

Enfin...

S'ils retrouvaient le corps.

Après tout, qui irait chercher sous un tas de cailloux ?

~~~~

« Reste stoïque. Ne flanche surtout pas. Laisse-les lancer ce couteau. Ne t'interpose pas, ils n'attendent que cela. Calme-toi. »

Voici la ritournelle que le jeune homme répétait inlassablement dans sa tête tandis que devant ses yeux avait lieu l'exécution quotidienne.

Aujourd'hui, les organisateurs avaient fait preuve d'imagination.

Aujourd'hui, à la place des bourreaux, c'étaient les apprentis qui mettaient à mort les humains condamnés. Et là où leurs cerveaux retords avaient faits des miracles, c'était surtout sur la manière de les tuer. Manière que le garçon qualifierait de sadique.

Quoique...

Sadique n'était certainement pas un terme assez puissant.

Deux lancers passèrent et une voix appela son nom. Il s'avança sur l'esplanade sans rien afficher du dégout qui montait en lui. Décidemment, tout, absolument tout en ces êtres qui se nommaient sa « famille » le rebutait.

Il saisit le poignard qu'on lui tendait et se concentra sur sa cible. La femme en face de lui faisait peine à voir... comment les autres pouvaient-ils s'esclaffer en la regardant ? Sa tunique sale pendait autour de son corps trop maigre, les larmes ne coulaient même plus sur son visage amincit, seul le sang tranchait sur la peau grise. Les coups de ses prédécesseurs, pour ceux qui avaient atteint la cible, n'avaient touché aucun organe vital et, si la condamnée souffrait le martyre, sa vie n'était pas en danger de mort. Du moins pour l'instant.

Dans ses yeux, le jeune homme lut de la douleur. Une douleur immense et infinie. La douleur de ceux qui ont tout perdu.

À sa première tentative, il s'écroula sur le sol et son couteau perça la peau fragile de sa main. Il ne s'en rendit même pas compte, son esprit était tout accaparé à calmer le vertige qui s'en était emparé. Une petite seconde de plus et il se releva, sous les rires et les moqueries de la foule. Il ramassa le poignard tombé à terre et grimaça lorsque celui-ci toucha sa blessure, certes bénigne, mais piquante.

Il se concentra et lança. L'arme se ficha jusqu'au manche dans la poitrine de la femme. Les prunelles exprimèrent une reconnaissance absolue avant de se figer. À jamais.
Les railleries du public se changèrent en huées. Il n'avait pas fait durer le plaisir.

Mais le jeune homme s'en fichait de tout ce qu'ils pouvaient bien penser ou dire.

Il savait ce que l'étourdissement signifiait.

La détermination brilla un instant dans ses yeux.

Il était temps qu'il prépare son évasion.

~~~~

Ruby contemplait depuis maintenant un certain temps le cristal qu'elle portait autour du cou sans que son hésitation ne disparaisse pour autant.

Après tout, rien ne la poussait à contacter Samyan, si ce n'était sa promesse. Mais elle avait des principes. Elle se devait de la respecter.

Elle caressa une énième fois les arrêtes du doigt avant de se décider. Elle le ferait.

La jeune fille sourit et rassembla dans son esprit ce qu'elle aurait à dire.

La journée, certes fatigante, avait été lieu de nombres de situations cocasses. Tout d'abord parce qu'elle s'était trompée de lieu d'atterrissage. Au lieu de les téléporter dans le parc du quartier, ils s'étaient retrouvés au beau milieu de la forêt communale à dix kilomètres de son habitation. Elle avait beau eu s'excuser une centaine de fois, arguant pour sa défense que c'était là où elle cherchait des champignons avec ses parents, un flot de grommellements n'avait pas cessé de sortir de la bouche d'Alexandre, fort mécontent de devoir marcher... sous la pluie.

Car, après tout, ce n'était pas parce qu'ils étaient en plein mois de février qu'il neigeait. En général, il s'agissait plutôt de quelques flocons par an et de pluie le reste de l'hiver.
Il fallait aussi rajouter à l'averse les tenues plutôt légères des voyageurs. Comme Ruby l'avait déjà remarqué, il y avait quelques mois de décalage entre les deux mondes. Ce qui augmentait encore plus la mauvaise humeur du groupe.

Si l'on oubliait la fatigue de la Maitre du feu et, au contraire, la grande forme de la professeure qui souhaitait courir, le trajet se passa plutôt bien.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la ville, une bouffée de nostalgie envahit Ruby et Jasmine. Elles avaient l'impression d'être revenue plusieurs mois en arrière, quand leurs vies étaient encore à peu près normales. Sauf que tout avait changé, rien n'était plus comme avant.

Désormais, le destin d'un monde pesait sur leurs épaules et elles ne pouvaient s'en défaire.

