Chapitre 3 • La forêt de Doemort
Laérra
Mon cheval marque un énième arrêt, il recule de plusieurs pas et hennit avec puissance. Je maintiens les rênes fermement, tentant de garder le contrôle. Nous avons changé à plusieurs reprises de chemin, nous écartant du sentier. Du moins ce qu'il en reste, le sol de la forêt n'est qu'une étendue de branches séchées et de racines difformes s'échappant de la terre.
— Tout doux, Ridpin.
Je tapote le puissant cou de l'équidé et prends une grande inspiration. Un nuage de vapeur s'échappe de ma bouche. À mesure que la nuit s'installe, une nappe brumeuse s'agglomère autour de nous.
La flamme de ma lampe à huile oscille, je plisse les yeux pour mieux distinguer les branches désarticulées qui menacent de m'assommer. Dans la pénombre, mon imagination me joue des tours, mon cœur bondit dans ma poitrine quand une ombre se détache d'un tas de feuilles mortes et file vers le ciel.
Mes mains deviennent moites autour des anses en cuir, un désagréable frisson me parcourt l'échine. Comme si une entité surnaturelle déroulait son doigt anguleux le long de ma colonne vertébrale. Mes épaules se crispent et mon palpitant bat si fort dans mes oreilles qu'il cache le hululement des hiboux.
— Tout droit, ordonné-je.
L'animal refuse d'avancer, je n'aime pas ça. En tant normal j'aurais volontiers fait demi-tour. Mais Alzim a été clair, il faut s'enfoncer dans les bois, longer ce qui reste de la forêt de chênes puis gravir la roche. Du moins c'est ce qu'il est écrit dans les livres.
Les arbres se dessinent encore à perte de vue, j'ignore si je m'oriente dans la bonne direction. Ridpin n'a de cesse de tourner en rond, comme si la mélodie du vent dans les branchages le rendait fou. Elle siffle un air strident parfois interrompu par le chant d'un oiseau ou le grognement d'un rongeur.
Ma défunte mère me contait souvent des histoires de ce lieu, tout le monde dans la ville de Thanoc connaît les légendes et mythes de Doemort. Alors quand je décide de poser pied à terre, je me fige en marchant sur une racine. L'on raconte qu'elles prennent vie pour encercler leur victime et l'écraser comme de l'écorce séchée.
Mes bottes couinent lorsque je m'avance, le souffle court. Le bois craque sous mes pieds, j'ai le sentiment de faire le pas de trop à chaque fois. Des grincements proviennent de part et d'autre du sol.
Les bras étendus devant moi, ma lampe m'éclaire à peine sur quelques mètres. Je me tourne légèrement vers Ridpan, il s'est figé et la terreur se lit dans son regard. À moins que ça ne soit le reflet de la mienne.
— Sois courageux, je vais revenir.
Ses mots résonnent aussi pour moi. Alzim ne m'aurait pas envoyé ici s'il n'avait pas confiance en mes capacités de chasseuse. Ce n'est qu'une nature morte et abîmée par des années de guerre. Aucun monstre ne s'échappera d'un buisson pour me sauter à la gorge. Cela ne m'empêche pas de tâter mon carquois sur mon épaule.
Je poursuis la route toute seule, la brume recouvre tout, les racines, les rochers. Plus j'avance, plus le temps s'écoule, moins mes pas sont assurés.
Mes yeux fixent un point au loin, je prie silencieusement pour ne croiser aucun animal mythique ni même un sanglier solitaire. Mon cœur bat à tout rompre et manque de s'arrêter quand j'aperçois du coin de l'œil des pupilles dorées.
J'ignore de quelle bête il s'agit, si elle me traque depuis des heures et si elle meurt de faim. Mes dents claquent douloureusement, mon thorax se comprime. La buée devant mes lèvres se dissipe tandis que ma respiration se fait de plus en plus saccadée.
Un hululement au-dessus de mon crâne m'effraie, j'en lâche ma lampe qui se brise au sol. Aussitôt la vapeur dévore la flamme et mon sang froid me quitte.
J'amène aussitôt une flèche contre mon arc, me fiant simplement à mon ouïe. Il n'y a pas de bruit, seulement mes halètements erratiques. Je pivote sur mes pointes de pied, les mains si tremblantes que je raterai ma cible à coup sûr.
Un grognement résonne dans mon dos, je fais volte-face et tire. J'entends ma flèche se rompre sans mal. Ce pourrait être mes os si je reste sans défense.
Le hennissement de Ridpin résonne en écho entre les arbres défraîchis, puis ses sabots frappent le sol. Le fracas s'éloigne en un claquement de doigts et je comprends que mon cavalier a pris la fuite. Je suis désormais seule.
Les sons semblent décuplés, je cherche un repère, mais la lune est absente ce soir. Aucun rayon ne filtre au travers des branchages.
Ça serait déraisonnable de vouloir continuer. Ne le suis-je pas déjà un peu en ayant accepté de me rendre ici ? Je suis partie à l'aube alors que le soleil apparaissait à peine sous la ligne d'horizon, vaillante et sûre de moi.
J'ai laissé dans un coin de mon esprit les histoires que les anciens racontent, la liste de tous ceux qui ne sont jamais revenus de Doemort. Désormais j'ai l'impression qu'ils sont là, à quelques pas, à me murmurer leurs derniers instants de vie.
J'étouffe une plainte, elle fait écho entre les arbres. Si je reste au sol, un animal aura ma peau avant que le froid ne me saisisse au cœur. Mon instinct de survie me dicte de trouver une solution, mes jambes flageolent tant que je risque de m'effondrer.
J'avance de deux pas, cela me semble surhumain. Je crains qu'il y ait une tanière d'ours, un monstre ou simplement la mort au bout du chemin. Mes doigts cherchent à tâtons quelque chose pour se raccrocher.
Ma paume se pose contre une matière rugueuse, une brûlure me saisit jusqu'au coude. Je serre les dents en sentant l'entaille et le sang couler entre mes phalanges. Ce n'est qu'une plaie, me convaincs-je avant de comprendre que je suis face à un arbre.
Je le détaille du bout des doigts, des échardes s'enfonçant dans mes chairs. Des branches assez épaisses sont à hauteur d'homme. Alzim m'a appris à monter sur ces feuillues quand nous étions enfants. Encore une fois, il sait être l'épaule sur laquelle me reposer, même loin.
Je dois grimper pour être en sécurité, j'aurais moins de difficulté à combattre un hibou récalcitrant qu'un ours affamé à terre. L'adrénaline et la peur me font atteindre le haut bien rapidement. Le souffle court, je me loge sur un des bras de bois, le dos déchiré par le tronc rugueux, mon carquois et ma besace contre ma poitrine.
Un liquide visqueux dégouline de ma main. J'extirpe ma gourde d'eau de mon package. Incapable de voir l'étendue des dégâts, je la rince, la plaie picote puis enroule mon foulard autour de ma paume. Il fera jour dans quelques heures, je pourrais reprendre la chasse de l'Écureuil Noir. J'imagine que lui aussi doit être terrifié de se retrouver en ces lieux maudits. L'idée me tire un sourire, on verra qui rira le dernier monsieur le Voleur.
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Bonjour cher.e.s lecteurices ! Ça y est, vous avez pénétré.e.s dans la forêt de Doemort... pas le coin le plus accueillant de la forêt ...
Nous attendons vos retours sur ce chapitre avec impatience.
À bientôt
Hedgye & Marie
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