Elle avait quitté la pièce.

Sans un mot. Sans un regard.

Alors là.

Si elle croyait se défiler même pas en rêve !

- Hé !

Elle se retourna pour lui faire face, fronçant les sourcils :

- Pour un médecin tu ne respectes pas vraiment la tranquillité et le calme des patients.

C'est vrai qu'elle l'avait tellement énervé en l'ignorant de la sorte qu'il en avait oublié l'endroit où il se trouvait. Ce qui eut le don de le renfrogner davantage. Se faire reprendre dans son propre domaine de prédilection fut très frustrant d'autant qu'elle avait raison.

Il contint donc l'énervement qui brûlait son estomac et referma la porte en douceur.

Éleysia fixait Law. Elle ne s'éloignait pas.

Loin d'être naïve, elle savait pertinemment que Trafalgar était en proie à une multitude de questions.

Le regard qu'il lui témoignait, empli d'une profonde méfiance, en était la preuve.

C'est la raison pour laquelle elle n'avait jamais eu l'intention de s'en aller en l'ignorant au contraire :

- Discutons. proposa-t-elle calmement.

Impassible, il était pourtant étonné qu'elle le lui propose mais pas moins ravi. Il la toisait de ses quelques centimètres de plus, l'air fermé, presque froid.

Il n'avait aucune raison de s'énerver contre elle, pourtant c'était plus fort que lui, elle l'agaçait fortement.

La demoiselle croisa ses bras sur sa poitrine, décontractée.

Visiblement, elle attendait qu'il commence mais n'ayant pas l'air décidé elle engagea :

- Je passais simplement voir comment allait Shachi.

Il arqua un sourcil, peu enclin à la croire.

Pourtant elle ne cillait pas. Elle semblait tout à fait sincère.

Bon. Il s'autorisa à croire en ses mots pour cette fois.

- Pourquoi monter avec nous pour te rendre dans le Nouveau Monde ?

Enfin. Enfin il avait posé cette foutue question qui occupait ses pensées depuis plus d'une semaine.

C'est vrai, elle aurait très bien pu continuer sa route en solitaire.

S'allier à des pirates avec ce seul objectif était bien trop incohérent par rapport à ce qu'elle était, du moins ce qu'elle laissait paraître au premier abord. Soit une femme solitaire, se cachant sous une capuche pour échapper au monde, se fondre dans la masse sans jamais se faire remarquer.

S'allier à des pirates, d'autant plus lorsque leur capitaine faisait partie de la génération terrible, n'était pas la meilleure option pour passer inaperçue.

Autre chose. Elle ne semblait pas pressée d'atteindre le Nouveau Monde. Ce qui rendait Law d'autant plus sceptique sur l'objectif de la jeune femme.

Peut-être n'était-ce qu'un prétexte qu'elle avait trouvé pour monter à bord sans attirer les soupçons.

Après l'avoir longuement observé, un léger soupir s'échappa d'entre ses lèvres :

- Pour la tranquillité.

Quoi ? La tranquillité vraiment ? Elle se moquait de lui ou bien !?

- Et la praticité. elle précisa. Je n'imaginais pas vraiment, les pirates de ton équipage si énergiques et... Collants.

Il était clair qu'elle faisait allusion à deux personnes en particulier mais passons.

- Explique. s'impatientait Trafalgar, bras croisés, le ton cassant.

- Avoir un toit sur la tête, ne plus avoir à me cacher, faire des économies, passer inaperçue sous l'eau, ne plus avoir à me coltiner les transports en commun, et j'en passe. Monter à bord est pour moi très avantageux. elle marqua une courte pause afin de chercher à déceler la moindre réaction sur le visage impassible de son interlocuteur.

Mais hormis l'étincelle de contrariété dans son regard, elle ne perçu rien et reprit :

- Mais si ma présence t'importune donc à ce point, ce que je comprendrais, renonce à la dette que tu t'es mise en tête de me payer et laisse moi sur la prochaine île habitée. exposa-t-elle avec un air détaché.

Il resta silencieux. Ce qu'elle avait énoncé semblait cohérent, elle n'avait pas eu l'air d'avoir besoin de réfléchir avant de lui donner sa réponse. À moins qu'elle ne l'ait préparé en prévision de ce genre de discussion.

Éleysia savait qu'il n'avait qu'une parole, des principes, un honneur. Il n'allait pas revenir sur ses paroles sans autre argument que ses simples doutes envers elle.

Mais c'est justement le fait de savoir qu'elle en avait conscience et qu'elle proposait malgré tout de la déposer sur une île habitée en sachant pertinemment qu'il ne le ferait pas qui poussa Law à rester sur ses gardes.