La difficulté suivante fut de trouver un lieu où s'arrêter car, n'ayant prévu aucun plan, ils n'étaient bien entendu pas d'accord sur la démarche à suivre. Luana souhaitait faire une halte dans une taverne pour, selon ses dires, « goûter aux spécialités culinaires locales », Jasmine voulait rentrer chez elle pour voir ses parents tandis que Ruby et Alexandre ne savaient pas quoi faire.

Ils finirent par opter pour une solution qui contenta -à peu près- tout le monde. Ils choisirent de prendre une chambre à l'hôtel de la ville, un petit bâtiment à l'allure sympathique nommé ''A la table du chat gourmand''. C'était un lieu fort connu de la région, ses plats d'une saveur inoubliable faisaient la fierté des habitants et ses prix étonnamment bas attiraient des gourmets des quatre coins du pays.

Le groupe avait réussi à obtenir un peu d'argent grâce à l'agilité et l'adresse d'Alexandre qui avait soulagé quelques bourses. S'ils n'en éprouvaient aucune fierté, aucun regret ne troublait pourtant leurs cœurs.

Les deux terriennes réservèrent donc deux chambres, en assurant l'aubergiste que l'adulte derrière elles était bien leur tante et le garçon leur cousin. Rassurées par le fait qu'il ne pose aucune question, elles entrainèrent leurs compagnons dans la salle de restauration.

Le jour avait décliné depuis une bonne heure déjà et la salle baignait dans une chaleureuse lumière. Les voyageurs s'installèrent sur une table dans le coin de la pièce, ravis de se défaire de leurs vêtements trempés. Avec un soupir de contentement, ils commandèrent et n'échangèrent presqu'aucun mot du repas tant leur plaisir de manger était intense.

Puis, sans demander leur reste, ils allèrent se coucher afin de récupérer de leur journée.

Et, pendant que Jasmine occupait la salle de bain, Ruby était étalée sur son lit et se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir dire à son ami.

Elle finit par tapoter deux fois du doigt le sommet du cristal qui se mit à luire d'une étrange lumière violette. Presque aussitôt, une voix masculine résonna dans la pièce.

-Rub' ? C'est toi ?

-Salut Samyan.

C'était vraiment étrange d'entendre la voix de son ami sortir de ce caillou...

-Alors ? Bien arrivés ? Attends un peu, je vais chercher les autres.

Un bruit de frottement et de pas se fit entendre, puis des voix étouffées et enfin des exclamations de joie. La jeune fille reconnut surtout les deux cousins et Piky, et apprit plus tard que les autres vaquaient à d'autres occupations et n'étaient pas disponibles.

S'en suivit une discussion plutôt courte, mais très sympathique. Jasmine les rejoignit quelques minutes après et compléta le récit de son amie avec quelques anecdotes.

Mais après une bonne dizaine de minutes, la fatigue commença à se faire sentir et les adolescentes laissèrent leurs amis. L'appel de leurs lits moelleux était bien trop fort.

Elles s'endormirent dès qu'elles eurent tiré leur couverture, pas le moins du monde gênées par les ronflements de Luana à côté et basculèrent dans le monde du sommeil.

Elles s'éveillèrent alors que le soleil était levé depuis longtemps, bien reposées de la veille.

Le lit à leur côté était froid, elles en déduirent donc que leur professeure avait dû descendre dans la salle à manger. C'est effectivement là-bas qu'elles la retrouvèrent en compagnie d'Alexandre et ils semblaient en grande discussion avec un des serveurs. Cela ressemblait même fort à une dispute.

-Mais puisque je vous dis que je veux un petit déjeuner, ce n'est pas bien compliqué !, hurlait Luana.

-Madame, je ne comprends pas ce que vous dites, ce n'est pas la peine de hurler...

-Arrêtez de baragouiner ! Je veux. Un. Petit. Déjeuner !

Ils s'arrêtèrent d'un seul coup en voyant les deux jeunes filles les regarder, interdites.

-Je... peux savoir ce qu'il se passe ?, demanda Ruby.

-Il se passe que cet idiot se fout de moi en parlant dans une langue incompréhensible alors que je ne souhaite qu'un petit déjeuner, expliqua la jeune femme.

-Cette folle m'agresse en me hurlant dessus depuis tout à l'heure, je ne comprends pas pourquoi, renchérit l'autre en geignant.

-Attendez, c'est quoi votre problème ? Je vous comprends parfaitement tous les deux ! Ah moins que... Luana, dis bonjour.

-Bonjour ?

-Monsieur, qu'avez-vous compris ?

-Quelque chose comme... burdalen ?

La Maitre de la nature, qui n'avait pas encore ouvert la bouche, se tourna vers Luana.

-J'ai compris. En fait... vous ne parlez pas la même langue. La seule chose qui m'échappe c'est pourquoi Rub' et moi pouvons vous comprendre...

-Mais passons !, s'exclama la brunette. Nous voudrions un bon petit déjeuner s'il-vous-plait monsieur.

