4. Les profondeurs
Grorn terminait de réunir quelques racines trouvées à la hâte autour de lui. Il groupa le tout et sorti de son paquetage de la mousse, qui laissait sécher quelques semaines devenait un combustible efficace. Biosque et Wip se rapprochèrent, attendant de se réchauffer. Puis, Grorn utilisa deux silex qu'il frappa l'un contre l'autre. Des étincelles jaillirent et la mousse libéra une fumée cotonneuse. Par la suite Grorn brisa de part en part la couche gelée qui les surplombait pour ouvrir des troues de ventilation. Sa priorité était de tenir bien au chaud le petit noble. Et pour ça, Biosque l'avait payé une avance de cinq pièces, complétée à son retour par le double. Et l'assurance de ramener quelques secrets de guérison des maîtres de l'eau, et ça, ça n'avait pas de prix.
Cette expédition ferait de lui l'homme le plus riche de sa tribu, et lui accordera le droit de se marier avec la femme de ses rêves, Vera. Au fond, s'il se coltiner le cul bien en chair d'un De Betrung, en risquant sa vie dans le froid, s'était uniquement pour elle. Et cela malgré les histoires de son père ou les interdictions des chamans, qui répétaient sans cesse que le désert gelé n'aime pas rendre les âmes qui le foulent. Il se voyait déjà en compagnie de Vera et de ses futurs enfants, dans la hutte du chef de la tribu, après avoir payé les dignitaires pour l'y mettre. Entouré de peau d'ours, de reines, de loup, d'habit tressé avec attention et de nourriture en abondance pour passer les saisons sereinement. Cette chaude pensée rendait ce dur moment plus agréable. Il tripotait compulsivement la fermeture de son bracelet, offert par sa mère, en fibule ornée de petits os, s'imaginant la mettre au poignet de Vera.
Biosque observait les lieux, tout en frottant avec acharnement ses mains à travers ses gants en cuir marron bien manufacturé, à coup d'aiguilles répétées ; elles lui avaient été faites sur mesure. Ils se trouvaient dans un dôme, de taille d'enfant. La lumière circulait depuis le petit trou qui leur servait de passage, et les quelques autres creusés par Grorn. Elle se reflétait sur les murs de glace et rendait des éclats légers, miroitant dans un étrange jeu aux teintes hivernales.
Se sentant plus en chaleur le noble ôta son manteau. Sur l'épaule était cousu le blason familial : un chevron doré, accompagné de trois épées, sur fond bleuté. Chaque épée symbolisait l'une des grandes victoires militaires des De Betrung contre les tribus du Nord.
Depuis les deux-cents ans que sa famille avait été adoubée et mise à la tête de Lamburskarburg ils parèrent toutes tentatives d'invasions. Dans la région la plus excentré de la Northia, les De Betrung était le seul rempart contre les Béringiens, hargneux à reprendre leur terre. C'était une noble lignée toujours bien vue et respectée par les autres seigneurs et estimée par le Roi. Une famille qui payait toujours ses impôts à la pièce, quitte à asséner de taxe les villageois.
Biosque arborait avec fierté et ostentation ce blason qui lui rappelait les exploits de ses aînées, même s'il savait que son guide enrageait. L'un dans l'autre, il n'y voyait pas d'inconvénient.
Grorn s'éloigna pour faire le tour de la caverne, en maudissant les De Betrung. Peu à peu il s'intéressa à un mur de glace au fond. Biosque le surveillait avec une intensité nouvelle, prêt à le réprimander à la première incartade.
– Que fais-tu ? lança-t-il avec autorité.
– Je cherche de l'eau, on va profiter de cet arrêt pour refaire nos réserves.
Il approcha la tête, accaparé par le moyen de passer de l'autre côté.
– De l'eau ? J'entends pas d'eau, répondit Biosque dubitatif.
– Moi non plus. Je la sens, fit-il en renâclant le mur.
« Un vrai chien de sagacité » pensa Biosque, avant de répliquer. – Inutile, avec le feu, on peut faire fondre la neige.
– Vous avez vos heures à perdre ? Un rire s'éleva pour moquer la naïveté du seigneur. Si vous êtes
réchauffé, je préférerai partir au plus vite. Il testa la dureté du bloc de quelques coups de paumes.
Faites comme bon vous semble, en attendant, derrière on trouvera un écoulement.
Biosque resta en chien de faïence, puis il se rassit étouffant une colère sourde qui nervait son corps. Grorn sourit, en sortant sa hachette, du dégoût qu'il provoquait chez le noble en le confrontant aux limites de son autorité. Ça lui donna du baume au cœur à la tâche de fracasser le mur. La glace craqua en de fines particules pillées qui pétillaient sur son visage. Il répéta ses assauts, s'imaginant défoncer Biosque pour se motiver et lâcha quelques rires.
La lame traversa la couche épaisse. Puis il observa à travers le trou. Un chatoiement de lumière révéla des gouttelettes. À partir de son point d'appui, il frappa pour décaper des tranches et libérer un passage. Son ardeur fut récompensée par un premier bloc qu'il dégagea à bout de bras.
Biosque, à travers le feu, jetait des regards insistants au guide, observant tous ces gestes. En son for intérieur, il anticipait que Grorn profite d'une occasion pour lui défoncer le crâne.
Le cornac s'engouffra dans le troue, puis il ressortit, à demi tête, satisfait.
– Wip ! Héla-t-il dans la glace. Dans mon sac ! Porte-moi une torche...
– Je m'en occupe, répondit Biosque prenant les devants.
Il attrapa le sac de peau, prit une des trois torches et apposa le bout sur le feu de camp. Puis il rejoint Grorn. Craignant de se faire brûler le béringien s'ôta. Biosque lui passa devant de force pour rentrer le premier. Grorn comprit et se poussa. Prestement le northien traversa le couloir de glace, en rampant. Il sortit, s'appuya prudemment et se releva. Sur sa droite, la caverne descendait dans les profondeurs. Du sommet, la glace perlait en fines gouttes. Elles s'accumulaient à ses pieds dans un bassin naturel, dans un éternel clapotis. Grorn s'extirpa du trou, il s'avança pour prendre la torche, mais le noble l'esquiva pour s'enfoncer dans les ténèbres. Wip, craignant de rester seul, les rejoint. Les deux suivirent alors le mouvement forcé.
La lumière de la torche devançait le groupe de plusieurs mètres, au-delà c'était le noir plein. Le sol se faisait plus glissant, les gouttes s'accumulaient encore, tombant du plafond suintant, et se rejoignaient en nombreuses veines liquides. Le bruit de l'eau, omniprésent. Un peu plus bas, la chaleur monta d'un cran. Cet écart surprit Grorn et Wip. Biosque et Wip retirèrent leurs gants. En cas de chute accidentelle, Grorn doutait d'avoir les réflexes suffisant pour rattraper le noble. Dans un endroit humide et en pente, ne pas avoir de gant était l'assurance de s'écorcher les mains en chutant et disparaître dans les profondeurs.
Au plus bas, une lumière s'éclairait faiblement. Une clarté, d'un ton bleuté, dessinait un passage. Des petits ricochets lumineux, alternaient d'ombres, gênaient la constance du scintillement Grorn inquiet empoigna son arme. Biosque saisit l'instant d'un coup d'œil, sa méfiance n'ayant pas désempli. Grorn et Biosque, l'un suivant l'autre, avancèrent sur le qui-vive.
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