Cette sensation de se faire manipuler ne lui plaisait pas. Hors, comment pouvait-il renverser la situation ? Il était cerné. Il n'avait aucun réels arguments face à ça. Ce qui le mettait d'autant plus en rogne.

Après tout, Eleysia n'avait jusqu'à lors rien fait de mal ou déplacé. Rien qui ne puisse mettre en danger son équipage.

Docile et globalement respectueuse.

Que pouvait-il bien lui reprocher ?

Il avait beau la suspecter et chercher le moindre petit détail, les faits étant qu'il n'y avait rien.

Hormis la zone de flou qui l'entourait.

Peut-être réfléchissait-il trop ?

Peut-être n'aimait-il tout simplement pas avoir une personne dont il ne savait rien, dormir dans son navire ?

- Je ne compte pas revenir sur ma parole. annonça-t-il fermement. Mais je te garde à l'œil. J'espère ne pas avoir fait d'erreur en te laissant monter à bord.

- Ça te tue d'admettre que j'apprécie tes hommes malgré la distance que je tiens à garder avec eux ?

Cette question aussi posée avait-elle été dite, le glaça sur place.

- Je suis venue voir si ton subalterne allait bien, je ne vois pas en quoi cela peut paraître louche.

Aimait-elle vraiment l'équipage ?

Était-elle vraiment venue voir comment se portait Shachi ?

Une possibilité que le capitaine n'avait guère envisagé. À laquelle il ne croyait pas vraiment.

Mais et si c'était le cas ? Et si elle ne mentait pas ?

Surprenant mais pas impossible.

- Tu débarques en pleine nuit sans prévenir et tu attends que je ne sois plus présent pour rendre visite à un blessé. Je ne trouva pas ça très fair-play.

Dis comme ça...

Il avait le don de rendre suspicieuse la moindre mouche clandestine parbleu !

Elle soupira d'un air las, décroisant ses bras :

- Je ne savais pas que tu serais présent. Ni que tu venais que quitter la pièce. Et je ne suis venue que maintenant pour éviter de croiser du monde je te l'accorde. Cependant ce n'était pas dans le but d'agir de manière étrange ou je ne sais quelle autre bizarrerie te traversant l'esprit. Je désirais simplement m'assurer qu'il allait bien sans risquer de me faire happer par son pot de colle.

Il la considéra du regard.

Elle ne mentait pas. Tout collait plutôt bien avec sa façon d'être et les conditions actuelles.

Il céda, se détendit, voulant bien admettre qu'il l'avait peut-être trop suspecté. D'ailleurs il songea qu'elle devait probablement le trouver lourd. Mais peu lui importait en soit, ce qu'elle pensait de lui était le cadet de ses soucis.

- Bien. Je vais te croire pour cette fois.

- Eh bien avec un capitaine pareil, j'espère qu'aucun intrus ne se risquera jamais à pénétrer en douce à bord.

Il roula des yeux, préférant ignorer sa remarque. Qui se risquerait à s'introduire dans son navire franchement.

- Si le capitaine se donne donc la peine de m'autoriser à retourner dans mes quartiers...

Elle exagéra une révérence vidée de toutes convictions tandis qu'il la toisa d'un air à la limite du mépris.

Mais sans attendre de réelle réponse, elle lui tourna le dos. 

Eleysia se demandait bien pourquoi Law nourrissait envers elle une telle méfiance, un tel agacement. Cet acharnement à vouloir trouver la moindre occasion où elle le trahirait. Car elle était convaincue qu'il ne pensait qu'à ça, qu'il ne lui ferait jamais confiance à ce rythme. 

Avait-elle une tête de suspecte !? Ou un comportement inapproprié ??

La jeune femme admettait ne pas trouver leur relation très agréable, plutôt épuisante voir même parfois pesante, offensante.

Pour autant elle ne le montrait pas. À vrai dire elle n'avait jamais rien attendu de Law dès lors qu'elle lui avait demandé de monter à bord. Son unique but étant réellement de se rendre dans le Nouveau Monde. 

Certes il y avait aussi eu de la curiosité à ce moment là. Elle était curieuse de savoir ce qu'était devenu l'enfant de Flévence. 

Mais plus ça allait, plus elle se demandait si elle avait bien fait.

Le pleurnichard de l'époque n'était plus. Il avait grandi, changé. Avait probablement souffert avant de se relever et devenir ce qu'il était.

L'adolescent froid, distant, l'imite insolent l'exaspérait. Mais s'il était devenu ainsi c'était simplement dû à son enfance, son vécu.

Eleysia le savait.

Et encore elle ignorait tout ce qu'il avait pu endurer après Flévence.

Ainsi la jeune femme ne tenait en rien rigueur au comportement méfiant de Law.

Voilà donc ce qu'elle pensait.