Le serveur s'éloigna, l'air de se demander si les personnes dans la salle s'étaient moquées de lui ou si elles étaient sincères...

Une poignée de minutes plus tard, ils étaient tous attablés devant un copieux repas, affamés. Ils le dévorèrent rapidement avant que Luana ne plaque avec force ses mains sur la table.

-Bon. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

Les deux terriennes se concertèrent du regard.

-Nous pensions tout d'abord... aller voir si nos parents et notre famille vont bien.

-Et comment ? Je vous rappelle que ça fait quatre mois que vous avez disparu, intervint Alexandre.

-Et bien... nous irons voir. Mais seulement de loin.

La professeure sembla pensive un long moment avant de hocher la tête.

-Je peux comprendre que vous ayez besoin de revoir votre famille cependant... nous ne devons pas nous attarder. Je vous rappelle que la situation presse. Nous devons absolument trouver les autres Élus et rentrer le plus vite à Ellémentaria. Nous ne resterons pas plus de trois jours ici. C'est bien compris ?

Elles acquiescèrent du chef. Luana se leva alors et lança avec une voix joyeuse :

-Allez-y aujourd'hui, ce sera fait comme ça. Alex, tu viens ? On va en profiter pour s'entraîner !

Les adolescentes remontèrent s'habiller et sortirent alors que l'église de la ville sonnait dix heures trente. Au fur et à mesure qu'elles retrouvaient leurs repères dans la ville, leur appréhension grandissait. Et s'ils n'étaient plus là ? Avaient-ils changé ? Ces questions tournaient et retournaient dans leurs têtes tandis qu'elles marchaient d'un pas vif.

Elles bénirent la saison plusieurs fois, surtout lorsqu'elles croisèrent des personnes de leur ancien établissement dans la rue. Au moins, les bonnets et écharpes leur permettaient de passer inaperçues -ou preque.

D'un commun accord, elles avaient opté pour débuter par la maison de Jasmine. Quand elles y parvinrent, quelques larmes embuèrent les yeux de la jeune Maitre de la nature.

Sans un mot, elles passèrent par-derrière la haie, choisirent le plus gros trou qu'il leur ait été donné de trouver dans celle-ci et regardèrent la façade. Elles avaient une vue imprenable sur la maison et sur la fenêtre sur salon d'où elles pouvaient voir une silhouette.

-Ma... Maman, lâcha la jeune fille.

D'autres personnes de plus petite taille apparurent bientôt et Ruby dû retenir son amie par la taille car elle allait s'élancer vers sa famille. La petite leva alors ses yeux pleins de larmes vers la demoiselle aux yeux écarlates qui secoua la tête. Alors, en silence, elle se mit à pleurer.

Une fois qu'elle se fut calmée et qu'elle eut jeté un dernier coup d'œil à la bâtisse, elles s'éloignèrent en direction de la maison de Ruby.

Elles utilisèrent la même technique de camouflage et observèrent à nouveau. Ici, les lumières étaient toutes éteintes et aucun signe de vie n'était visible.

L'adolescente sentit le désespoir la transpercer comme une flèche mais elle se défendit de flancher. Un masque de cire plaqué sur le visage, elle observait avec un regard vide l'endroit où elle avait vécu.

Au bout de quelques instants, elle saisit la manche de son amie et murmura :

- Allons-nous-en.

Elles firent demi-tour, comme un automate pour Ruby, les yeux rouges pour Jasmine. Elles rentrèrent à l'hôtel dans un silence le plus total.

Quand elles franchirent la porte, l'aubergiste les interpella.

-Les enfants, des personnes ont demandé à vous voir. Elles vous attendent dans la salle de restauration.

-Et où est notre... famille ?

-Je ne sais pas, je ne les ai pas vu de la journée après qu'ils sont sortis. Désolé.

-Ce n'est pas grave. A quoi ressemblaient-ils ?, demanda-t-elle, méfiante.

-Eh bien... je ne sais plus exactement. Il s'agissait d'un homme et d'une femme et il me semble que monsieur est roux. Voilà tout ce dont je me rappelle.

-D'accord.

Elles de dirigèrent vers la salle avec précautions. Qui pourrait savoir qu'elles étaient revenues seulement la veille ?

Elles jetèrent un œil dans l'entrebâillement des portes et, lorsqu'elles virent enfin qui les attendaient, leurs yeux s'écarquillèrent et elles se précipitèrent dans la pièce.

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Bonjour bonjour !

Après trois mois d'absence je suis de retour avec... un chapitre !!

Je suis vraiment navrée, j'ai été dans une énorme phase de page blanche et ça a été très très dur de relancer...

Je m'excuse si ce chapitre est plutôt bof mais il fallait que le finisse. Et s'il est plus court aussi...

J'espère bientôt vous retrouver avec la suite des aventures de nos deux amies !

Ah oui au fait ! J'ai entièrement réécrit le premier chapitre, si vous êtes tentés par une redécouverte :)